Laszlo Krasznahorkai – Tango de Satan

(Roman / 1985 / Sátántangó)

Couverture du roman Tango de Satan de Laszlo Krasznahorka

Europe de l’Est, deuxième moitié du vingtième siècle, octobre. Dans une coopérative agricole désaffectée, ceux qui ne sont pas partis dépriment entre alcool, fantasmes et mesquineries. Le retour d’un des leurs que tout le monde croyait mort rallume l’espoir fou d’un avenir meilleur.

Ce premier volet de quatre romans s’apparentant à une tétralogie (dont les tomes peuvent se lire indépendamment sans aucun souci puisque non liés) a été ma première incursion dans l’univers de Laszlo Krasznahorkai. Et quelle incursion !

De la pluie, de la boue, la médiocrité humaine, un système qui s’effondre et qui implose, des pensées tortueuses, de vaines chimères, des instincts primaires, la folie, la mort, un château de sable, des araignées, de la boue encore. Ce roman dépote grave !

Comme pour Proust, il m’a fallu une dizaine de pages pour m’adapter et ensuite apprécier pleinement la lecture fluide qui a suivi. Un livre oppressant, qui pèse sur l’estomac, déroutant, glauque, pessimiste, mais qu’on ne peut pas lâcher une fois qu’on l’a commencé.

Attention, Tango de Satan est un roman pour lecteurs avertis. Une lecture exigeante. Les chapitres ne sont pas courts et sont composés d’un seul paragraphe, les phrases longues se succèdent.

Une expérience de lecture extraordinaire et étonnante et marquante. Une de ces excellentes surprises qu’on savoure avec un petit sourire aux lèvres, heureux d’avoir croisé son chemin, de ne pas être passé à côté mais d’avoir fait le pas nécessaire pour faire plus ample connaissance.

J’ai eu hâte de dévorer les trois romans suivants de cet auteur hongrois qui ne peut laisser indifférent.

L’auteur et son œuvre

Laszlo Krasznahorkai est né le 5 janvier 1954 à Gyula (Hongrie). Romancier, nouvelliste, essayiste, scénariste, il a notamment écrit une douzaine de romans et plusieurs recueils de nouvelles. Il a travaillé avec le réalisateur Béla Tarr sur l’adaptation en films de cinq de ses romans. Le film Tango de Satan dure 7h30, à la mesure de la démesure de l’œuvre.

Prix Nobel de littérature 2025.

Mon Laszlo Krasznahorkai ++

Je suis heureux d’avoir lu sa tétralogie. Une lecture choc, inoubliable. Laszlo Krasznahorkai est clivant. Je fais partie des convaincus du talent unique de cet auteur, des adeptes de ses phrases à rallonge, interminables, sombres, torturées, à l’image du monde en dérive décrit dans ses livres qui ne laissent place à aucun espoir.

Je n’ai pas encore eu l’occasion de lire le reste de son œuvre.

Joëlle Dufeuilly

Je tire mon chapeau à Joëlle Dufeuilly, la traductrice de cette œuvre vertigineuse ! Je ne lis pas en VO hongroise, mais j’imagine l’exercice de traduction incomparable auquel Joëlle Dufeuilly a été confrontée. J’aurais aimé voir sa tête, lorsqu’on lui a proposé ce travail, lorsqu’elle a découvert de quoi il s’agissait. Elle s’en est sortie très haut la main. Ses traductions sont impressionnantes, extraordinaires. Je suis convaincu qu’elle a réussi le tour de force de se hisser au niveau de l’œuvre originale. Un exploit, pour cette tétralogie hors du commun.

La mélancolie de la résistance

(Roman / 1989 / Az ellenállás melankóliája)

Couverture du roman La mélancolie de la résistance de Laszlo Krasznahorkai

Quand l’économie d’un pays est au plus bas, ses habitants souffrent et s’inquiètent. Des peurs ancestrales resurgissent, menaçant chaque individu et la société. Les intellectuels dépriment et se cachent derrière la certitude de l’inévitable effondrement d’un monde dénué de sens. Les sots, éternels incompris, continuent de rire et de s’émerveiller de tout et de rien. Des profiteurs flairent des opportunités et ourdissent en secret. La crise attire des vendeurs d’illusions, obsédés par l’argent, le pouvoir ou la destruction, accompagnés de disciples aveuglés par de ronflantes promesses ou par le goût de la violence et l’odeur de la mort. L’autorité vacille, les hordes sont lâchées, le sang coule. Le réveil est douloureux. Lorsque la raison reprend le dessus, l’amnésie frappe les acteurs, les excuses fusent, la justice punit des coupables. Les plus malins tirent leur épingle du jeu. Les intellectuels constatent les dégâts, dépités. Les sots sont sacrifiés. Des victimes sont célébrées en héros. La vie reprend. L’histoire est un éternel recommencement.

Dans La mélancolie de la résistance, Laszlo Krasznahorkai nous raconte un de ces épisodes funestes à sa manière, dans une ville du sud-est de la Hongrie au bord du précipice. Le propos est glauque et oppressant. Le cataclysme latent. Les personnages sous tension. Les sens du lecteur en alerte en permanence.

L’écriture de l’auteur est toujours aussi riche et extrême (un paragraphe unique par chapitre, des phrases à rallonge). Un magma visqueux implacable agrémenté de bijoux d’humour noir subtil. Contre toute attente (pour qui n’a jamais goûté), la lecture est extrêmement fluide.

Un roman puissant d’un auteur singulier.

Une deuxième expérience remarquable après Tango de Satan.

Guerre & guerre

(Roman / 1999 / Háború és háború)

Couverture du roman Guerre & guerre de Laszlo Krasznahorkai

J’ai dévoré ce troisième roman de Laszlo Krasznahorkai comme les deux précédents, avec avidité, impressionné par le style inimitable de l’auteur et par son imagination féconde, mais aussi par cette qualité qui me plaît énormément : il ne se refuse rien, ce qui rend la lecture de son œuvre addictive et surprenante au niveau du contenu, l’auteur nous promenant à travers deux histoires imbriquées de Hongrie en Amérique, en passant notamment par la Crète, Cologne, Venise et le mur d’Hadrien, mais aussi au niveau de l’écriture, songez donc, 341 pages et 158 phrases en tout et pour tout, avant un ultime clin d’œil de l’auteur en conclusion (deux phrases très courtes), qui montre à la fois son humour singulier et sa proximité avec ses lecteurs qu’il aura pris le soin de perdre, de retrouver, de reperdre tout au long de ce livre hors du commun, d’une originalité irréfutable, livre que j’ose même qualifier tout bonnement d’époustouflant, je pèse mes mots, époustouflant, oui, qui étonne à en faire perdre haleine, c’est tout à fait ce que j’ai ressenti au fil de ces pages sombres et palpitantes qui ne laissent aucun répit à l’intrépide qui s’aventure dans cette épopée, jusqu’à cette fin spectaculaire à la Krasznahorkai que je ne vais évidemment pas dévoiler, mais que pouvions-nous attendre d’autre comme dénouement ? je vous le demande, après cette quête simultanée de l’éternité, de la beauté ultime et de la fin justement, la boucle se bouclant, mais pas encore cette chronique, parce que je ne rendrais pas un hommage digne de lui à ce roman en omettant de mentionner la précision de la plume de l’auteur et surtout sa maîtrise des personnages, une fois de plus bluffants, du personnage principal Korim, obscur archiviste de son état dans une petite ville hongroise jusqu’à une découverte qui va bouleverser son existence, Korim dont la crainte principale est de perdre la tête, au sens littéral, et dont l’arme secrète pour lutter contre la peur est de se lancer dans une logorrhée protectrice, de Korim donc, mais aussi de tous les personnages qui gravitent autour de lui durant les 8 chapitres de ce périple fascinant. Une belle expérience.

Le baron Wenckheim est de retour

(Roman / 2016 / Báró Wenckheim hazatér)

Couverture du roman Le baron Wenckheim est de retour de Laszlo Krasznahorkai

Le quatrième de la tétralogie. Laszlo Krasznahorkai est allé au bout de son concept, à tous points de vue.

La forme. J’ai lu la version poche de Babel. 580 pages. La première phrase fait près de 7 pages. La deuxième en fait 11. La moyenne tourne autour de 3 ou 4 pages. Le lecteur saute des pensées d’un personnage à celles d’un autre. Un pli à prendre pour comprendre. Des personnages nommés, d’autres non. Un autre pli. Après les plis, un bonheur de lecture.

Le fond. Si j’osais, ou si on m’obligeait à résumer ce pavé en 10 mots, je dirais : la petitesse de l’humain et la vacuité du tout.

Et puis il y a l’histoire et les personnages.

L’histoire principale, le retour du vieux baron Wenckheim dans sa ville natale, en Hongrie, après une vie passée en Argentine. Pour finir ses jours sur les terres qui l’ont vu naître ? pour renflouer les caisses de la ville sinistrée ? pour retrouver un amour de jeunesse ? Et les histoires annexes. Celle du professeur célèbre qui vit dans un cabanon coupé du monde. Celle d’une bande de bikers nationalistes. Celles des autorités, corrompues ? incompétentes ? Celles des habitants de cette ville économiquement à la dérive.

Tout est gangréné par la médiocrité.

Un pamphlet anonyme crucifie le Hongrois.

Des événements s’enchaînent, sans aucun sens.

Un danger menace.

Le système est au bord du gouffre.

Laszlo Krasznahorkai distille son humour noir, perd le lecteur qui jubile en se raccrochant aux branches mortes de ce livre apocalyptique, déclame ses vérités compréhensibles ou non.

Parce que oui, malgré tout ce que j’ai décrit. Ou à cause de tout cela, de ces phrases interminables, de ces réflexions égoïstes et confuses, de ce pays qui s’effondre, des incompréhensions et des maladresses qui se succèdent, du Dante qu’on n’attendait pas, d’un tube de Madonna, de la violence, de l’absurdité, de la démesure, ce roman est jubilatoire.

Laszlo Krasznahorkai l’a fait.

Fin de sa tétralogie qui peut se lire dans le désordre.

Pour lecteurs avertis. Je vous aurai prévenus.

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