Agnès de Clairville – Corps de ferme

(Roman / 2024)

Couverture du roman Corps de ferme d'Agnès de Clairville

Une prouesse littéraire. Une aventure humaine avant tout, au cœur de la ferme. Vue à travers les yeux de protagonistes bien particuliers : une vache, une chienne, un chat, une pie, et même un troupeau de cochons.

Agnès de Clairville ne se met pas à la place des animaux, essayant d’imaginer leur ressenti. Non. Agnès de Clairville EST la vache. Elle EST la chienne. Elle EST le chat. Elle EST la pie. Agnès de Clairville ne raconte pas leurs drames, elle les vit, dans sa chair, dans sa tête, dans son cœur. Elle est ces animaux, avec leurs craintes et leurs espoirs, avec les limites de leur univers et de leur compréhension, avec leurs sentiments et leur ressentiment. Avec leurs interactions avec les autres êtres vivants gravitant dans et autour de la ferme. Avec les tragédies qui se jouent dans cette modeste exploitation agricole qui a du mal à joindre les deux bouts et qui risque d’imploser à tout moment. Des tragédies entre animaux, entre animaux et humains et entre humains. Avec la mort qui rôde, personnage à part entière de ce paysage à la fois immuable et fragile, où la répétition des actions et des saisons est un signe d’absence d’ennuis.

Le monde rural et ses silences. Ses bruits et ses odeurs. La famille paysanne, l’homme, la femme et les deux garçons. Les tâches de chacun, du réveil au coucher, l’école se greffant presque comme une verrue incongrue sur leurs obligations naturelles du quotidien. La routine et les péripéties dans ce huis clos. Le lait et le sang. Les imprévus et leurs conséquences. La mort qui frappe. Un soubresaut. La vie qui continue. Cruelle. Ingrate. Parce que pas le choix. Pour survivre envers et contre tout. Dans la violence et l’indifférence. Dans l’amour aussi. En se serrant les coudes. La terre, les animaux, les hommes, la ferme.

Ici, on parle peu, monsieur. À quoi bon ? On travaille.

Une vision du monde paysan qui invite à réfléchir. Rude. Inoubliable.

L’auteure et son œuvre

Agnès de Clairville est née en 1968 en Normandie. Scientifique de formation, elle a travaillé la photographie avant d’écrire. Elle a publié trois romans à ce jour : La poupée qui fait oui (2022), Corps de ferme (2024), La route des Crêtes (2025).

Mon Agnès de Clairville ++

Je n’ai rien lu d’autre de cette auteure pour le moment.

À découvrir aussi (clic sur le titre pour en savoir davantage)

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Dolen Perkins-Valdez – Prends ma main

(Roman / 2022 / Take my hand)

Couverture du roman Prends ma main de Dolen Perkins-Valdez

Une jeune infirmière noire est embauchée au Planning familial, à Montgomery, un service officiel du gouvernement des USA aidant les pauvres à assurer leur contraception pour éviter qu’ils ne se retrouvent avec trop de bouches à nourrir. Elle se pose rapidement des questions.

Dolen Perkins-Valdez s’est inspirée de faits réels pour écrire ce roman poignant, et notamment de l’histoire de deux sœurs, Minnie Lee et Mary Alice Relf, jeunes afro-américaines stérilisées contre leur gré en 1973 à l’âge de 12 et 14 ans.

S’appuyant sur une documentation précise, elle dénonce avec force et maîtrise ce scandale indicible qui a fait des ravages dans les couches défavorisées de la population américaine, essentiellement chez les Noirs et chez les Indiens, mais aussi dans le milieu carcéral, le tout avec la bénédiction du gouvernement de l’époque. Le milieu médical américain n’était pas à son coup d’essai : des Noirs atteints de syphilis avaient déjà été pris pour cobayes pour suivre l’évolution de cette maladie.

Un roman nécessaire, pour alerter, informer, se souvenir, éviter qu’une telle ignominie ne se reproduise.

Mon seul regret ne concerne pas le roman, qui est parfait, mais la note de l’auteure en fin d’ouvrage qui explique l’horreur de ces stérilisations forcées à grande échelle, perpétrée sur la population noire, sur des personnes jugées inaptes et sur des détenues, mais qui oublie de mentionner que les populations amérindiennes ont également été victimes de ces pratiques inadmissibles.

Un incontournable pour qui aime les romans historiques de ce genre. Bouleversant.

L’auteure et son œuvre

Dolen Perkins-Valdez est née à Memphis. Après des études au Harvard College, elle enseigne la littérature. Essayiste et romancière, elle a publié quatre romans à ce jour : Wench (2010), Balm (2015), ces deux premiers romans se déroulant autour de la Guerre de Sécession, Take my hand (Prends ma main, 2022) et Happy land (2025).

Mon Dolen Perkins-Valdez ++

Prends ma main étant le seul roman traduit de Dolen Perkins-Valdez, je n’ai rien lu d’autre de cette auteure pour le moment.

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D’autres lectures
Laurent Gaudé – Le soleil des Scorta
Vicki Myron – Dewey

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Etienne Le Reun – S’anomaliser, Démissionnez du monde

(Essai / 2024)

Couverture de l'essai S'anomaliser, démissionnez su monde, d'Etienne Le Reun

Je vous présente un nouvel épisode de La Guerre de la Toile : L’Empire lobotomise !

Cet essai d’Etienne Le Reun ne s’adresse pas aux gens heureux. Il ne faudrait pas les déprimer.

S’anomaliser est une voix sortie du néant qui parlera à ceux qui doutent, s’interrogent sur la santé mentale de la société, se disent qu’il y a sûrement mieux à faire que de se transformer en mouton ou en casseur, s’insurgent contre l’uniformisation de la pensée. Cet essai rassemblera ceux qui sont excédés par l’Emprise numérique qui reflète l’Empire, par la place prise aujourd’hui par l’indéboulonnable petit gadget technique de 7 centimètre sur 15 qui absorbe les couleurs et l’attention de milliards d’intoxiqués au m’as-tu vu, à l’idolâtrie du néant, au direct plus-c’est-effrayant-ou-spectaculaire-mieux-c’est, au format le-plus-court-possible, à l’instantané aussitôt oublié, aux pouces hérités de l’Empire romain, aux avis creux et partagés. Il parlera à ceux qui sortent des chemins balisés, à ceux qui créent ce qui n’est pas attendu, à ceux qui traversent la route en-dehors des passages cloutés, à ceux qui osent. Mais aussi à ceux qui hésitent, n’osent pas encore, se rendent compte qu’il y a un problème de mur qui se rapproche, aimeraient mais ne savent pas comment, se sentent seuls et perdus. À ceux qui aspirent à la désintoxication.

Cet essai remet le poète au centre de l’alternative. Des mots pour combattre les maux. Vieux rêve des combattants qui ne jurent pas par le sang.

S’anomaliser s’adresse aux naïfs, aux invisibles, à ceux qui arrivent encore à s’émerveiller, à voir le beau, à ceux qui n’abdiquent pas et cultivent la différence dans leur coin.

L’Empire n’a qu’à bien se tenir. Le Gris ne l’emportera pas !

S’anomaliser est-elle la voie à suivre ? Je n’en sais rien, ma pauvre Leia ! Mais si ce n’est pas la voie, c’est au moins une voix. Et comme disait l’autre, dans le marasme actuel, chaque voix compte !

Essai transformé, bravo ! À lire.

Quatrième de couverture

Combien de temps encore supporterez-vous d’être ensevelis ?

Le monde s’agrippe. Lavez-vous prudemment les mains et regardez cette peinture invisible se détacher péniblement de vos paumes. Pigment après pigment, pixel après pixel, poncif après poncif. Aussi pénible que soit le processus, lavez-vous l’être.

Une manuel de disparition à l’usage des égarés.

Extraits

L’homme en sait trop, ce qu’il lui faut d’urgence, c’est de l’inutilement beau. (p.116)

 Le courage c’est d’être et de demeurer naïf par choix, dans un monde fasciné par le dessous matériel des choses. Défendre obstinément son droit à la magie du quotidien. (p.246)

L’auteur et son œuvre

Etienne Le Reun est né en 1999. Poète, philosophe, essayiste, il anime la chaîne Youtube @ledolmen. S’anomaliser est son premier livre.

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D’autres lectures
Karine Tuil – La décision
Joseph Kessel – Le lion

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Kazuo Ishiguro – Klara et le Soleil

(Roman / 2021 / Klara and the sun)

Couverture du roman Klara et le soleil de Kazuo Ishiguro

Klara est une AA, une Amie Artificielle, plus curieuse que les AA autour d’elle dans le magasin où elles attendent patiemment que des parents attentionnés les achètent pour tenir compagnie à leurs enfants, les instruire et veiller sur eux. Un jour, Josie la choisit. Elle va découvrir le monde extérieur, de l’autre côté de la vitrine, et n’est pas au bout de ses surprises.

L’histoire de Klara et le Soleil n’a l’air de rien, mais elle m’a profondément touché. Kazuo Ishiguro a été très malin dans son déroulé. La petite AA a des réactions emplis d’empathie et éprouve des sentiments que les humains s’attribuent à tort, alors que les humains s’affichent avec leurs défauts, leurs faiblesses et leurs mesquineries. À méditer. Et avant cela, à lire !

Un roman captivant, bouleversant, clairvoyant, poétique, magnifique.

Pour ce qui n’est déjà plus de la science-fiction, je vous conseille mon hors-série du Chat Noir : Entretiens avec Claude.

L’auteur et son œuvre

Kazuo Ishiguro né le 8 novembre 1954 à Nagasaki. Cet écrivain, musicien et scénariste a été naturalisé britannique en 1983. Prix Nobel de littérature en 2017, il a notamment écrit 8 romans et un recueil de nouvelles.

Mon Kazuo Ishiguro++

Je n’ai rien lu d’autre de cet auteur.

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D’autres lectures
Ken Grimwood – Replay
Yoann Iacono – Le Stradivarius de Goebbels

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Claire Deya – Un monde à refaire

(Roman / 2024)

Couverture du roman Un monde à refaire de Claire Deya

Un roman historique, intelligent, instructif, à lire et à faire découvrir.

Printemps 1945. Le sud de la France est libéré. La guerre n’est pas pour autant terminée. Les horreurs non plus. Les survivants ont à reconstruire et à se reconstruire.

Les livres sur la 2eGM ne manquent pas. Claire Deya nous offre un éclairage inédit en s’appuyant sur une page méconnue de ce conflit : le déminage des rives de la Méditerranée.

Les Nazis avaient une longueur d’avance dans la technique des mines. Le minage des plages, routes et bâtiments avant la retraite est une nouvelle corde ajoutée à la politique de la terre brûlée, sournoise, meurtrière. Les mines seront reprises dans d’autres guerres, tuant et mutilant des civils des années après la fin des conflits.

Un monde à refaire ne se limite pas à cet épisode douloureux qui a vu la France utiliser des prisonniers de guerre pour « vérifier » l’efficacité du déminage, qui a vu l’Allemagne abandonner longtemps ses prisonniers, qui a aussi vu un travail collaboratif entre volontaires français et prisonniers allemands pour venir à bout de ce travail funeste.

Plusieurs histoires de la grande Histoire sont imbriquées dans ce récit. Le déminage. Le débarquement de Provence, moins médiatisé que l’autre. Le sort des prisonniers de guerre. Mais aussi des traumatismes d’après-guerre. Les vies bouleversées. Les gens qui ont changé. Faut-il tenter de rassembler des morceaux chahutés par les événements ou repartir de zéro ? Le retour des survivants. La spoliation de biens. La solution de facilité de « ne pas faire d’histoires », et tant pis pour les dénonciations racistes, jalouses, méchantes, tant pis pour les victimes de ces actes malveillants, cupides ou stupides et tant pis pour les biens perdus ? Comment rebondir ?

De nombreuses pistes de réflexion, sans morale, ni réponses évidentes. Ou alors une seule : la vie continue.

Des histoires personnelles poignantes. Un ton d’une grande sensibilité et des personnages justes. Un roman exceptionnel. Une réussite totale.

L’auteure et son œuvre

Claire Deya est une scénariste et auteure française. Un monde à refaire est son premier roman.

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D’autres lectures
Gaëlle Nohant – Légende d’un dormeur éveillé
Bernhard Schlink – Le liseur

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RJ Ellory – Une saison pour les ombres

(Roman / 2022 / The darkest season)

Couverture du roman Une saison pour les ombres de RJ Ellory

RJ Ellory est un auteur fascinant qui ne m’a jamais déçu.

Les critiques de Une saison pour les ombres évoquent souvent une filiation avec Seul le silence. J’avais découvert RJ Ellory avec ce premier roman paru en France. À l’époque, j’avais noté : « Un roman époustouflant. C’est comme si John Irving au meilleur de sa forme écrivait un roman d’une noirceur absolue. À lire absolument ! » (*) Cette remarque s’applique aussi à Une saison pour les ombres et à bon nombre de ses romans.

RJ Ellory est inclassable. Polar ? Thriller ? Romans noirs ? Quelle serait la bonne case ? Je n’en sais rien. Un mélange de tout ça à la fois, sans doute, et plus encore. Le plus important est que RJ Ellory me régale avec ses histoires toujours renouvelées, son écriture chirurgicale, ses personnages travaillés, ses ambiances sombres. Il me surprend, me tient en haleine, m’instruit, me fait voyager, réfléchir et passer de merveilleux moments de lecture. Il est ma plus belle découverte chez Sonatine que je suis depuis leurs débuts.

De toute façon, Roger Jon Ellory n’a pas vocation à entrer dans une case (non, nous n’avons pas gardé les cochons ensemble RJ et moi, mais c’est comme ça que je me plais à l’imaginer).

Dans Une saison pour les ombres, RJ Ellory explore une fois de plus l’âme humaine, ses faiblesses, ses peurs, ses espoirs, sa noirceur, ses lâchetés, sa capacité à rebondir ou non. Il décortique la force du passé qui empêche de se libérer d’événements, de promesses et de lieux qu’on souhaiterait oublier. Il expose la puissance des superstitions transmises de génération en génération. Il décrit les rouages d’une petite ville coupée du monde, créée par une société minière dans le grand nord du Canada francophone, glacial, inhospitalier. Il raconte la folie qui peut s’emparer des gens en de pareilles circonstances. La folie intérieure mais aussi la folie meurtrière. Parce que, oui, le sang coule. Des jeunes filles meurent. Les autorités manquent de moyens. Tout le monde se voile la face. Un temps. Jusqu’à une énième victime. Jusqu’à la révélation.

RJ Ellory est un conteur exceptionnel.

(*) J’adore John Irving, cette comparaison très personnelle est donc un énorme compliment.

L’auteur et son œuvre

Roger Jon Ellory est né le 20 juin 1965 à Birmingham. Après l’orphelinat et la prison, il devient guitariste dans un groupe de rhythm and blues. Puis il se lance dans la photographie et l’écriture. Il met du temps à trouver un éditeur mais son travail et sa persévérance finissent par payer. Auteur de plus de 20 romans publiés à ce jour, il est reconnu mondialement. En France, son succès a été immédiat avec Seul le silence. Il remporte plusieurs prix littéraires.

Mon RJ Ellory ++

J’ai lu de nombreux romans de cet auteur. Je les ai tous adorés. Cinq chroniques supplémentaires.

Seul le silence

(Roman / 2007 / A quiet belief in angels)

Couverture du roman Seul le silence de RJ Ellory

Joseph Vaughan a douze ans. Il vit dans un trou perdu de Georgie, à Augusta Falls. La vie ne l’épargne pas. L’horreur atteint son paroxysme lorsqu’il découvre le corps d’une fillette sauvagement assassinée. La première d’une longue série. La police patauge. Joseph réussira-t-il à démasquer le coupable ? Ou, impuissant, sombrera-t-il dans la folie face à cette violence indescriptible ?

Le premier roman de R.J. Ellory publié en France. Mon premier Roger Jon Ellory. Une claque retentissante ! La plume sublime, la couleur, l’intrigue, les descriptions, la profondeur des personnages, la poésie crépusculaire, les dits et les non-dits, j’ai tout adoré. Je suis sorti abasourdi de cette lecture. J’avais peine à croire à cette apparition spontanée d’un auteur aussi talentueux. J’étais surpris que R.J. Ellory ne soit pas déjà célèbre avec un roman aussi parfait à son actif (il a ensuite très vite gagné en notoriété, ce qui était pour le moins mérité). Je ne suis pas masochiste, mais cette claque et la noirceur émanant de ce livre m’ont fait énormément de bien. L’impression d’avoir rencontré un ami inconnu qu’on attendait depuis si longtemps. Un roman sombre et attendrissant. Une histoire marquante. De la mélancolie apaisante. L’exploration de l’âme humaine. Une découverte qui n’allait pas rester sans lendemain. Je n’avais qu’une hâte : me procurer d’autres romans de ce mystérieux R.J. Ellory. Ce que j’ai fait et je ne l’ai jamais regretté.

Mauvaise étoile

(Roman / 2011 / Bad signs)

Couverture du roman Mauvaise étoile de RJ Ellory

Texas, années 60. Elliott et Clarence, deux frères orphelins, n’imaginent pire enfer que leur vie en maison de correction pour mineur. Ils s’enfoncent néanmoins davantage dans les ténèbres lorsqu’ils sont pris en otage par Earl Sheridan, un tueur sanguinaire sans scrupule et sans état d’âme.

Mauvaise étoile est un roman palpitant qu’on ne referme qu’à contrecœur, lorsqu’on n’a pas d’autre choix. Le genre de livre qu’on a hâte de finir parce qu’on veut en connaître la fin et en même temps on aimerait qu’il ne se termine jamais parce qu’on vit une aventure haletante aux côtés des adolescents poursuivis par une poisse inconcevable.

R.J. Ellory fait parler son immense talent de conteur tout au long de ce road-movie sanglant et passionnant. Comme d’habitude, sa plume est précise et soignée, l’histoire entraînante et superbement construite et les personnages attachants ou repoussants. L’ensemble est dynamique, bourré de noirceur et d’humanité, bouleversant, captivant jusqu’aux dernières pages.

Assurément un de mes Ellory préférés.

Les Anges de New York

(Roman / 2010 / Saints of New York)

Couverture du roman Les Anges de New York de RJ Ellory

Frank Parish, policier new yorkais, est au bord de l’abîme. Il a perdu son partenaire, boit trop, a des difficultés relationnelles avec sa hiérarchie et sa famille, se moque de sa psychothérapeute qu’on l’oblige à consulter, se sent sombrer. Par ailleurs, il n’a pas réussi à se détacher d’un passé encombrant, d’un père à facettes multiples, héros de son vivant et jusqu’à sa mort dans l’exercice de ses fonctions au sein de cette même police. Sur la sellette, il se raccroche à une enquête, le meurtre d’une jeune fille, persuadé d’avoir affaire à un tueur en série.

Les Anges de New York est un roman jouissif. Autour du flic alcoolique et cynique, Roger Jon Ellory a construit un roman policier implacable, comportant tous les codes du genre. J’ai souvent ri à la lecture de ce livre. Je suis sûr que l’auteur s’est amusé à écrire le polar parfait, comprenant des rebondissements et une liste impressionnante de clichés, tout en évitant avec beaucoup d’habileté et de maîtrise de tomber dans le clichesque. Un livre sur le fil du rasoir, qu’on peut lire sur plusieurs niveaux. Un exercice de style magistral dans lequel on retrouve tout l’art, le talent et l’humour subtil de R.J. Ellory. Je me suis régalé !

Papillon de nuit

(Roman / 2003 / Candlemoth)

Couverture du roman Papillon de nuit de RJ Ellory

1982. Caroline du Sud. Daniel Ford est dans le couloir de la mort. Accusé d’avoir tué son meilleur ami, Nathan Verney, il attend l’application de la sentence. Avant son exécution, il raconte son histoire à un prêtre, John Rousseau.

Pour son premier roman publié, Roger Jon Ellory s’attaque à deux sujets qui lui tiennent à cœur : l’Amérique des années 60 et la peine de mort.

Il dresse un tableau sans complaisance de l’étroitesse d’esprit de l’Amérique profonde. La ségrégation bat son plein. Le KKK règne sans être inquiété. L’Histoire se construit au rythme du rock’n’roll, des drogues, des assassinats des Kennedy et de Martin Luther King, du bourbier de la guerre du Viet Nam, du scandale du Watergate et d’une justice approximative et expéditive. Ses héros et ses anonymes grandissent dans cette décennie effrénée, pour le meilleur et pour le pire. Souvent pour le pire quand on est noir. Et puis, il y a l’amitié et l’amour qui essayent de se faire une place au milieu de tout ça, des bouées de sauvetage pour ne pas étouffer dans la fange.

Le deuxième aspect abordé révèle le côté inhumain du couloir de la mort, des prisonniers qui attendent une grâce qui souvent ne viendra pas, qui attendent une date qui finit tôt ou tard par arriver, dans des conditions déplorables.

Premier roman publié et déjà cette plume à la fois ronde et acérée, déjà ces personnages fascinants, déjà cet art de conter des histoires magnifiques, déjà beaucoup d’humanité et déjà un chef-d’œuvre.

Un papillon de nuit noir et lumineux, obsédant et brutal, inoubliable.

Vendetta

(Roman / 2005 / A quiet vendetta)

Couverture du roman Vendetta de RJ Ellory

2006. La Nouvelle Orleans. La fille du gouverneur de Louisiane est enlevée. Son ravisseur exige de ne traiter qu’avec Ray Hartmann, un fonctionnaire travaillant à Washington contre le crime organisé. Les forces de police obtempèrent. La confrontation démarre. Le kidnappeur mène le jeu et joue au chat et à la souris avec Hartmann. Au fil des jours, celui-ci se rend compte que son interlocuteur lui raconte sa vie de tueur à gages et cinquante ans de mafia américaine.

R.J. Ellory ne fait pas les choses à moitié, une fois de plus. Dans Vendetta, il présente aux lecteurs la face sombre de l’Amérique, la face cachée, celle de la mafia, du crime organisé, de la corruption, des trahisons et des vengeances, l’implication des hommes politiques. La tension monte crescendo. Les fausses pistes se succèdent. Une mécanique bien huilée pour arriver à un final étourdissant.

Je vais encore mettre en avant l’écriture aux petits oignons et le talent de conteur exceptionnel de R.J. Ellory, ses personnages travaillés et son goût du détail. Encore un livre de cet auteur que j’ai dévoré. Quand on aime, on ne compte pas.

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D’autres lectures
Fred Vargas – Série « Adamsberg »
Dezso Kosztolanyi – Anna la douce

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Laurence Mouillet – La disparue du cinéma

(Roman / 2025)

Couverture du roman La disparue du cinéma de Laurence Mouillet

Un sordide fait divers secoue l’Alsace en 1995. Carole Prin, caissière dans un cinéma strasbourgeois, disparaît alors qu’elle est sur le point d’accoucher. Le mystère fait couler beaucoup d’encre. Crime ? Disparition volontaire ? Son compagnon est plaint par les uns, accusé du pire par d’autres, mais aucune preuve ne le met en cause. L’enquête piétine de longues années avant un dénouement spectaculaire et morbide.

En 1995, Laurence Mouillet est étudiante à Strasbourg, loin de sa famille. Pour financer ses études, elle travaille comme caissière dans le même cinéma que Carole Prin. Elle se retrouve donc directement confrontée à la disparition de sa collègue. Trente ans plus tard, elle publie un roman racontant la tragédie au travers de la jeune femme qu’elle était à l’époque.

Ce livre n’est pas une enquête journalistique décortiquant l’affaire point par point. Laurence Mouillet a écrit un roman, a changé les noms des protagonistes, a livré la vision du personnage Claire sur la disparition de sa collègue Sandra, le ressenti de Claire, des instantanés puisés dans ses souvenirs, le traumatisme que le drame a provoqué sur cette jeune étudiante qui rêvait d’amour, de découvertes, de culture et de voyages, à un âge où l’on vit, où l’on se cherche, où l’on aime, où l’on rêve et où l’on n’imagine pas un instant être entraîné dans une tragédie pareille.

J’évoque un traumatisme, parce que si Laurence Mouillet a attendu 30 ans avant de pouvoir s’exprimer librement sur le sujet, c’est qu’elle a certainement été traumatisée par cette histoire et on peut la comprendre.

Un roman poétique, thérapeutique, intime, mêlant sordide et perte d’innocence, craintes sourdes et doux espoirs d’une jeune femme qui prend son envol dans l’existence. Un récit délicat célébrant la vie, avec la menace permanente du cauchemardesque monstre tapi sous le lit. Une grande réussite.

L’auteure et son œuvre

Laurence Mouillet est née en 1975. Rédactrice dans l’audiovisuel, elle a publié Schlager Club en 2022, puis La disparue du cinéma en 2025.

Mon Laurence Mouillet ++

Je n’ai rien lu d’autre de cette auteure.

À découvrir aussi (clic sur le titre pour en savoir davantage)

D’autres lectures
Honoré de Balzac – La Maison du Chat-qui-pelote
Markus Zusak – La voleuse de livres

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Isabel Allende – La maison aux esprits ♥

(Roman / 1982 / La casa de los espíritus)

Couverture du roman La maison aux esprits d'Isabel Allende

Le pays où se déroule ce roman n’est jamais cité, mais il ressemble beaucoup au Chili et ce n’est pas un hasard. Isabel Allende est la nièce de Salvador Allende, président chilien renversé par le dictateur Pinochet en 1973. L’Histoire, son histoire personnelle, sa rage contenue, son héritage spirituel, son talent et du travail lui ont permis d’accoucher de ce chef-d’œuvre en 1982.

La maison aux esprits est un récit historique, une saga familiale sur quatre générations, un roman d’une puissance rare et un livre inoubliable. J’en suis sorti secoué, triste et heureux.

Isabel Allende a le verbe fleuri et intense de l’Amérique du Sud. Son écriture est riche et précise. Ses personnages ont du caractère. Ils sont impétueux, en colère, révoltés, mais aussi passionnés, dévoués, amoureux fous et protecteurs. Jusqu’au-boutistes. J’ai dévoré ce roman, vécu au coeur de l’action, tremblé, souri, soupiré, souffert avec chacun d’eux.

La maison des esprits est amour et haine, vengeance et pardon, combats et convictions.

Isabel Allende est inventive, drôle, cruelle, tellement douée. La plus belle femme du roman naît avec des cheveux verts. Ça passe comme une lettre à la poste. Comme les passerelles entre le monde des morts et celui des vivants. Parce qu’Isabel Allende l’affirme de manière à ce que le lecteur n’en doute pas un seul instant.

Ce roman explore de nombreux sujets. Au niveau de l’individu, le désir, l’amour vrai, impossible, physique, innocent, coupable, la trahison, la colère, la vengeance, l’ambition, le déni, le deuil, la souffrance, la solidarité, la force, l’instinct de survie, la méchanceté humaine. Au niveau de la société, la lutte des classes, la différence entre pauvres et riches, entre hommes et femmes, le capitalisme face au marxisme, l’horreur d’une dictature et les exactions associées, la fragilité des démocraties, le pouvoir de l’argent, l’impact de la religion. Et il y a ces réflexions profondes : les liens entre vivants et morts, la vision de l’avenir, le temps qui passe, le sens de la vie et les événements cycliques, qui ramènent au début de la chronique : La maison aux esprits est un chef-d’œuvre ! ♥

L’auteure et son œuvre

Isabel Allende née le 2 août 1942 à Lima au Pérou. Fille de diplomate, cette nièce du président chilien Salvador Allende est chilienne et naturalisée américaine. Après avoir fui la dictature de Pinochet en 1975, elle s’est exilée au Venezuela puis aux Etats-Unis. Journaliste et écrivaine, elle a écrit une quinzaine de romans, des autobiographies, des nouvelles et des pièces de théâtre. Son œuvre est traduite en une quarantaine de langues.

Mon Isabel Allende ++

Je n’ai rien lu d’autre de cette auteure.

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Sabrina Péru – Breaking News

(Nouvelles / 2021)

Couverture du recueil de nouvelles Breaking News de Sabrina Péru

Ce recueil de nouvelles a tout pour plaire. Sabrina Péru est redoutable. Sous de faux-airs de légèreté, elle aborde avec talent au détour d’un tour de cadran des sujets importants déguisés en mordants boniments. Elle met des mots sur des maux, avec humour et glamour. Elle joue avec les mots, les sonorités, les sots, les minorités. Du caustique, cynique, sardonique, sarcastique. Elle pointe du doigt les hics qui font mal, tout en gardant le sourire pour le meilleur et pour le pire. Ses nouvelles sont à chute et parfois à chutes, comme elle l’indique.

Sabrina Péru est inventive et créative. Elle nous balade dans le temps et sur les continents. À la manière de la célèbre série Noir Miroir, elle fait déraper l’univers connu, juste ce qu’il faut pour basculer vers l’inconnu, le saugrenu, le potentiel, le cruel, le sensationnel. Le petit détail qui change tout et qui enchante.

Avec Breaking News, Sabrina Péru surprend (les histoires, les chutes), émeut (la sensibilité de l’auteure à l’œuvre), divertit (Sabrina Péru est drôle) et prête à réfléchir (de fortes thématiques sociétales ou individuelles).

J’ai passé un excellent moment dans ces histoires courtes.

Je cite Sabrina Péru : « La vie ne fait pas de cadeau aux mal assis ! ».

Quatrième de couverture

24 nouvelles baroques, 24 personnages loufoques, 24 heures O’clock.

Pourquoi Breaking News ?
Parce qu’il fallait un titre qui détonne, qui décoiffe, qui décape. Et que ça a plus de gueule en anglais.
Parce que nous vivons dans une ère de l’instant.
Parce que nous vivons dans une ère de l’instantanéité où la folie côtoie la raison, la maladie l’horizon et l’amour l’illusion.

Des nouvelles à chut(e) qui feront beaucoup de bruit : questions environnementales, politiques, du Japon aux USA, d’une époque à l’autre, de Robin des Bois à Zuckerberg, des rêveries aux âneries, plongez dans un univers différent à chacune de ces nouvelles qui interrogent le monde sans jamais y apporter de réponse.
Mais avec humour toujours, car c’est bien ce qu’il nous reste, à nous autres, habitants de la planète ?

L’auteure et son œuvre

Professeure des écoles et de FLE, Sabrina Péru a beaucoup voyagé avant de poser ses valises. Elle a pris des notes sur la route. Puis elle a passé la vitesse supérieure avec une pièce de théâtre, La complainte du Belzébuth, parue aux Éditions L’Harmattan en 2021, et deux recueils de nouvelles Breaking News qui est réédité en 2025 et La sagesse des dents qui tombent en 2024. Elle anime également des ateliers d’écriture.

Mon Sabrina Péru ++

Je n’ai rien lu d’autre de cette auteure pour le moment.

À découvrir aussi (clic sur le titre pour en savoir davantage)

D’autres lectures
Jane Austen – Raison et sentiments
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Laszlo Krasznahorkai – Tango de Satan

(Roman / 1985 / Sátántangó)

Couverture du roman Tango de Satan de Laszlo Krasznahorka

Europe de l’Est, deuxième moitié du vingtième siècle, octobre. Dans une coopérative agricole désaffectée, ceux qui ne sont pas partis dépriment entre alcool, fantasmes et mesquineries. Le retour d’un des leurs que tout le monde croyait mort rallume l’espoir fou d’un avenir meilleur.

Ce premier volet de quatre romans s’apparentant à une tétralogie (dont les tomes peuvent se lire indépendamment sans aucun souci puisque non liés) a été ma première incursion dans l’univers de Laszlo Krasznahorkai. Et quelle incursion !

De la pluie, de la boue, la médiocrité humaine, un système qui s’effondre et qui implose, des pensées tortueuses, de vaines chimères, des instincts primaires, la folie, la mort, un château de sable, des araignées, de la boue encore. Ce roman dépote grave !

Comme pour Proust, il m’a fallu une dizaine de pages pour m’adapter et ensuite apprécier pleinement la lecture fluide qui a suivi. Un livre oppressant, qui pèse sur l’estomac, déroutant, glauque, pessimiste, mais qu’on ne peut pas lâcher une fois qu’on l’a commencé.

Attention, Tango de Satan est un roman pour lecteurs avertis. Une lecture exigeante. Les chapitres ne sont pas courts et sont composés d’un seul paragraphe, les phrases longues se succèdent.

Une expérience de lecture extraordinaire et étonnante et marquante. Une de ces excellentes surprises qu’on savoure avec un petit sourire aux lèvres, heureux d’avoir croisé son chemin, de ne pas être passé à côté mais d’avoir fait le pas nécessaire pour faire plus ample connaissance.

J’ai eu hâte de dévorer les trois romans suivants de cet auteur hongrois qui ne peut laisser indifférent.

L’auteur et son œuvre

Laszlo Krasznahorkai est né le 5 janvier 1954 à Gyula (Hongrie). Romancier, nouvelliste, essayiste, scénariste, il a notamment écrit une douzaine de romans et plusieurs recueils de nouvelles. Il a travaillé avec le réalisateur Béla Tarr sur l’adaptation en films de cinq de ses romans. Le film Tango de Satan dure 7h30, à la mesure de la démesure de l’œuvre.

Prix Nobel de littérature 2025.

Mon Laszlo Krasznahorkai ++

Je suis heureux d’avoir lu sa tétralogie. Une lecture choc, inoubliable. Laszlo Krasznahorkai est clivant. Je fais partie des convaincus du talent unique de cet auteur, des adeptes de ses phrases à rallonge, interminables, sombres, torturées, à l’image du monde en dérive décrit dans ses livres qui ne laissent place à aucun espoir.

Je n’ai pas encore eu l’occasion de lire le reste de son œuvre.

Joëlle Dufeuilly

Je tire mon chapeau à Joëlle Dufeuilly, la traductrice de cette œuvre vertigineuse ! Je ne lis pas en VO hongroise, mais j’imagine l’exercice de traduction incomparable auquel Joëlle Dufeuilly a été confrontée. J’aurais aimé voir sa tête, lorsqu’on lui a proposé ce travail, lorsqu’elle a découvert de quoi il s’agissait. Elle s’en est sortie très haut la main. Ses traductions sont impressionnantes, extraordinaires. Je suis convaincu qu’elle a réussi le tour de force de se hisser au niveau de l’œuvre originale. Un exploit, pour cette tétralogie hors du commun.

La mélancolie de la résistance

(Roman / 1989 / Az ellenállás melankóliája)

Couverture du roman La mélancolie de la résistance de Laszlo Krasznahorkai

Quand l’économie d’un pays est au plus bas, ses habitants souffrent et s’inquiètent. Des peurs ancestrales resurgissent, menaçant chaque individu et la société. Les intellectuels dépriment et se cachent derrière la certitude de l’inévitable effondrement d’un monde dénué de sens. Les sots, éternels incompris, continuent de rire et de s’émerveiller de tout et de rien. Des profiteurs flairent des opportunités et ourdissent en secret. La crise attire des vendeurs d’illusions, obsédés par l’argent, le pouvoir ou la destruction, accompagnés de disciples aveuglés par de ronflantes promesses ou par le goût de la violence et l’odeur de la mort. L’autorité vacille, les hordes sont lâchées, le sang coule. Le réveil est douloureux. Lorsque la raison reprend le dessus, l’amnésie frappe les acteurs, les excuses fusent, la justice punit des coupables. Les plus malins tirent leur épingle du jeu. Les intellectuels constatent les dégâts, dépités. Les sots sont sacrifiés. Des victimes sont célébrées en héros. La vie reprend. L’histoire est un éternel recommencement.

Dans La mélancolie de la résistance, Laszlo Krasznahorkai nous raconte un de ces épisodes funestes à sa manière, dans une ville du sud-est de la Hongrie au bord du précipice. Le propos est glauque et oppressant. Le cataclysme latent. Les personnages sous tension. Les sens du lecteur en alerte en permanence.

L’écriture de l’auteur est toujours aussi riche et extrême (un paragraphe unique par chapitre, des phrases à rallonge). Un magma visqueux implacable agrémenté de bijoux d’humour noir subtil. Contre toute attente (pour qui n’a jamais goûté), la lecture est extrêmement fluide.

Un roman puissant d’un auteur singulier.

Une deuxième expérience remarquable après Tango de Satan.

Guerre & guerre

(Roman / 1999 / Háború és háború)

Couverture du roman Guerre & guerre de Laszlo Krasznahorkai

J’ai dévoré ce troisième roman de Laszlo Krasznahorkai comme les deux précédents, avec avidité, impressionné par le style inimitable de l’auteur et par son imagination féconde, mais aussi par cette qualité qui me plaît énormément : il ne se refuse rien, ce qui rend la lecture de son œuvre addictive et surprenante au niveau du contenu, l’auteur nous promenant à travers deux histoires imbriquées de Hongrie en Amérique, en passant notamment par la Crète, Cologne, Venise et le mur d’Hadrien, mais aussi au niveau de l’écriture, songez donc, 341 pages et 158 phrases en tout et pour tout, avant un ultime clin d’œil de l’auteur en conclusion (deux phrases très courtes), qui montre à la fois son humour singulier et sa proximité avec ses lecteurs qu’il aura pris le soin de perdre, de retrouver, de reperdre tout au long de ce livre hors du commun, d’une originalité irréfutable, livre que j’ose même qualifier tout bonnement d’époustouflant, je pèse mes mots, époustouflant, oui, qui étonne à en faire perdre haleine, c’est tout à fait ce que j’ai ressenti au fil de ces pages sombres et palpitantes qui ne laissent aucun répit à l’intrépide qui s’aventure dans cette épopée, jusqu’à cette fin spectaculaire à la Krasznahorkai que je ne vais évidemment pas dévoiler, mais que pouvions-nous attendre d’autre comme dénouement ? je vous le demande, après cette quête simultanée de l’éternité, de la beauté ultime et de la fin justement, la boucle se bouclant, mais pas encore cette chronique, parce que je ne rendrais pas un hommage digne de lui à ce roman en omettant de mentionner la précision de la plume de l’auteur et surtout sa maîtrise des personnages, une fois de plus bluffants, du personnage principal Korim, obscur archiviste de son état dans une petite ville hongroise jusqu’à une découverte qui va bouleverser son existence, Korim dont la crainte principale est de perdre la tête, au sens littéral, et dont l’arme secrète pour lutter contre la peur est de se lancer dans une logorrhée protectrice, de Korim donc, mais aussi de tous les personnages qui gravitent autour de lui durant les 8 chapitres de ce périple fascinant. Une belle expérience.

Le baron Wenckheim est de retour

(Roman / 2016 / Báró Wenckheim hazatér)

Couverture du roman Le baron Wenckheim est de retour de Laszlo Krasznahorkai

Le quatrième de la tétralogie. Laszlo Krasznahorkai est allé au bout de son concept, à tous points de vue.

La forme. J’ai lu la version poche de Babel. 580 pages. La première phrase fait près de 7 pages. La deuxième en fait 11. La moyenne tourne autour de 3 ou 4 pages. Le lecteur saute des pensées d’un personnage à celles d’un autre. Un pli à prendre pour comprendre. Des personnages nommés, d’autres non. Un autre pli. Après les plis, un bonheur de lecture.

Le fond. Si j’osais, ou si on m’obligeait à résumer ce pavé en 10 mots, je dirais : la petitesse de l’humain et la vacuité du tout.

Et puis il y a l’histoire et les personnages.

L’histoire principale, le retour du vieux baron Wenckheim dans sa ville natale, en Hongrie, après une vie passée en Argentine. Pour finir ses jours sur les terres qui l’ont vu naître ? pour renflouer les caisses de la ville sinistrée ? pour retrouver un amour de jeunesse ? Et les histoires annexes. Celle du professeur célèbre qui vit dans un cabanon coupé du monde. Celle d’une bande de bikers nationalistes. Celles des autorités, corrompues ? incompétentes ? Celles des habitants de cette ville économiquement à la dérive.

Tout est gangréné par la médiocrité.

Un pamphlet anonyme crucifie le Hongrois.

Des événements s’enchaînent, sans aucun sens.

Un danger menace.

Le système est au bord du gouffre.

Laszlo Krasznahorkai distille son humour noir, perd le lecteur qui jubile en se raccrochant aux branches mortes de ce livre apocalyptique, déclame ses vérités compréhensibles ou non.

Parce que oui, malgré tout ce que j’ai décrit. Ou à cause de tout cela, de ces phrases interminables, de ces réflexions égoïstes et confuses, de ce pays qui s’effondre, des incompréhensions et des maladresses qui se succèdent, du Dante qu’on n’attendait pas, d’un tube de Madonna, de la violence, de l’absurdité, de la démesure, ce roman est jubilatoire.

Laszlo Krasznahorkai l’a fait.

Fin de sa tétralogie qui peut se lire dans le désordre.

Pour lecteurs avertis. Je vous aurai prévenus.

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