Julien Green – Léviathan

(Roman / 1929)

Couverture du roman Léviathan de Julien Green

Précepteur mal marié, installé depuis peu en province, Paul Guéret tombe amoureux d’une jeune et belle blanchisseuse, Angèle, et traîne son désespoir entre Chanteilles et la ville voisine de Lorges, où Mme Londe tient un restaurant et des clients sous sa coupe.

Commentaire

« Léviathan » de Julien Green ressemble à du Balzac déprimé s’intéressant aux vies ratées de petites gens de province.

« Léviathan » est un roman admirablement construit, oppressant, sombre, pessimiste, écrit d’une magnifique plume dans un style d’une autre époque. Les personnages sont superbement décrits, leur psychologie décortiquée de manière minutieuse et approfondie. L’atmosphère glauque est bien rendue.

Guéret est malheureux. Il a du mal à entrevoir une lueur d’espoir dans sa vie terne et médiocre. La communication n’étant pas son fort, il peine à nouer des relations, à partager ses angoisses, à dire ce qu’il a sur le cœur. Il est follement amoureux aussi, mais pas de sa femme. Les autres personnages ne sont guère davantage à la fête. Ils vivent tous un enfer, chacun à sa façon. Julien Green n’y va pas de main morte dans ce drame épouvantable à faire frémir, entre amour impossible, prostitution, pédophilie, asservissement, agression, meurtre, rêves avortés et constat de l’inéluctable vacuité de l’existence.

Une fois plongé dans la détresse de Paul Guéret, dans les aspirations d’Angèle, dans les esprits troubles de Mme Londe et de Mme Grosgeorges, dans les démons des uns et des autres, j’ai eu du mal à lâcher le livre avant d’avoir lu la dernière page. J’ai adoré l’histoire et les personnages. Et j’ai adoré l’écriture de Julien Green, riche, précise, classique. Un roman noir exceptionnel.

Extraits

Ce besoin de se sentir entourée, de voir les visages sourire à son approche, les mains se tendre, elle l’avait eu depuis longtemps, comme tous les êtres que leurs jolies figures a accoutumés à la bienveillance et aux compliments de tous. Sans doute n’ignorait-elle pas qu’on la jugeait durement et que plusieurs des personnes qui lui parlaient avec douceur, lorsqu’elle les rencontrait, ne se faisaient pas faute de la rudoyer dans leurs conversations entre elles, mais cela lui était à peu près égal. Un extérieur de cordialité lui suffisait. (p.102)

 Pourtant on ne sait jamais ; le monde est si adroit dès qu’il s’agit de nuire aux honnêtes gens. (p.186)

 Je souhaite, comme tout le monde, être parfaitement heureux ; mais, comme pour tout le monde, il faut que ce soit à ma propre façon. (p.93)

 « Comment vivent les autres ? se demandait-elle souvent. Comment font-ils pour aller de semaine en semaine jusqu’à la fin de l’année ? »
Elle s’irritait de cette sorte de voyage à travers le temps qu’elle était contrainte d’accomplir. Où la menait-il ? Vers quelle joie ? Quelle compensation lui ferait oublier sa fatigue ? Jamais la foi n’avait eu de prise sur cette femme à qui toutes les religions paraissaient également fausses, puisque aucune d’elle ne pouvait lui expliquer pourquoi on la faisait vivre et pourquoi, cette vie lui étant donnée, le jour devait venir où elle en serait privée. (p.197)

 Sa raison avait beau lui dire qu’elle perdrait son temps : de quel secours la raison était-elle jamais dans les grands moments de la vie ? (p.241)

L’auteur et son œuvre

Julien Green est né Julian Hartridge Green le 6 septembre 1900 à Paris, de parents américains. Cet écrivain américain de langue française a été le premier étranger élu membre de l’Académie française, le 3 juin 1971. Il est considéré comme un écrivain majeur de la littérature française du 20e siècle. Il est décédé le 13 août 1998 à Paris.

L’œuvre de Julien Green, marquée par sa foi catholique et son homosexualité, interroge souvent sur les notions de bien et de mal. Outre ses romans les plus célèbres, « Mont-Cinère », « Adrienne Mesurat » et « Léviathan », il est connu pour son « Journal », publié en 19 volumes, qui couvre de 1919 à 1998. Il a écrit une vingtaine de romans, des nouvelles, six pièces de théâtre, des autobiographies et des essais.

Une constante dans les quatre romans que j’ai lus de cet auteur d’une lucidité parfois presque effrayante : ses personnages sont incapables de trouver le bonheur et s’en rendent compte. Pire, ils ne comprennent souvent pas eux-mêmes pourquoi ils sont malheureux, pourquoi ils ont l’impression d’être nulle part à leur place dans la société. Torturés par des conflits intérieurs qui les dépassent, par des sentiments qui les détruisent, ils risquent à chaque instant de perdre la raison.

Un auteur captivant, à découvrir ou redécouvrir.

Mon Julien Green ++

Léviathan a été ma première expérience dans l’univers de Julien Green. J’en suis ressorti tourneboulé, avec une grosse envie d’en connaître davantage sur cet auteur. J’ai enchaîné avec les trois autres romans décrits ci-dessous.

Mont-Cinère

(1926)

En Virginie, trois générations de femmes vivent à Mont-Cinère, une grande maison isolée. La mère, maîtresse de maison avare, économise le moindre argent et notamment le bois de chauffe, ce qui rend la maison aussi froide en température qu’elle ne l’est en amour. La grand-mère a peur que sa fille ne l’empoisonne, pour dépenser moins d’argent en nourriture et en chauffage. La fille, Emily, laide et solitaire, craint que sa mère ne vende des meubles, de la vaisselle ou des objets décoratifs ayant appartenu à son père et qui lui reviendraient donc de droit un jour. Elle ne rêve que d’hériter de la propriété pour lui rendre son faste d’antan et y vivre à sa guise, sans devoir rogner continuellement sur tout.

Julien Green frappe très fort avec ce premier roman. « Mont-Cinère » déroule avec précision les obsessions maladives de trois femmes qui les éloignent peu à peu les unes des autres et les coupent de la réalité. Emily, la plus jeune, tentera de trouver du secours à l’extérieur de la famille, espérant que Dieu ou les hommes l’empêcheront de glisser vers la folie.

Ce thriller psychologique d’une autre époque dépeint trois personnages détestables qui se détestent, incapables de communiquer, obnubilés par les biens. Passionnant.

Le style relevé, rigoureux et tellement plaisant de Julien Green est déjà en place dans « Mont-Cinère », ce qui rend la lecture de ce roman noir d’autant plus agréable.

Adrienne Mesurat

(1927)

Dans la morne petite ville de La Tour-L’Evêque, la belle Adrienne Mesurat, dix-huit ans, dépérit entre un vieux père autoritaire et engoncé dans une routine aveugle et une sœur plus âgée, aigrie et malade. Une existence sans espoir, comme cet amour impossible auquel elle se raccroche pour ne pas sombrer.

Le style classique et impeccable de Julien Green mis au service de l’histoire d’Adrienne Mesurat. Cette jeune femme malheureuse se sent prisonnière dans une famille étroite d’esprit, incomprise dans une maison privée de sentiments, surveillée du matin au soir. Sa vie lui semble être un cauchemar sans fin. La folie la guette. Julien Green décortique chirurgicalement la descente aux enfers de son héroïne. Il y a toujours du Balzac dans sa plume soignée, mais aussi du Flaubert dans les traits et le destin d’Adrienne, en plus oppressant, plus déprimant. Roman noir. Roman psychologique. Roman tragique. Roman envoûtant. « Adrienne Mesurat » est souvent considéré comme le chef d’œuvre de l’auteur. Roman que j’ai apprécié et que je conseille vivement au même titre que les autres romans décrits dans cet article.

Extraits

Il fallait la regarder quelque temps pour s’apercevoir qu’elle était belle. (p.31)

 C’est un fait souvent observé que le monde, l’humanité tout entière cesse de se développer et de changer aux yeux des vieillards. (p.48)

 Le cœur humain est ainsi fait. Il laisse s’écouler de longues années et ne songe pas un instant à se mutiner contre son sort, puis il vient un moment où il sent tout d’un coup qu’il n’en peut plus et qu’il faut tout changer dans l’heure même et il craint de tout perdre s’il diffère d’un seul jour cette entreprise dont la veille encore il n’avait pas l’idée. (p.130)

 Si j’étais vous

(1947)

Qui n’a rêvé d’échapper à un « moi » trop connu, et le plus souvent inconfortable, pour entrer dans la peau d’un autre qu’on imagine forcément plus fort et plus heureux ? Ce pouvoir est donné à Fabien. (début de la quatrième de couverture).

Julien Green nous offre une incursion dans le fantastique.

Un soir de pluie, le chemin de Fabien Especel croise celui d’un vieillard étrange, Brittomart, qui lui propose d’exaucer un de ses souhaits secrets : changer d’identité, vivre la vie de quelqu’un d’autre, sauter de corps en corps aussi souvent qu’il le désire. Fabien, la vingtaine, vivant seul, survivant grâce à un travail de bureau qui lui déplaît profondément, de santé fragile, finit par accepter. Mais au fil de sa quête, il se rend compte qu’il a du mal à trouver le bonheur recherché dans des existences qui paraissaient pourtant prometteuses. Il comprend que l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs.

Une intéressante réflexion sur l’éternelle insatisfaction de l’être humain de sa propre condition.

Un roman prenant, avec en prime toujours l’écriture élégante et travaillée de Julien Green.

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Tiffany McDaniel – Betty ♥

(Roman / 2020)

Couverture du roman Betty de Tiffany McDaniel

Betty naît en 1954, sixième des huit enfants de Landon Carpenter, un Cherokee, et de Alka, née Lark, une blanche. Elle est la seule à avoir la même peau sombre que son père qui l’appelle affectueusement Petite Indienne. Elle raconte l’émouvante et tragique histoire de sa famille, sur la route puis dans une vieille maison qui passe pour être maudite, à Breathed, Ohio.

Abandonnant peu à peu l’innocence de l’enfance, Betty devra trouver sa place dans un monde sans pitié, entre racisme, moqueries, humiliations, méchanceté humaine et terribles secrets de famille, aidée par la sagesse et les récits empreints de magie et de poésie de son père.

Commentaire

Le destin d’une famille de laissés-pour-compte. Autour de Betty, la courageuse Petite Indienne qui tente de faire disparaître ses horribles découvertes en les écrivant sur papier puis en les enterrant, Tiffany McDonald nous offre une panoplie de portraits touchants. Fraya, la grande sœur, qui chante des chansons tristes. Flossie, l’autre sœur, qui rêve d’être une étoile à Hollywood. Trustin, le frère doué en dessin. Lint, le petit dernier, hypocondriaque et collectionneur de cailloux auxquels il raconte ses peines. Un grand frère qui a la bougeotte. Une mère au caractère instable. Et surtout, Landon, le père sublime, qui distille histoires fantastiques, remèdes tirés de plantes et autres conseils de communion avec la nature, le tout issu de sa culture cherokee. Un père toujours optimiste et positif alors que les Blancs lui rendent souvent la vie difficile. Un père tolérant alors qu’il est battu à cause de la couleur de sa peau. Un père qui tente d’apporter un soutien perpétuel aux uns et aux autres par son amour et ses mots.

Tiffany McDonald raconte les joies et horreurs du quotidien avec simplicité et beaucoup de sensibilité et de poésie par l’intermédiaire de Betty, la narratrice. Elle aborde des sujets universels et malheureusement indémodables pour certains : la famille, le temps qui passe, la transmission, les bienfaits de la nature, la quête du bonheur, la force de l’imagination, l’amour, le passage de l’enfance à l’adolescence puis à l’âge adulte, la pauvreté, le sentiment de culpabilité, l’intolérance, la crédulité, les violences faites aux femmes et aux enfants, la religion, la toxicité de certaines personnes, l’extermination de peuples et de leurs traditions.

Betty, ses sœurs et sa mère sont confrontées aux souffrances liées à la condition de la femme. Le personnage de Landon illustre quant à lui le mal fait par les plus forts au long de l’Histoire de l’humanité : discriminations, génocides, extinctions de cultures.

Le roman, émouvant, passionnant, bouleversant, prend une dimension supplémentaire lorsqu’on apprend que la mère de Tiffany McDonald, Betty, d’origine cherokee, est née elle aussi en 1954.

Noir et lumineux. Un roman à lire absolument.

Betty / Ainsi a-t-il été

Je fais une entorse à une règle personnelle que j’avais respectée jusqu’à aujourd’hui sur ce site : ne pas évoquer mes propres romans dans les articles consacrés à d’autres auteurs. Petite entorse parce que je trouve des parallèles intéressants au niveau des sujets abordés entre « Betty » et Ainsi a-t-il été. Avis aux amateurs.

Extraits

Devenir femme, c’est affronter le couteau. C’est apprendre à supporter le tranchant de la lame et les blessures. Apprendre à saigner. Et malgré les cicatrices, faire en sorte de rester belle et d’avoir les genoux assez solides pour passer la serpillère dans la cuisine tous les samedis. Ou bien on se perd, ou bien on se trouve. (p.23)

Nous partagions une même imagination alors. Une seule et belle pensée. L’idée que nous étions importantes. Et que tout était possible.

Mais dès que nous quittions la scène et que nous nous éloignions de notre monde, la réalité ne tardait pas à se rappeler à nous. (p.117)

 Nous nous raccrochions comme des forcenées à l’espoir que la vie ne se limitait pas à la simple réalité autour de nous. Alors seulement pouvions-nous prétendre à une destinée autre que celle à laquelle nous nous sentions condamnées. (p.216)

– Si tu écrivais un poème sur ton père vivant dans un flocon, qu’est-ce que tu dirais, Betty ?
– Je dirais : Mon papa vit dans un flocon de neige. Il a froid. Je le vois en hiver seulement. Une fois, j’ai voulu le serrer contre moi. Mais il a aussitôt fondu dans ma main. Mon papa vit dans un flocon de neige. Il a froid. En été, il me manque énormément. (p.252)

 C’était une femme si belle que les miroirs se lamentaient en son absence. (p.285)

 Tu sais quelle est la chose la plus lourde au monde, Betty ? C’est un homme qui est sur toi alors que tu ne veux pas qu’il y soit. (p.299)

 Il y avait des choses chez mon père qui commençaient à s’écailler, comme une peinture qui vieillit. Quand je lisais les livres que j’empruntais à la bibliothèque, je pensais que mon père – comme les histoires que ces livres racontaient – était né de l’esprit de ces écrivains. (p.319)

 Toutes les mères sont envieuses de leurs filles, dans une certaine mesure, parce que les filles ne sont qu’au début de leur jeunesse, alors que les mères voient la leur s’évanouir peu à peu. (p.462)

 – Je pense que les araignées chantent, répétait Flossie. La toile est leur chanson. (p.573)

L’auteure et son œuvre

Tiffany McDaniel est née en 1985 dans l’Ohio aux États-Unis. Elle est romancière, poétesse et plasticienne. Elle a écrit deux romans à ce jour Elle a écrit trois romans à ce jour : Betty, L’été où tout a fondu et Du côté sauvage.

Après le monumental Betty et le phénoménal L’été où tout a fondu, Tiffany McDaniel a enfoncé le clou avec l’incroyable Du côté sauvage. Elle est en train d’intégrer discrètement mais sûrement le cercle des grands écrivains américains, John Steinbeck, Jack London, John Irving, Joyce Carol Oates, Harper Lee, Harriet Beecher Stowe, et de leurs classiques intemporels. Congratulations.

Mon Tiffany McDaniel ++

Trois romans, trois énormes coups de coeur.

L’été où tout a fondu

(2016 / The summer that melted everything)

Couverture du roman L'été où tout à fondu, de Tiffany McDaniel

Breathed, Ohio. 1984. L’été s’annonce particulièrement chaud. Le procureur Autopsy Bliss, obsédé par la justice et les erreurs judiciaires, fait publier une annonce dans le journal local, invitant le diable à se présenter chez lui. Un garçon noir dépenaillé apparaît le lendemain. Cet enfant aux yeux verts, Sal, prétend être le diable. Autopsy Bliss l’accueille dans sa famille. Sal se lie d’amitié avec son jeune fils Fielding. Mais la chaleur, les préjugés et la bêtise humaine font rapidement tourner la tête des habitants crédules de la petite ville lorsque se propage la rumeur de la présence du diable en ses murs.

Tiffany McDaniel frappe fort avec L’été où tout a fondu placé sous la bénédiction du Paradis perdu de Milton. Dans son style caractéristique, sombre et lumineux, poétique et littéraire, évocateur et précis, délicat, puissant dans les messages transmis tout en donnant une impression de légèreté, elle assène des vérités difficiles à entendre en s’appuyant sur une galerie de personnages attachants et ciselés comme du cristal fin. Dans ce roman qui s’apparente à un magnifique conte moderne noir, Tiffany McDaniel, sans enfiler de costume de moralisatrice, décrit la méchanceté et la bêtise humaine, le racisme et les préjugés qui ont la vie dure. L’humain est cruel envers l’humain mais aussi envers la nature (voir le sort réservé aux couleuvres et aux œufs des martinets ; insupportable mais tellement criant de vérité). Il ne sort pas grandi de ce roman envoûtant. Et pourtant, des épisodes de bonté sincère et profonde permettent de garder espoir quant au sens et à l’issue de la lutte permanente entre le Bien et le Mal.

A lire absolument.

Extraits

Quand vous n’avez personne de qui vous souciez, ni personne qui se soucie de vous, essayer d’améliorer vos conditions de vie est une perte de temps. (p.51)

 L’orgasme est un émerveillement aux flammes multiples pour les corps qui se jettent l’un contre l’autre et qui, dans cette collision amoureuse, transforme les garçons en maris et les filles en épouses. (p.208)

La douleur est la plus intime de nos rencontres. Elle vit à l’intérieur de nous et touche tout ce qui fait ce que nous sommes. Elle s’attaque à vos os, elle règne sur vos muscles, elle capte toutes vos forces et vous ne les revoyez plus jamais. Le grand talent de la douleur réside dans la façon qu’elle a de vous toucher. C’est aussi en cela que consiste sa grande cruauté. (p.280)

On peut en apprendre beaucoup sur un homme en observant ce qu’il fait avec un serpent. (p.298)

 Le garçon ne peut se rapprocher du bonheur si la fille qu’il aime n’est pas disposée à l’accompagner. Il peut toujours grandir, emprunter un smoking, un lever de soleil, une lune de miel sous les tropiques, mais sans elle, rien de tout cela ne sera à lui. Elle était sa vérité, sa sagesse, et sans elle, il n’était qu’un crétin. Rien qu’un imbécile menant une vie idiote. (p.313)

La folie. Un violon qui nous accompagne partout lorsqu’elle est dans notre tête, un chaos absurde lorsqu’elle est à l’extérieur de nous. En fin de compte, n’est-ce pas cela, la folie ? La clarté pour celui qui voit à travers elle, l’aberration pour le monde qui en est témoin. (p.341)

 Parfois des choses arrivent, de mauvaises choses, mais c’est une étape sur notre chemin, et il faut continuer à avancer. Sinon, on n’atteindra jamais la chose suivante, et il se pourrait bien que cette chose soit formidable. Il se pourrait que ce soit ce qui nous arrivera de mieux dans notre vie. (p.349)

 Il faut être dingue une fois de temps en temps, sinon on devient fou. (p.380)

Il est possible que quelqu’un parvienne à nous faire oublier ce don du ciel qu’est notre libre arbitre. C’est l’incapacité à exercer notre libre arbitre qui nous amoindrit tous. C’est l’affection touchant notre raison qui altère notre bon sens au point de nous rendre victimes de choix que nous n’aurions normalement jamais faits. (p.444)

Du côté sauvage

(2024 / On the wild side)

Couverture du roman Du côté sauvage de Tiffany McDaniel

Troisième roman de Tiffany McDaniel, troisième énorme coup de coeur.

Du côté sauvage est violent, mais aussi bienveillant.
Du côté sauvage est sombre, mais aussi lumineux.
Du côté sauvage est un pavé, 712 pages, mais aussi un pavé dans la mare.

Tiffany McDaniel est une romancière, mais aussi une voix qui porte. La voix des femmes en souffrance. La voix des démunies, des vulnérables, des maltraitées, des ignorées. De celles qui gonflent les statistiques des victimes de la drogue et de la prostitution. Qui encaissent sans broncher. Qui finissent mal et qui l’ont sans doute bien cherché selon des bien-pensants. Qui seraient insignifiantes selon les mêmes.

Tiffany McDaniel est factuelle, douce, brutale, poétique, dénuée de jugement. Sa voix qui porte interpelle. Ces femmes fragiles ne sont ni des défouloirs, ni des chiffres dans un tableau, ni des moins-que-rien. Elles ont été des enfants. Elles ont vu des choses qu’elles n’auraient jamais dû voir, vécu des choses qu’elles n’auraient jamais dû vivre. Elles ont une vie, des sentiments, des proches, un quotidien. Elles ont eu des rêves, en ont parfois encore.

Tiffany McDaniel montre la brutalité des hommes.

Tiffany McDaniel décrit le courage de ces femmes. Sa voix forte crie la douleur enveloppée dans la magie poétique de son art noir et lumineux. Son art unique. La douleur de celles qui souffrent en silence, dans l’indifférence. Elle décrit aussi le sort réservé aux enfants nés dans une famille qui sombre et la cruauté de la société à leur égard. Une vision alarmante de notre monde actuel.

Du côté sauvage est l’histoire d’Arc et de Daffy, deux jumelles à la chevelure rousse nées dans une famille compliquée à Chillicothe, Ohio. Je ne vous la raconterai pas. Lisez-la. Elle en vaut la peine. Elle m’a bouleversé. Elle vous bouleversera peut-être également.

Du côté sauvage est une réaction empreinte d’humanité à un horrible fait divers qui s’est déroulé à Chillicothe, Ohio.

Tiffany McDaniel est une conteuse merveilleuse. Elle est brillante dans la construction de ses histoires, dans son écriture, dans l’élaboration de ses inoubliables personnages. Son art unique lui permet de transformer des faits sordides en récits poétiques. Elle dispose d’une imagination incroyable, d’une force évocatrice inouïe, d’une sagesse infinie, d’une plume magnifique et d’un humour subtil, s’appuie sur une vaste culture générale et sur un puits de connaissances.

Du côté sauvage est le résultat d’un talent précieux et de beaucoup de travail : un roman indispensable, puissant, courageux, émouvant. Un hommage vibrant aux femmes anonymes en souffrance.

Du côté sauvage est le roman que j’attendais en 2024.

Tiffany McDaniel est la grande auteure américaine du 21e siècle.

Extraits

– Soyez patientes, mes chéries, disait mamie tandis qu’elle nous faisait part de sa sagesse de vieille femme. Car sans la patience, vous serez toujours en conflit avec la tâche qui vous attend. (p.76)

– Ma chérie, répondit mamie en prenant le visage de Daffy entre ses vieilles mains. Une sorcière, ce n’est pas un chapeau pointu, un balai, ou des verrues. Une sorcière, c’est simplement une femme qui est punie parce que sa sagesse est plus grande que celle des hommes. (p.77)

À qui pouvez-vous dénoncer les démons quand les démons sont ceux-là mêmes à qui vous allez les dénoncer ? (p.170)

– Qu’est-ce que tu as mis dans le cercueil avec elle, Arc ?
– Un caillou.
– Pourquoi tu l’as peint avec du rouge à lèvres ?
– Pour le transformer en pierre précieuse rouge. Comme ça, si sa tombe est fouillée un jour par une autre civilisation, dans le futur, ils la verront et sauront que c’était une reine. (p.213)

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Richard Matheson – Le jeune homme, la mort et le temps

(Fantastique / 1975 / Bid time return)

Couverture du roman Le jeune homme, la mort et le temps de Richard Matheson

Richard Collier, 36 ans, est atteint d’une tumeur inopérable. Il décide de passer le peu de temps qu’il lui reste à vivre dans un vieil hôtel au bord de la mer. Il y trouve une photographie d’Elise McKenna, une ravissante actrice du 19ème siècle. Intrigué, il cherche à connaître la vie de cette jeune femme. Puis il tombe amoureux de cette beauté du passé. Elle l’obsède. Et s’il parvenait à la rejoindre ? Ou est-il en train de perdre la raison ?

Commentaire

« Le jeune homme, la mort et le temps » est une histoire qui mêle romantisme et fantastique. Une course contre la montre entre l’amour et la mort. Un voyage poétique sans machine à remonter le temps, ni technologie moderne. Richard Matheson parvient à embarquer le lecteur dans cette histoire improbable par la force de ses mots, la volonté et les sentiments de ses personnages. Et la puissance des symphonies de Mahler.

Extrait

C’est tout à fait moi, ça. Trente-six ans, de passades en feux de paille, une vie semée de liaisons imitant l’amour. Mais rien de vrai, rien de solide.
Et voilà qu’ayant attendu d’être atteint d’une maladie incurable, je me mets en devoir de tomber enfin amoureux d’une femme qui est morte depuis une bonne vingtaine d’années.
Qui dit mieux ? (p.37)

L’auteur et son œuvre

Richard Matheson (20 février 1926 – 23 juin 2013) était un écrivain et scénariste américain aux talents multiples. Il a œuvré avec succès dans plusieurs genres : science-fiction, fantastique, policier, suspense, horreur.

Ses deux premiers romans sont des classiques de la science-fiction, adaptés au cinéma : « Je suis une légende » (1954 / I am a legend) et « L’homme qui rétrécit » (1956 / The shrinking man).

Parmi ses nombreux autres romans de science-fiction et fantastiques : « Échos » (1958 / A stir of echoes), « La maison des damnés » (1971 / Hell house), « Au-delà de nos rêves » (1978 / What dreams may come).

Au rayon policier, il est l’auteur entre autres de : « Les seins de glace » (1953 / Someone is bleeding), « Jour de fureur » (1953 / Fury on sunday), « De la part des copains » (1959 / Ride the nightmare, 1959).

Il a écrit des scénarios pour des séries réputées comme « La quatrième dimension » ou « Star Trek ».

Parmi la centaine de nouvelles à son actif, à noter « Le journal d’un monstre » (1950 / Born of man and woman) dans laquelle un enfant s’interroge sur le traitement que lui infligent ses parents, et « Duel » (1971) à partir de laquelle Richard Matheson écrira le scénario du premier film du même nom de Steven Spielberg.

Mon Richard Matheson ++

En plus de Le jeune homme, la mort et le temps, j’ai lu les deux incontournables « Je suis une légende » et « L’homme qui rétrécit », aux morales hautement philosophiques, ainsi que « La maison des damnés », « Échos » et des nouvelles. Je n’ai jamais été déçu par un écrit de Richard Matheson. Une valeur sûre.

Je suis une légende

Une pandémie transforme les humains en hordes de vampires. Robert Neville, immunisé accidentellement, résiste à la nouvelle espèce dominante. Mais pour combien de temps ?

L’homme qui rétrécit

Scott Carey voit sa vie se transformer en cauchemar lorsqu’il se rend compte qu’il rétrécit petit à petit, inéluctablement.

La maison des damnés

Le richissime Deustch, sur le point de mourir, paye une fortune quatre personnes pour déterminer en une semaine si une vie existe après la mort. Une semaine à passer dans une demeure hantée qui a décimé les deux dernières expéditions ayant cherché à percer son mystère trente ans plus tôt. La science va s’opposer au monde des esprits pour expliquer les phénomènes paranormaux et dangereux qui se produisent dans l’inquiétante maison des damnés.

Échos

Après avoir été hypnotisé lors d’une soirée entre amis, Tom Wallace voit un fantôme. A-t-il acquis des pouvoirs extraordinaires ou est-il en train de perdre la tête ?

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Agatha Christie – La nuit qui ne finit pas

(Policier / 1967 / Endless night)

Couverture du roman La nuit qui ne finit pas d'Agatha Christie

Le narrateur, Michael Rogers, 22 ans, vit de petits boulots. Issu d’un milieu modeste, débrouillard, il n’arrive pas à se fixer, cherche sa voie. Il rencontre par hasard la jeune, riche et belle Ellie. Ils tombent amoureux l’un de l’autre. Comme dans un conte de fées. Mais une malédiction pèse sur l’Arpent du Gitan. Les broiera-t-elle ou parviendront-ils à saisir le bonheur qui leur tend les bras ?

Commentaire

Ici, ni crime, ni enquête policière, ni énigme, ni recherche de coupable, de mobile ou d’opportunité en début de roman. Dans « La nuit qui ne finit pas », c’est l’ambiance qui prime. On sent qu’il peut à tout moment arriver l’inéluctable. On sent le mal rôder. On ignore comment il frappera et qui, mais on se doute bien qu’un couperet tombera quelque part. Et puis on espère se tromper, on espère que tout finira par s’arranger, que le fragile équilibre en place ne sera pas détruit par un impitoyable cataclysme. Les pages défilent. Le lecteur retient son souffle, respire doucement, pour ne pas rajouter au trouble ambiant, aux menaces proférées par la vieille gitane.

« La nuit qui ne finit pas » est un roman particulier dans l’œuvre d’Agatha Christie. Noir, glauque, étrange, unique. J’ai adoré.

L’auteure et son œuvre

Agatha Christie, née Agatha Mary Clarissa Miller le 15 septembre 1890 à Torquay et morte le 12 janvier 1976 à Wallingfordest, était une femme de lettres britannique. Surnommée la reine du crime, elle a excellé dans le roman policier. Auteure parmi les plus lues et traduites de la planète, elle est notamment connue pour son roman « Dix petits nègres » et pour deux de ses personnages récurrents : Hercule Poirot et Miss Marple, plusieurs fois adaptés au cinéma ou à la télévision, tout comme de nombreuses autres de ses œuvres.

D’autres héros récurrents apparaissent dans les écrits d’Agatha Christie : le Superintendant Battle, Tommy et Tuppence Beresford, Parker Pyne, Harley Quinn et Mr. Satterthwaite ainsi que différents personnages gravitant autour d’Hercule Poirot.

Agatha Christie a écrit 66 romans, 154 nouvelles, une vingtaine de pièces de théâtre, trois recueils de poésie, deux autobiographies, ainsi que six romans non policiers sous le pseudonyme de Mary Westmacott.

Comment aborder l’œuvre d’Agatha Christie ?

Soit vous êtes curieux, vous avez du temps et l’envie de connaître un maximum de livres écrits par la reine du crime, tous ceux d’un personnage en particulier ou carrément la totale. Dans ce cas, je vous souhaite une agréable lecture. La suite de l’article vous guidera à travers l’univers d’Agatha Christie.

Soit vous cherchez une porte d’entrée, un échantillon des différentes facettes de cette auteure hors-normes, avant de vous décider d’attaquer l’intégrale ou une catégorie de livres en particulier. Je vous propose une courte liste de romans qui vous permettra d’avoir un premier aperçu des talents d’Agatha Christie :

Dix petits nègres : le classique, l’incontournable.
Le crime de l’Orient-Express : roman policier mettant en scène le héros récurrent le plus célèbre, Hercule Poirot.
Rendez-vous à Bagdad : roman d’aventures et d’espionnage.
La nuit qui ne finit pas : roman noir.
La mort n’est pas une fin : roman policier atypique, se déroulant en Égypte antique.
Loin de vous ce printemps : roman non policier, écrit sous le pseudonyme de Mary Westmacott
Une autobiographie : en bonus, si la vie de l’auteure vous intéresse.

Si vous avez envie d’en connaître davantage que six romans et une autobiographie sur l’œuvre d’Agatha Christie, je vous invite à lire l’analyse détaillée qui suit.

Personnages récurrents principaux d’Agatha Christie

Hercule Poirot et son petit monde

Détective belge aux moustaches aussi soignées que ridicules (selon certains), Hercule Poirot a une très haute opinion de lui-même et de sa matière grise qui lui permet de résoudre de nombreux crimes en réfléchissant, en assemblant les différents éléments à sa disposition comme un puzzle. À la fin de chaque enquête, il lui plaît de rassembler les différents protagonistes de l’affaire et de présenter ses géniales déductions qui l’ont amené à la solution et au coupable. Fier, il aime qu’on flatte ses capacités intellectuelles personnelles.

Hercule Poirot vit à Londres avec son valet George. Sa secrétaire presque infaillible, Miss Felicity Lemon, figure dans quatre romans et six nouvelles.

Le capitaine Arthur Hastings, fidèle ami de Poirot, apparaît dans huit romans dans lesquels il fait en général office de narrateur et dans de nombreuses nouvelles. Hercule Poirot critique sa lenteur d’esprit et ne lui confie jamais l’identité du coupable avant la mise en scène finale.

Ariadne Oliver compte aussi parmi les amis du détective belge. Cette auteure de romans policiers à succès se retrouve dans six romans et une nouvelle aux côtés de Poirot. Elle enquête sans le détective belge dans le roman Le cheval pâle. Un peu tête en l’air, elle aime mettre l’intuition féminine en avant, en opposition à la rationalité des hommes.

Hercule Poirot croise la route du Superintendant Battle à une reprise, dans Cartes sur table. Il a plus souvent affaire à l’inspecteur Japp avec qui il collabore dans sept romans et plusieurs nouvelles.

Miss Marple

Miss Marple est une vieille dame inoffensive vivant à la campagne, dans le village imaginaire de St. Mary Mead. Partant du principe que « La nature humaine est partout la même », elle résout énigmes et crimes grâce à son intuition et sa connaissance de l’humain. Elle compare le problème posé à des situations analogues ou proches qu’elle a vécues par le passé et en déduit le fin mot de l’histoire. So delicious.

Anecdote concernant Hercule Poirot et Miss Marple

À noter que les dernières enquêtes du détective belge et de Miss Marple ont été écrites au début de la Deuxième Guerre mondiale. Agatha Christie en parle ainsi dans « Une autobiographie » :

« Outre les romans dont j’ai déjà parlé, j’en avais écrit deux autres au cours des premières années de la guerre. Et ce, pour le cas où je viendrais à disparaître durant un raid aérien, éventualité à laquelle on ne pouvait s’empêcher de songer lorsqu’on travaillait à Londres. Le premier était destiné à Rosalind – c’était un « Poirot » -, l’autre à Max : un « Marple ». Sitôt terminés, ces deux manuscrits, fortement assurés, je crois bien, contre tout risque de destruction, furent déposés dans un coffre en banque et officiellement cédés à titre de donation à Rosalind et Max. » (Rosalind sa fille et Max son deuxième mari)

Agatha Christie mettait ainsi les siens à l’abri du besoin avec de potentielles rentrées d’argent, en cas de malheur. Par la même occasion, elle terminait les carrières respectives de ses deux héros les plus fameux.

Avec l’accord de l’auteure, « Poirot quitte la scène » fut publié en 1975, quelques mois avant le décès d’Agatha Christie. « La dernière énigme » (de Miss Marple) est sorti fin 1976, à titre posthume.

Ce décalage entre l’écriture et la publication explique l’excellente qualité de ces deux romans, écrits dans une période fertile et créative d’Agatha Christie.

Superintendant Battle

Le Superintendant Battle appartient à Scotland Yard. Flegmatique, discret et efficace, son bon sens lui est une aide précieuse pour tirer les affaires au clair.

Tommy et Tuppence Beresford

Les Beresford forment un sympathique couple de détectives amateurs qui apparaît dans quatre romans et quinze nouvelles.

Parker Pyne

Parker Pyne est un ancien statisticien pour le gouvernement. Retraité, il entame une nouvelle carrière d’enquêteur au cours de laquelle il souhaite apporter du bonheur à ses clients. Il publie cette annonce dans The Times :

Êtes-vous heureux ?
Dans le cas contraire consultez
Mr Parker Pyne, 17, Richmond Street.

Harley Quinn et Mr. Satterthwaite

Mr. Satterthwaite, parfait gentleman accusant une petite soixantaine, est une figure incontournable des dîners mondains. Il croise par deux fois la route d’Hercule Poirot. Il tient le devant de la scène dans quatorze nouvelles, enquêteur aidé par le mystérieux Harley Quinn.

Détail des romans et nouvelles parues sous le nom d’Agatha Christie

Romans « Hercule Poirot »

La mystérieuse affaire de Styles (1920 / The mysterious affair at Styles)
Le crime du golf (1923 / Murder on the links)
Le meurtre de Roger Ackroyd (1926 / The murder of Roger Ackroyd)
Les Quatre (1927 / The Big Four)
Le train bleu (1928 / The mystery of the Blue Train)
La maison du péril (1932 / Peril at End House)
Le couteau sur la nuque (1933 / Lord Edgware dies)
Le crime de l’Orient-Express (1934 / Murder on the Orient Express)
Drame en trois actes (1935 / Three act tragedy)
La mort dans les nuages (1935 / Death in the clouds)
A.B.C. contre Poirot (1935 / The A.B.C. murders)
Cartes sur tables (1936 / Cards on the table) (dans lequel apparaît également le superintendant Battle)
Meurtre en Mésopotamie (1936 / Murder in Mesopotamia)
Mort sur le Nil (1937 / Death on the Nile)
Témoin muet (1937 / Dumb witness)
Rendez-vous avec la mort (1938 / Appointment with death)
Le Noël d’Hercule Poirot (1938 / Hercule Poirot’s Christmas)
Je ne suis pas coupable (1940 / Sad cypress)
Un, deux, trois (1940 / One, two, buckle my shoe)
Les vacances d’Hercule Poirot (1941 / Evil under the sun)
Cinq petits cochons (1942 / Five little pigs)
Le vallon (1946 / The hollow)
Le flux et le reflux (1948 / Taken at the flood)
Mrs. McGinty est morte (1952 / Mrs McGinty’s dead)
Les indiscrétions d’Hercule Poirot (1953 / After the funeral)
Pension Vanilos (1955 / Hickory Dickory Dock)
Poirot joue le jeu (1956 / Dead man’s folly)
Le chat et les pigeons (1959 / Cat among the pigeons)
Les pendules (1963 / The clocks)
La troisième fille (1966 / Third girl)
Le crime d’Halloween (1969 / Hallowe’en party)
Une mémoire d’éléphant (1972 / Elephants can remember)
Poirot quitte la scène (1975 / Curtain: Poirot’s last case)

Recueils de nouvelles « Hercule Poirot »

Les enquêtes d’Hercule Poirot (1924 / Poirot investigates)
Le miroir du mort (1937 / Murder in the mews)
Les travaux d’Hercule (1947 / The labours of Hercules)
Christmas pudding (1962 / The adventure of the Christmas pudding and a selection of entrées) (comporte également une nouvelle avec Miss Marple)
Témoin à charge (1969 / Witness for the prosecution and other stories)
Le bal de la victoire (1979 / Poirot’s early cases)
Le second coup de gong (1991 / Problem at Pollensa Bay and other stories) (huit nouvelles dont deux avec Hercule Poirot, deux avec Parker Pyne et deux avec Harley Quinn)
Tant que brillera le jour (1997 / While the light lasts and other stories) (deux nouvelles sur les neuf mettent en scène Hercule Poirot)

Avec les ouvrages édités à titre posthume, certaines nouvelles se sont retrouvées dans plusieurs recueils à la fois. Toujours frustrant de se rendre compte qu’on débute la lecture d’un doublon.

Romans « Miss Marple »

L’affaire Protheroe (1930 / The murder at the vicarage)
Un cadavre dans la bibliothèque (1942 / The body in the library)
La plume empoisonnée (1942 / The moving finger)
Un meurtre sera commis le… (1950 / A murder is announced)
Jeux de glaces (1952 / They do it with mirrors)
Une poignée de seigle (1953 / A pocket full of rye)
Le train de 16h50 (1957 / 4:50 from Paddington)
Le miroir se brisa (1962 / The mirror crack’d from side to side)
Le major parlait trop (1964 / A caribbean mystery)
À l’hôtel Bertram (1965 / At Bertram’s Hotel)
Némésis (1971 / Nemesis)
La dernière énigme (1976 / Sleeping murder: Miss Marple’s last case)

Recueils de nouvelles « Miss Marple »

Miss Marple au club du mardi (1932 / The thirteen problems) (comporte 13 nouvelles)
Miss Marple tire sa révérence (1979 / Miss Marple’s Final Cases and Two Other Stories) (six nouvelles avec Miss Marple et deux nouvelles fantastiques)

Romans « Superintendant Battle »

Le secret de Chimneys (1925 / The secret of Chimneys)
Les sept cadrans (1929 / The seven dials mystery)
Un meurtre est-il facile ? (1939 / Murder is easy)
L’heure zéro (1944 / Towards zero)

Romans « Tommy et Tuppence Beresford »

Mr Brown (1922 / The secret adversary)
N ou M ? (1941 / N or M?)
Mon petit doigt m’a dit (1968 / By the pricking of my thumbs)
Le cheval à bascule (1973 / Postern of fate)

Recueil de nouvelles « Tommy et Tuppence Beresford »

Le crime est notre affaire (1929 / Partners in crime)

Recueil de nouvelles « Harley Quinn »

Le mystérieux Mr. Quinn (1930 / The mysterious Mr Quin) (nouvelles policières et fantastiques)

Recueil de nouvelles « Parker Pyne »

Mr. Parker Pyne (1934 / Parker Pyne investigates)

Romans indépendants

L’homme au complet marron (1924 / The man in the brown suit)
Cinq heures vingt-cinq (1931 / The Sittaford mystery)
Pourquoi pas Evans ? (1934 / Why didn’t they ask Evans?)
Dix petits nègres (1939 / Ten little niggers)
La mort n’est pas une fin (1945 / Death comes as the end)
Meurtre au champagne (1945 / Sparkling cyanide)
La maison biscornue (1949 / Crooked house)
Rendez-vous à Bagdad (1951 / They came to Baghdad)
Destination inconnue (1954 / Destination unknown)
Témoin indésirable (1958 / Ordeal by innocence)
Le cheval pâle (1961 / The Pale Horse)
La nuit qui ne finit pas (1967 / Endless night)
Passager pour Francfort (1970 / Passenger to Frankfurt: an extravaganza)

Recueils de nouvelles indépendantes

Le mystère de Listerdale (1934 / The Listerdale mystery and other stories)
Le flambeau (1981 / The hound of death and other stories) (nouvelles fantastiques)
Trois souris… (1985) (recueil composé d’une nouvelle inédite en France, Trois souris (1948 / Three blind mice), et de cinq nouvelles déjà parues dans d’autres recueils mettant en scène Miss Marple ou Hercule Poirot)

Pièces de théâtre

Black coffee (1930), adaptée au cinéma, Charles Osborne en a écrit un roman en 1998.
Akhenaton (1937 / Akhnaton), publiée seulement en 1973, considérée par l’auteure comme un des sommets de son œuvre.
La souricière (1952 / The mousetrap), adaptation de sa nouvelle « Trois souris », le plus gros succès d’Agatha Christie au théâtre.
La toile d’araignée (1954 / Spider’s web), Charles Osborne en a écrit un roman en 2000.
Verdict (1958)
Le visiteur inattendu (1958 / The unexpected guest), Charles Osborne en a écrit un roman en 1999.
Règle de trois (1962 / Rule of three), trois pièces d’un acte (The rats, Afternoon at the seaside, The patient).
Fiddlers three (1971)

Et d’autres pièces, adaptations de romans ou de nouvelles de l’auteure.

Recueils de poèmes

The road of dreams (1925)
Star over Bethlehem (1965), recueil de poèmes et de nouvelles
Poems (1973)

Autobiographies

Dis-moi comment tu vis (1946 / Come, tell me how you live)
Une autobiographie (1977 / An autobiography)

Romans non policiers publiés sous le pseudonyme de Mary Westmacott

Musique barbare (1930 / Giant’s bread)
Portrait inachevé (1934 / Unfinished portrait)
Loin de vous ce printemps (1944 / Absent in the spring)
L’if et la rose (1948 / The rose and the yew tree)
Ainsi vont les filles (1952 / A daughter’s a daughter)
Le poids de l’amour (1956 / The burden)

Mon Agatha Christie ++

Un livre d’Agatha Christie se déguste en automne ou en hiver, au coin de la cheminée, confortablement installé dans son fauteuil préféré, pantoufles aux pieds, un plaid sur les genoux, une boisson chaude à portée de main et le chat roulé en boule dans le canapé voisin, sur son coussin attitré qui épouse parfaitement sa forme.

Ou alors par grand soleil, couché dans son transat à l’ombre d’un parasol, les orteils en éventail, un jus de fruit frais à ses côtés, caressé par une douce brise rendant supportable la chaleur ambiante et la montée de température provoquée par la tension de l’histoire.

Plongé dans l’intrigue du jour, on savoure les aventures des personnages de la romancière, les ambiances cosy et so old british, les déductions élaborées, les fausses pistes, l’humour caustique et l’écriture fluide de celle qui nous fait oublier soucis et mauvais temps. Et puis il y a ce petit jeu au début de chaque enquête : vais-je découvrir le coupable avant la révélation finale ? la manière dont il s’y est pris ? le mobile ? Et quelle satisfaction lorsqu’une des questions trouve une réponse positive au fil des pages !

J’ai lu tous les romans et nouvelles signés Agatha Christie (hormis la nouvelle « Trois souris »), ainsi que sa deuxième autobiographie et les six romans parus sous Mary Westmacott.

Je ne vais pas détailler toute l’œuvre de la reine du crime, mais vous donner mon ressenti, personnage par personnage, de ce qui me paraît essentiel ou non.

J’indique les romans que je déconseille, non pour dénigrer l’auteure ou son œuvre, mais pour éviter à un lecteur novice de démarrer sa découverte d’Agatha Christie par une mauvaise porte d’entrée ou pour aider dans ses choix le lecteur qui n’a pas envie de lire l’intégrale. Les fans de la reine du crime liront tout ou auront déjà tout lu.

Hercule Poirot

J’ai beaucoup apprécié les romans relatant les aventures du détective belge imbu de lui-même. À l’exception de :

Les Quatre : Hercule Poirot traque un quatuor de criminels assoiffés de pouvoir et de richesses. Histoire décousue parce qu’au départ il s’agissait de quatre nouvelles rassemblées ultérieurement par Agatha Christie. La fin n’est pas des plus brillantes non plus.

Un, deux, trois : Hercule Poirot est paniqué à l’idée d’aller chez le dentiste. Après ce début prometteur, ça se gâte malheureusement. Le roman glisse vers l’espionnage et perd de la saveur des enquêtes traditionnelles du détective belge.

Le chat et les pigeons : L’histoire débute au Moyen-Orient. Espionnage et enquête s’entremêlent. Hercule Poirot apparaît fort tard. Moyen. Intéressant à la limite pour l’ambiance dans le pensionnat huppé pour jeunes filles.

Une mémoire d’éléphant : Agatha Christie insiste trop lourdement sur les pertes de mémoire de ses personnages et sur la mémoire d’éléphant. Ce roman de 1972 fait partie de ses dernières œuvres, très dispensables.

Les nouvelles mettant en scène Hercule Poirot sont agréables, sans plus. Je préfère de loin les romans. Le format de la nouvelle ne permet pas au détective belge de donner la pleine mesure de ses talents d’enquêteur, ni aux histoires le temps se mettre en place.

Quatre romans particuliers avec Hercule Poirot :

La mystérieuse affaire de Styles

Premier roman d’Agatha Christie et première enquête d’Hercule Poirot. Le lecteur découvre le détective aux moustaches bien soignées à travers la narration du colonel Hastings. Une entrée en matière réussie pour l’ancien inspecteur de police belge, présent au village de Styles Saint-Mary où un meurtre a été commis.

Le Meurtre de Roger Ackroyd

Un des romans les plus célèbres mettant en scène Hercule Poirot. Roger Ackroyd est assassiné dans son bureau. Le détective belge enquête dans le village où a eu lieu le crime, aidé par ses voisins, le docteur Sheppard, le narrateur de l’histoire, et sa sœur Caroline.

Le crime de l’Orient-Express

Dans le mythique Orient-Express, un passager est assassiné de douze coups de couteau. Le train de luxe est bloqué par la neige en Yougoslavie, le coupable se trouve donc forcément encore à bord. Un autre passager, Hercule Poirot, va enquêter et tenter de démasquer le criminel.

Poirot quitte la scène

Magnifique dernière enquête d’Hercule Poirot qui se déroule à Styles Court, lieu de sa première enquête. Le détective belge bénéficie, comme pour sa première enquête, de l’aide d’Arthur Hastings, son fidèle ami revenu d’Argentine.

Miss Marple

J’ai beaucoup aimé les romans et les nouvelles mettant en scène la vieille dame, à l’exception de deux romans : « À l’hôtel Bertram » qui pourrait être sauvé pour sa très jolie description d’un hôtel vieillot et d’une Angleterre en voie de disparition et « Némésis » qui présente une Miss Marple qui radote et une Agatha Christie qui s’essouffle elle aussi. Pour le reste, que du très bon, du même niveau que les enquêtes du détective belge !

Superintendant Battle

Les quatre romans mettant en scène ce limier du Yard sont excellents. À noter que même si les deux enquêtes sont indépendantes, certains personnages de « Le secret de Chimneys » se retrouvent dans « Les sept cadrans ».

Tommy et Tuppence Beresford

J’ai adoré et détesté. Cela peut sembler paradoxal, mais c’est pourtant la réalité. J’ai adoré les deux premiers romans mettant en scène Tommy et Tuppence (« Mr Brown », « N. ou M. ? »). Et je me réjouissais à l’idée qu’il en existait deux autres présentant les exploits de ce sympathique couple d’enquêteurs. Ma déception a été grande avec « Mon petit doigt m’a dit » et surtout avec « Le cheval à bascule », un des deux pires romans d’Agatha Christie (l’autre sera mentionné dans les romans indépendants). Dans « Mon petit doigt m’a dit », les Beresford vieillissent (mal), l’écriture de la romancière aussi. Les sempiternels « je suis vieux, j’ai oublié… » fatiguent et le scénario est trop mince. « Le cheval à bascule » est pourtant pire. L’histoire commence bien, puis radote, tourne en rond. Dommage de terminer ainsi avec les Beresford qui n’ont pas bénéficié d’une belle dernière aventure écrite, comme pour Hercule Poirot ou Miss Marple, avant qu’Agatha Christie ne décline.

Le recueil de nouvelles « Le crime est notre affaire » est un bonus agréable.

Harley Quinn / Parker Pyne

Je regroupe ces deux personnages récurrents dans le même paragraphe, même s’ils n’ont rien à voir l’un avec l’autre, parce que j’ai autant apprécié l’un que l’autre dans leurs nouvelles respectives. De petits moments de lecture délicieuse dont il ne faudrait pas se priver si on aime la plume d’Agatha Christie.

Romans et nouvelles indépendants

Ces œuvres qui ne mettent aucun personnage récurrent principal en scène sont également excellentes et méritent d’être connues, autant les romans que les nouvelles.

Deux exceptions toutefois en ce qui me concerne :

Destination inconnue : roman d’espionnage dispensable, à réserver aux inconditionnels d’Agatha Christie.

Passager pour Francfort : le pire roman d’Agatha Christie à mon sens. Un roman d’espionnage qui débute bien mais perd rapidement de sa crédibilité et de son intérêt en s’enlisant dans une pénible confusion et des rebondissements tirés par les cheveux.

Une courte présentation des 10 romans indépendants non évoqués encore, par ordre chronologique de parution :

L’homme au complet marron

Ce quatrième roman d’Agatha Christie mêle avec réussite espionnage, aventure et enquête policière. Le colonel Race y fait sa première apparition. La romancière réutilisera ce personnage dans trois autres romans : « Cartes sur table », « Mort sur le Nil » et « Meurtre au champagne ».

Cinq heures vingt-cinq

Lors d’une séance de spiritisme, un esprit informe les participants du décès d’une de leurs connaissances.

Un roman policier très réussi, sans les enquêteurs traditionnels d’Agatha Christie.

Pourquoi pas Evans ?

– Et pourquoi pas Evans ? articula-t-il.
Puis il fut parcouru d’un étrange frisson, ses paupières se refermèrent et sa mâchoire retomba…
Il avait cessé de vivre.

De superbes personnages, un beau suspense, des méchants à la hauteur, un très bon cru d’Agatha Christie !

Dix petits nègres

La référence. L’incontournable. LE classique d’Agatha Christie. Le roman le plus vendu de cette auteure. À lire absolument, bien sûr, pour les amateurs du genre. Je ne vais rien dévoiler de l’histoire pour laisser à d’éventuels lecteurs qui n’en connaîtraient rien le plaisir de l’entière découverte.

Mon premier Agatha Christie, prêté il y a fort fort longtemps par ma grande sœur. Souvenirs.

À noter que les bien-pensants de notre époque (en 2020 précisément) ont fait renommer ce livre en « Ils étaient dix » pour qu’il soit politiquement correct. Le ridicule ne tue pas.

La mort n’est pas une fin

En 2000 avant Jésus-Christ, en Égypte, Renisenb retourne auprès de sa famille après la mort de son mari. Elle découvre très vite que le crime rôde.

Un policier qui se déroule en Égypte antique. Encore un roman exceptionnel et un autre incontournable d’Agatha Christie.

Meurtre au champagne

Une histoire d’empoisonnement et un autre excellent roman policier livrée par la reine du crime. Avec des passages qui sonnent toujours très « vrais » aujourd’hui.

La maison biscornue

Charles est amoureux de Sophia et compte l’épouser. Mais un meurtre va compliquer ses plans.

Excellent roman policier. Prenant, sombre, bien écrit, avec des personnages travaillés. Du grand Agatha Christie. Une des œuvres préférées de la romancière.

Rendez-vous à Bagdad

Inspiré d’un voyage effectué par Agatha Christie à Bagdad, cet excellent roman d’aventures et d’espionnage nous offre des personnages succulents et une intrigue palpitante. Incontournable.

Témoin indésirable

Deux ans après la condamnation de Jack Argyle pour meurtre, un témoin tombe du ciel et le disculpe. Mais alors, qui est le vrai coupable ?

Ce roman fait également partie des préférés d’Agatha Christie. Un roman policier noir qui propose de beaux personnages, des rebondissements et une étude poussée de la nature humaine.

Le cheval pâle

Unique apparition d’Ariadne Oliver sans Hercule Poirot.

Excellent roman policier que j’ai eu beaucoup de mal à refermer avant d’arriver à la dernière page. Suspense garanti.

Autres œuvres d’Agatha Christie

J’ai lu « Une autobiographie ». Je conseille vivement cette autobiographie pour qui veut connaître la vie d’Agatha Christie, de son enfance à fin 1965. Une lecture agréable et instructive.

Je n’ai pas lu « Dis-moi comment tu vis » qui à l’époque a été publié sous Agatha Christie Mallowan. L’auteure y a retranscrit ses souvenirs des fouilles effectuées sur les chantiers en Syrie et en Irak dans les années 30 avec son mari archéologue Max Mallowan.

Je n’ai ni vu ni lu ses pièces de théâtre, ni lu ses recueils de poésie.

Mary Westmacott

J’ai été intrigué par les écrits d’Agatha Christie qu’elle a cru nécessaire de publier sous un pseudonyme. Je les ai donc lus avec curiosité. J’ai bien fait ! Un chef d’œuvre et du très bon dans les quatre premiers. Les deux derniers m’ont par contre laissé sur ma faim.

Musique barbare

Vernon Deyre grandit dans une somptueuse propriété anglaise au début du siècle dernier, entre sa nurse, Dieu, ses amis imaginaires, une mère exubérante et superficielle et un père que les femmes ne laissent pas indifférent. Il exècre la musique. Bientôt, il se lie d’amitié avec sa cousine et deux enfants du voisinage…

Des amours impossibles, parasités par le génie artistique, l’attrait du matériel, des causes à défendre ou des grands principes. Les prix à payer sont lourds et gangrènent la force des sentiments.

Agatha Christie nous livre une fois de plus des personnages attachants, avec leurs blessures et leurs défauts, leurs aspirations, leurs désillusions, leurs bonheurs et les réalités et écueils qui les entravent dans un quotidien pas aussi rose qu’espéré. Loin des romans policiers, mais très plaisant pour les amateurs du genre.

Extraits

Il y a toujours deux façons de voir les choses. (p.16)

 Il pense amèrement : « Il y aura toujours une femme pour vous sortir d’un trou, mais personne ne viendra vous tenir compagnie au sommet d’une montagne où, pourtant, on peut se retrouver terriblement seul. » (p.251)

Portrait inachevé

Début du 20e siècle. Récit de l’enfance heureuse de Celia, fille insouciante à l’imagination débordante. Le temps passe et la jeune femme se retrouve soudain adulte, épouse et mère, sans trop disposer du mode d’emploi de cette nouvelle vie. Celia s’épanouit dans son propre monde, empli de bienveillance et de sentiments, pas dans un univers réaliste et calculé. Elle ne perçoit pas l’intérêt des soucis bassement matériels. Elle a du mal à comprendre les gens et son bonheur en pâtit.

Portrait touchant d’un personnage féminin perdu dans le monde réel, confrontée aux problèmes du quotidien, au contact de gens de peu d’imagination. À quel point Agatha Christie s’est-elle inspirée de sa propre vie pour créer Celia ? Elle seule avait la réponse, mais nous sommes en droit de supposer que Celia n’est pas entièrement le fruit de son imagination.

Bien écrit, émouvant, agréable pour qui est sensible à ce genre de récit. Pas essentiel pour les lecteurs qui recherchent avant tout l’art du suspense distillé par la reine du crime (parce ce que ni crime, ni beaucoup de suspense dans ce roman).

Extrait

Être jeune. Vieillir. Quel mystère effrayant ! Existait-il un moment particulier où vous étiez plus vous-même qu’à un autre ? (p.272)

Loin de vous ce printemps

Années 30. Joan Scudamore a une haute opinion d’elle-même et vit dans l’illusion d’un bonheur parfait. Bloquée seule en plein désert dans un Relais près de la frontière turque lors d’un retour de voyage perturbé par les conditions météorologiques, elle n’a d’autre activité pendant plusieurs jours que de penser à son existence, à son passé. Elle découvre peu à peu des vérités désagréables sur elle et sa famille.

Dans « Une autobiographie », Agatha Christie parle ainsi de ce roman :

Peu de temps après, j’ai écrit le seul ouvrage qui m’ait entièrement satisfaite. C’était un nouveau Mary Westmacott, le livre que j’avais toujours eu envie d’écrire, qui était toujours apparu clairement dans mon esprit. Le portrait d’une femme qui avait une image bien définie d’elle-même, de ce qu’elle était, mais qui se trompait du tout au tout.
[…2 pages…]
J’ai écrit ce roman en trois jours exactement.
[…1 page…]
Je redoutais tellement tout ce qui pourrait m’interrompre, couper le fil de mes pensées, que, après avoir écrit le premier chapitre dans un état de grande surexcitation, je passai directement au dernier, car je savais si bien où j’allais qu’il fallait que je le jette tout de suite sur le papier. Pour le reste, je n’eus pas à m’arrêter et fis tout d’un seul trait.
Je ne me rappelle pas avoir jamais été aussi fatiguée. Quand j’eus terminé, et que je vis qu’il n’y avait pas à changer un seul mot du chapitre que j’avais écrit auparavant, je m’affalai sur mon lit et, si je me souviens bien, dormis près de vingt-quatre heures d’affilée.

Un roman passionnant : une introspection progressive et précise, une analyse fine des protagonistes de l’histoire, des propos justes et un suspense maintenu jusqu’au bout, sans crime, ni enquête policière. Le tout pourrait aisément être transposé à notre époque, alors que le contexte date d’il y a près d’un siècle. Un petit chef-d’œuvre supplémentaire, totalement inattendu pour moi qui découvrais Mary Westmacott avec ce roman. Mon préféré de l’auteure sous ce pseudonyme.

L’if et la rose

Peu avant la fin de la deuxième guerre mondiale, dans une petite ville des Cornouailles, Hugh Norreys assiste en observateur à la campagne électorale de l’opportuniste John Gabriel. Ce candidat des conservateurs issu du peuple, au profil guère traditionnel pour ce parti, ne recule devant rien pour servir ses propres intérêts. Des intrigues amoureuses complexifient la situation et contribuent à maintenir l’issue du vote et surtout le dénouement de l’histoire incertains.

Agatha Christie met en scène une intéressante galerie de portraits et décrit les rouages complexes de la nature humaine avec minutie, talent, une jolie plume et un brin d’humour cynique. Cette histoire qui n’a rien de policier parvient néanmoins à garder le lecteur en haleine jusqu’au bout et livre une belle analyse de la psychologie et des traits de caractère des personnages, des différences de classes et de la quête du bonheur qui revêt diverses formes suivant les aspirations de chacun.

Un des romans préférés de l’auteure (elle a toujours pris plaisir à le relire) et de sa fille Rosalind. J’ai beaucoup apprécié également.

Ainsi vont les filles

Ann, 41 ans, veuve et mère d’une fille de 19 ans, Sarah, rencontre Richard, veuf lui aussi, avec qui elle pourrait envisager de refaire sa vie. Mais Richard et Sarah s’entendent comme chien et chat.

Celui-là, je le qualifie volontiers de roman sentimental. Mais il ne s’agit pas d’une réussite à mon sens. Agatha Christie s’évertue à analyser les relations orageuses entre mère et fille, ainsi que les conséquences potentielles de l’ingérence dans la vie d’autrui. Je n’ai pas été convaincu par les personnages, trop inconstants pour certains, trop caricaturaux pour d’autres, et l’intrigue ne m’a pas passionné plus que ça. Les goûts et les couleurs.

Extrait

Comme c’était injuste, se dit Dame Laura, que les femmes amoureuses soient transfigurées, alors que les hommes amoureux ont l’air de chiens battus. (p.71)

Le poids de l’amour

Portraits de personnes qui aiment trop, l’une sa sœur, l’autre son mari, un mari sa femme. Comme dans « Ainsi vont les filles », Agatha Christie analyse les sentiments et l’ingérence qui part pourtant de très bons sentiments. Comme pour « Ainsi vont les filles », je ne suis ni conquis, ni convaincu. Comme « Ainsi vont les filles », à réserver aux amateurs du genre et à ceux qui souhaitent un aperçu complet de l’œuvre de la reine du crime et de son autre facette non policière.

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Rachel Joyce – La lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry

(Roman / 2012 / The unlikely pilgrimage of Harold Fry)

Couverture du roman La lettre qui allait changer le destin d'Harold Fry, de Rachel Joyce

Harold Fry, retraité, vit avec sa femme Maureen dans une petite ville près du littoral sud de l’Angleterre. Le couple ne partage plus grand-chose. Leurs échanges sont mécaniques, dépourvus d’intérêt. Un matin, une lettre adressée à Harold par Queenie Hennessy, une ancienne collègue d’Harold, va bouleverser leur vie. Queenie se meurt d’un cancer dans un hôpital sur le littoral nord du pays. Harold part la rejoindre à pied, sur un coup de tête, persuadé que sa marche aidera son amie à guérir.

 Commentaire

Un roman étonnant, d’une force émotionnelle rare. Un de ces romans tristes et beaux, qui font pourtant du bien au moral. À ranger dans une bibliothèque quelque part entre « Changer l’eau des fleurs » de Valérie Perrin, « Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates » de Mary Ann Shaffer et Annie Barows, et « Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire » de Jonas Jonasson. Des histoires d’individus ordinaires vivant des moments extraordinaires leur prouvant qu’ils sont eux aussi uniques et dignes d’intérêt.

Harold Fry, insignifiant et effacé tout au long de son existence, trouve dans sa quête la mission de sa vie, l’occasion de racheter ses erreurs et errances passées. Sa marche pour Queenie lui donne l’occasion de replonger dans le passé, souvent douloureux. Elle lui offre une forme de rédemption.

Sa femme Maureen, malheureuse et aigrie, suit un cheminement mental équivalent après le départ de son mari.

Harold et Maureen ont toujours eu du mal à exprimer ce qu’ils ressentaient, ce qu’ils ont traversé, ce qu’ils ont raté, dans l’éducation de leur fils David notamment. Ils se sont murés dans une routine dominée par l’indifférence. L’incroyable coup de tête d’Harold va débloquer les souvenirs et des épisodes qu’ils pensaient irrémédiablement enfouis au fond de leur mémoire.

L’écriture de Rachel Joyce est fluide et agréable. La construction du roman suit le voyage d’Harold au fil des étapes et des rencontres, ainsi que les interrogations de Maureen. L’ensemble est saupoudré d’un humour bienvenu qui évite au roman de devenir déprimant.

Une réussite, pour les amateurs du genre.

À noter que ce roman a eu comme premier titre français : « La lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry arriva le mardi… ».

Extraits

Si l’on ne pète pas les plombs une fois dans sa vie, c’est sans espoir. (p.49)

 Ce devait être pareil partout en Angleterre. Les gens achetaient du lait, ou bien faisaient le plein d’essence, ou même postaient des lettres. Et ce que les autres ignoraient, c’était à quel point ce qu’ils portaient en eux était lourd. L’effort surhumain qu’il fallait faire parfois pour être normal et participer à la vie ordinaire. La solitude que cela représentait. (p.116)

 Si elle était restée avec Harold durant toutes ces années, ce n’était pas à cause de David. Ce n’était même pas parce qu’elle était désolée pour son mari. Elle était restée parce que, même si elle se sentait seule à ses côtés, le monde aurait été encore plus désolé sans lui. (p.148)

 Une vie sans amour n’était pas une vie. (p.190)

 Désormais, Harold ne pouvait plus croiser un inconnu sans reconnaître que tous étaient pareils et que chacun était unique ; et que c’était cela le dilemme de la condition humaine. (p.203)

 Il avait appris que recevoir était tout autant un don que donner, car cela nécessitait à la fois du courage et de l’humilité. (p.256)

 Nous sommes bien peu de chose, pensa-t-il, et il éprouva tout le désespoir de cette constatation. (p.339)

L’auteure et son œuvre

Rachel Joyce est née à Londres en 1962. Pendant plus de vingt ans, elle a été scénariste pour la radio, le théâtre et la télévision. Elle a été comédienne de théâtre également.

« La lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry » est son premier roman. Elle en a écrit d’autres que je n’ai pas lus.

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Shirley Jackson – Nous avons toujours vécu au château

(Roman noir / 1962 / We have always lived in the castle)

Couverture du roman Nous avons toujours vécu au château de Shirley Jackson

Merricat Blackwood, sa sœur aînée Constance et leur oncle Julian vivent dans une grande maison, à l’écart du village. Oncle Julian radote dans son fauteuil roulant, obsédé par l’écriture de ses mémoires. Constance et lui n’ont plus quitté le domaine familial depuis le drame qui a décimé la famille six ans auparavant. Seule Merricat s’aventure au-delà de leur jardin. Lorsqu’elle part faire les courses au village, elle est la cible d’une hostilité à peine dissimulée. Pourquoi les habitants de la petite bourgade détestent-ils autant les rescapés des Blackwood ?

Quatrième de couverture et premier paragraphe du roman

Je m’appelle Mary Katherine Blackwood. J’ai dix-huit ans, et je vis avec ma sœur, Constance. J’ai souvent pensé qu’avec un peu de chance, j’aurais pu naître loup-garou, car à ma main droite comme à la gauche, l’index est aussi long que le majeur, mais j’ai dû me contenter de ce que j’avais. Je n’aime pas me laver, je n’aime pas les chiens, et je n’aime pas le bruit. J’aime bien ma sœur Constance, et Richard Plantagenêt, et l’amanite phalloïde, le champignon qu’on appelle le calice de la mort. Tous les autres membres de ma famille sont décédés.

Commentaire

Le lecteur est plongé dans le vif du sujet dès les premières lignes du roman. Il découvre une narratrice pour le moins originale. Un peu barrée. Au fil des pages, s’installe une ambiance étrange, mélange de folie douce, de haine, de paranoïa, d’angoisse et de poésie.

Shirley Jackson s’amuse et joue avec nos nerfs : qui sont les plus dérangés, les Blackwood ou les villageois ?

Peu à peu, les personnages se dévoilent et les fils de l’intrigue se dénouent.

Une curiosité pour qui est prêt à entreprendre ce voyage singulier. Et une référence dans le genre.

L’auteure et son œuvre

Shirley Jackson est née le 14 décembre 1916 à San Francisco. Elle est décédée le 8 août 1965. Elle a écrit 6 romans et plus de 200 nouvelles. Le fantastique et l’horreur étaient ses genres de prédilection.

Elle est surtout connue pour sa nouvelle La loterie (1948 / The lottery) adaptée au cinéma en 2019, pour son roman La maison hantée (1959 / The haunting of hill house) considéré comme l’un des meilleurs romans de fantômes et adapté au cinéma (notamment par Robert Wise en 1963 qui en a fait un classique du cinéma d’épouvante : La Maison du diable / The haunting) et pour le roman dont il est question ci-dessus.

Son œuvre a influencé de nombreux écrivains, dont Richard Matheson et Stephen King.

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Aurélie Filippetti – Les idéaux

(Roman politique / 2018)

Couverture du roman Les idéaux d'Aurelie Filippetti

Quatrième de couverture

Une femme, un homme, une histoire d’amour et d’engagement.
Tout les oppose, leurs idées, leurs milieux, et pourtant ils sont unis par une conception semblable de la démocratie.
Au cœur de l’Assemblée, ces deux orgueilleux se retrouvent face aux mensonges, à la mainmise des intérêts privés, et au mépris des Princes à l’égard de ceux qu’ils sont censés représenter.
Leurs vies et leurs destins se croisent et se décroisent au fil des soubresauts du pays.
Lorsque le pouvoir devient l’ennemi de la politique, que peut l’amour ?

Commentaire

Présenté comme un roman, « Les idéaux » rencontre un étonnant écho dans un passé récent.

Fille du peuple, issue du monde ouvrier de la sidérurgie lorraine, l’héroïne du livre (qui n’est jamais nommée mais qui ressemble énormément à Aurélie Filippetti) a gravi les échelons politiques jusqu’à l’assemblée nationale. Députée, elle décrit avec émotion son arrivée dans l’hémicycle, chargée à son tour d’œuvrer pour la France et surtout pour les Français qui l’ont amenée à ce poste et qui comptent sur elle pour défendre leurs intérêts. Elle se sent une responsabilité vis-à-vis de ce peuple qui subit toujours sans avoir voix au chapitre.

Contre toute attente (elle en est la première surprise), elle entretient une relation amoureuse clandestine avec un député de l’autre camp. Ils échangent avec passion sur leur vision de ce que devraient être la et les politiques. Elle pointe les manquements à leurs devoirs envers le peuple des hommes en place de son camp à lui, l’aveuglement de ceux qui sont nés avec une cuillère en argent dans la bouche face à la précarité des autres, le mépris affiché par ces nantis de droite au pouvoir depuis trop longtemps à son sens. Les amants débattent de leurs idéaux.

D’interminables années de frustration et d’impuissance s’achèvent enfin : son camp à elle reconquiert à nouveau le pouvoir suprême dans notre pays. Après les grandes attentes, les grandes espérances, l’euphorie, l’entrée au gouvernement, la solennité des grands débuts, c’est le drame : le programme voté par le peuple n’est pas mis en application par les élus.

Elle assiste, incrédule et stupéfaite, à un improbable retournement de veste.

Les promesses sont oubliées, les militants sont snobés, les usines de sa région sont sacrifiées, les idéaux fondent comme neige au soleil chez ses pairs autour d’elle. Trahison suprême. Espoirs déçus. Incompréhension.

Des gens riches et influents s’immiscent dans leur vie politique et dans les décisions prises par son propre camp, les mêmes qui agissaient ainsi avec l’autre camp lorsque celui-ci était à la manœuvre. Les représentants du Peuple, élus par le Peuple, oublient le Peuple et profitent sans vergogne du système.

Pour couronner le tout et pour ne pas changer, les femmes sont toujours moins considérées que les hommes, à ce niveau de responsabilités comme ailleurs.

Elle finit par démissionner, dépitée.

Aurélie Filippetti nous présente une œuvre courageuse, intime, touchante, qui aurait pu s’intituler « La Grande Désillusion », tellement nous la sentons désabusée par l’après-victoire aux élections, l’envers du décor, la trahison de ses amis politiques par rapport aux engagements initiaux, le constat sans concession qu’argent, soif de pouvoir et corruption ne sont pas l’apanage d’un seul camp. La réalité la frappe de plein fouet : peu importe quel camp est au pouvoir, les autres gagnent toujours parce que ce sont toujours les mêmes qui tirent les ficelles derrière le rideau, les riches intouchables. Un constat d’échec. Le Flanby a un arrière-goût amer.

Un livre qui impose le respect, peu importe ses convictions politiques. Bravo et merci Aurélie Filippetti.

Extraits

C’est cela le pire : pas d’échouer, mais de ne pas oser. (p.327)

 Où placer l’équilibre entre le respect dû à celui qui avait porté des idées et le respect dû à ceux qui les avaient crues ? (p.339)

L’auteure et son œuvre

Romancière et enseignante, Aurélie Filippetti a été députée de Moselle (de 2007 à 2012 et de 2014 à 2017) et ministre de la Culture et de la Communication (de 2012 à 2014). Elle a notamment publié « Les Derniers Jours de la classe ouvrière » en 2003.

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Donald Kingsbury – Parade nuptiale ♥

(Science-fiction / 1982 / Courtship rite)

Couverture du roman Parade nuptiale de Donald Kingsbury

Quatrième de couverture

Lointains descendants d’une diaspora humaine, les habitants de Geta, une planète aride et inhospitalière, ont adapté leur existence à ce milieu hostile en brisant l’ultime tabou. L’anthropophagie est devenue pour eux plus qu’un rite : une obligation religieuse, un moyen de survivre. Dans cet univers où la lutte pour le pouvoir passe par la sélection génétique, une cellule conjugale de cinq personnes – le chiffre idéal – tombe collectivement amoureuse d’une femme qu’elle souhaite épouser. Mais on lui en impose une autre… Chassé-croisé amoureux, intrigues politiques, aventures meurtrières se succèdent au fil de ce planet opera grandiose, comparé à sa parution aux fresques de Frank Herbert et d’Ursula Le Guin. Parade nuptiale a remporté le prix Locus du meilleur premier roman.

Commentaire

« Parade Nuptiale » de Donald Kingsbury est un petit bijou de science-fiction. Un roman fascinant et passionnant. Un voyage dépaysant. Un livre riche en sujets de réflexion. Un de mes romans de science-fiction préférés.

Donald Kingsbury a inventé un monde, Geta, avec une société, des codes, des mœurs et des lois complètement différents des nôtres. La survie de l’espèce et les contraintes du milieu ont nécessité de briser des tabous chez les premiers habitants de cette planète pauvre en ressources naturelles. Des pratiques que nous jugerions révoltantes sur notre bonne vieille Terre ont ainsi été instaurées par la force des choses. Donald Kingsbury ne nous décrit pas Geta dans le détail avant de nous lancer dans l’aventure des protagonistes de son roman. Au contraire, il plonge de manière très habile le lecteur directement dans l’histoire et lui fait découvrir au fil des pages cette étonnante société de Geta, ses particularités, sa violence, sa logique, ses règles et son concept de kalothi.

Des âmes sensibles pourraient être choquées par certains aspects du roman, notamment la banalisation du cannibalisme dans des contextes bien précis, en cas de famine par exemple. Au fil des pages, Donald Kingsbury parvient à humaniser les us et coutumes de Geta et de ses clans et, en comparaison, à pointer du doigt la cruauté, l’absence de bon sens et l’hypocrisie qui ont cours sur notre propre planète. Le lecteur revoit peu à peu sa position par rapport à son ressenti initial. Les barbares ne sont pas forcément là où on pourrait le penser !

Une oeuvre originale

Loin des surenchères technologiques, Donald Kingsbury réinvente la religion, la cellule familiale, la politique, les manières de gouverner, les castes, les sentiments, le sacrifice pour la communauté, l’art de ne rien gaspiller, le rapport à la mort.

Une cellule de trois frères et deux femmes souhaitent agrandir la famille avec une épouse 3, sauf qu’on leur impose pour raisons politiques une Hérétique en lieu et place de la femme qu’ils avaient déjà choisie. Donald Kingsbury utilise cet imbroglio amoureux sur fond d’oppositions de croyances, de rituels, de luttes de pouvoir et de conquêtes territoriales pour dérouler son histoire, palpitante du début à la fin. Sa créativité et sa précision rendent l’ensemble cohérent et crédible, ce qui constitue une jolie performance en soi.

La richesse des descriptions des personnages et des relations entre les uns et les autres contribue à la grandeur de ce roman.

Je n’ai rien lu de comparable.

Un petit chef d’œuvre d’intelligence, d’imagination et d’écriture.

« Parade Nuptiale » figurait dans la sélection finale du Prix Hugo 1983, en compagnie d’Arthur Clarke et d’Isaac Asimov.

Extraits

Sanan, leur frère qui, lui, n’avait pas su tricher avec le destin et qui avait fini sur la table du dîner et à la tannerie. (p.31)

 Lorsque le message lui était parvenu par la tour, annonçant la mort de son père, elle avait couru jusqu’à épuisement pendant trois aurores, dormant de temps en temps entre les courroies d’un Ivieth qu’elle avait engagé, pour assister à son banquet funéraire. Elle avait envié ceux qui s’étaient partagé sa chair sans avoir connu son énergie, sa gentillesse et son humour. Elle conservait toujours quelques lambeaux séchés et salés de sa viande qu’elle ne mangeait que lorsqu’elle avait besoin d’une force surhumaine. Son meilleur manteau était fait de sa peau et le manche de son couteau de l’un de ses os. (p.46)

 Quelqu’un qui est sûr d’avoir raison n’éprouve pas le besoin de persécuter les autres. (p.120)

 Une société assure sa stabilité en s’attaquant à ceux qui sont le moins à même de se défendre. (p.179)

 La tradition est un ensemble de solutions pour lesquelles nous avons oublié les problèmes. Laisse tomber la solution et tu retrouves le problème. Parfois, le problème s’est transformé ou il a disparu, mais il est souvent encore présent dans toute sa force. (p.263)

 Il tuait plus de gens qu’il ne pouvait en manger. C’était donc un imbécile. (p.366)

 Le drame n’est pas que de tels hommes existent, mais que d’autres leur aient permis d’occuper des positions importantes. (p.374)

 L’homme qui a eu peur toute sa vie croit que la peur est la seule stratégie qui puisse apporter la victoire car il a été vaincu par la peur. Ainsi, lorsque l’opprimé se révolte, il devient oppresseur. (p.385)

 La loi, c’est ce qu’on lit, pas ce qui est écrit. (p.501)

 L’auteur et son œuvre

Donald Kingsbury, né le 12 février 1929 à San Francisco, est un auteur de science-fiction américano-canadien.

Il a enseigné les mathématiques à l’université McGill à Montréal de 1956 à 1986.

Donald Kingsbury est l’auteur de 3 romans et de 8 nouvelles.

Outre « Parade nuptiale », il a écrit « The Moon Goddess and the Son », un roman court, et « Psychohistoire en péril » (Psychohistorical crisis), un roman qui se raccroche à l’univers de la psychohistoire et des fondations d’Isaac Asimov.

Il a également commencé un autre roman se déroulant dans l’univers de Geta, « The Finger Pointing Solward ». Il ne l’a malheureusement pas terminé. Une nouvelle en a été extraite et publiée en 1994 : « The cauldron ».

Une autre de ses nouvelles a pour cadre le monde de « Parade nuptiale » : « Shipwright », publiée en 1978.

Seuls « Parade nuptiale » et « Psychohistoire en péril » existent en traduction française à l’heure actuelle.

Je n’ai lu que « Parade nuptiale » de cet auteur.

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Abé Kôbô – La femme des sables

(Roman / 1962 / Suna no onna)

Couverture du roman La femme des sables d'Abé Kôbô

Un homme marche dans les dunes à la recherche d’un insecte des sables. Il arrive à proximité d’un village en partie ensablé. Avant de comprendre ce qui lui arrive, il se retrouve prisonnier dans une maison au fond d’un trou, en compagnie d’une femme, chargé lui aussi de charrier inlassablement le sable envahissant qui menace les habitations.

Commentaire

« La femme des sables » est un roman étrange. Fascinant aussi. Il semble hors du temps. Ses protagonistes sont à peine nommés, ou pas nommés du tout. Des descriptions. Beaucoup de questions.

« La femme des sables » peut donner lieu à des interprétations multiples. Certains y verront l’inéluctable temps qui passe. Pour d’autres, il symbolisera la vacuité de la vie. Ou alors l’élévation de l’esprit. D’autres relèveront la faiblesse de l’homme. Ou sa petitesse, son insignifiance dans l’univers. L’impuissance de l’homme face aux éléments. La mort qui n’épargne personne. Chacun s’y retrouvera, en fonction de son vécu, de son état d’esprit, de ses propres réflexions.

Ce roman me fait penser, alors que les histoires et les styles d’écriture sont complètement différents, à d’autres ovnis littéraires : « Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez, « La Caverne des idées » de José Carlos Somoza ou « Le désert des tartares » de Dino Buzzati. Génial dans son genre.

Extraits

Peut-il être, en vérité, plus horrible réponse que l’absence de réponse ! (p.72)

Si la femme lui était tout un difficile problème, cela ne tenait pas à la simple donnée qu’elle était une femme : cela devait tenir, jugeait-il, à cette position qu’elle prenait, la face contre la natte et les reins relevés. D’avoir jamais rien vu d’aussi indécent, non, en vérité, il ne s’en souvenait pas. (p.73)

De même que la grenouille en hibernation abolit l’existence de l’hiver, il s’essayait à se convaincre qu’il était possible, de par sa seule immobilité à lui, d’abolir, dans le même temps et en toutes choses, la somme des mouvements qui se manifestent dans le monde. (p.73)

Il n’est jamais si gros poisson que celui qu’on vient de manquer ! (p.279)

Car seul le naufragé qui vient à grand-peine d’échapper à la noyade est à même de comprendre, lui et nul autre, tout le désir qu’on peut avoir de rire, simplement parce qu’il vous est donné de pouvoir encore respirer et vivre. (p.297)

L’auteur et son œuvre

Kôbô Abé, né le 7 mars 1924 à Tokyo, est un romancier, dramaturge et scénariste japonais.

Il passe son enfance en Mandchourie. Fils de médecin, il étudie lui-même la médecine, mais aussi les mathématiques. Il est par ailleurs passionné d’étymologie (il avait sa propre collection d’insectes dans sa jeunesse), de littérature et de philosophie.

Après avoir abandonné la médecine, il se consacre totalement à l’écriture. Son œuvre comporte une quinzaine de romans, des nouvelles, une pièce de théâtre, des essais, des poèmes. Il obtient des prix littéraires prestigieux. Son roman le plus connu est « La femme des sables ».

Kôbô Abé meurt le 22 janvier 1993 à Tokyo d’une faiblesse cardiaque.

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Christel Petitcollin – Je pense trop (comment canaliser ce mental envahissant)

(Bien-être et psychologie / 2010)

Couverture de Je pense trop de Je pense trop - Christel Petitcollin

(+) attention, ceci n’est pas une fiction ayant naturellement sa place dans ma collection de beaux romans et de belles histoires, mais un bonus qui m’a paru suffisamment intéressant pour le partager avec vous ici.

Vous vous dites souvent : « J’ai l’impression de venir d’une autre planète. »
Vous avez l’impression de réfléchir en permanence et de ne pas savoir fermer ce robinet.
Vous vous remettez régulièrement en question et ruminez certaines décisions passées, avec des « Et si j’avais… »
Vous culpabilisez pour un rien.
Vous avez parfois le sentiment d’être nul.
Vous avez aussi l’impression d’être trop lucide.
Vous abandonnez certains de vos projets, en concluant par : « À quoi bon ? »
Vous êtes sujet à des accès de tristesse inexplicables.
Vous avez certains sens plus développés que les personnes de votre entourage.
Vous vous interrogez fréquemment sur le sens de la vie.
Vous avez du mal avec certains actes du quotidien qui paraissent anodins aux autres.
Vous aimeriez souvent simplement « Être comme tout le monde. »
Vous vous demandez ce qui ne va pas chez vous.

Si vous vous reconnaissez dans ces affirmations, je vous conseille la lecture de ce livre. Il ne vous guérira pas de vos problèmes, parce que vous n’êtes pas malade. Il vous aidera à vous comprendre et à vous sentir moins seul au monde.

L’auteure et son œuvre

Christel Petitcollin est Conseil et Formatrice en communication et développement personnel, conférencière et écrivain. Passionnée de relations humaines, elle sait donner à ses livres un ton simple, accessible et concret. Son précédent ouvrage « Échapper aux manipulateurs » a rencontré un vif succès auprès de ses lecteurs. (extrait de la quatrième de couverture)

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