Tracy Chevalier – La jeune fille à la perle ♥

(Roman / 1999 / Girl with a pearl earring)

Couverture du roman La jeune fille à la perle de Tracy Chevalier

Début de la quatrième de couverture

La jeune et ravissante Griet est engagée comme servante dans la maison du peintre Vermeer. Nous sommes à Delft, au dix-septième siècle, l’âge d’or de la peinture hollandaise. Griet s’occupe du ménage et des six enfants de Vermeer en s’efforçant d’amadouer l’épouse, la belle-mère et la gouvernante, chacune très jalouse de ses prérogatives.
Au fil du temps, la douceur, la sensibilité et la vivacité de la jeune fille émeuvent le maître qui l’introduit dans son univers.

Commentaire

J’ai une tendresse particulière pour ce roman, découvert par hasard en 2007. Profitant de l’effet euphorisant qu’une librairie procure sur mon humble personne, je me promenais nonchalamment entre des étagères remplies de livres lorsque soudain, au détour d’un rayon, je me suis retrouvé nez-à-nez avec cette jeune fille au visage envoûtant. J’en ai eu la respiration coupée. Comme d’autres, j’étais tombé sous le charme de ce tableau de Vermeer depuis bien longtemps déjà. J’y avais fait référence peu de temps auparavant. Et voilà qu’il me regardait, imprimé sur un support qui me plaît tant, un livre.

J’ai acheté le roman illico et je l’ai lu avec délectation.

Tracy Chevalier a inventé l’histoire de ce tableau, « La jeune fille à la perle », en se basant sur les éléments historiques dont elle disposait. Rien que le fait d’avoir eu l’idée d’imaginer l’histoire de cette œuvre m’a enthousiasmé. Le résultat m’a enchanté.

Ce roman est une réussite, un sans-faute. Tout y est : le sujet, le style, l’histoire, les personnages. Et tout y est bon.

Tracy Chevalier nous dépeint avec minutie la société hollandaise du dix-septième siècle, dans un style riche et fluide, très agréable à lire. Elle décortique les relations entre les classes sociales, la cohabitation entre les religions, la place de la femme dans la société et son combat permanent pour exister, la vie de l’artiste, son côté créatif, avec des explications bienvenues sur les couleurs et la lumière notamment, mais aussi ses aspects commerciaux et ses contraintes bassement matérielles, incontournables pour subvenir aux besoins de la famille. Sans oublier la relation ambiguë qui s’installe peu à peu entre le peintre et son modèle. Pour parvenir à ses fins, l’auteure utilise une panoplie de personnages fouillés, décrits avec soin. Un magnifique exercice !

Après avoir lu ce roman, on ne voit plus le tableau tout à fait de la même manière.

Film

« La jeune fille à la perle » a été adapté au cinéma par Peter Webber en 2003. Ce film, aux couleurs exceptionnellement travaillées, offre l’un de ses plus beaux rôles à Scarlett Johansson.

Même si, comme très souvent, l’adaptation cinématographique ne rend pas complètement justice à la complexité et à la richesse du roman, en omettant de nombreux événements détaillés dans le livre et en se concentrant sur la relation entre Vermeer et Griet, le film est très beau et vaut le coup d’être vu.

Extraits

Mon père me tendit un petit paquet enveloppé dans un mouchoir. « Ça te rappellera la maison et nous tous », dit-il. (p.23)

Elle pouvait être drôle et espiègle un moment, puis agressive quelques instants plus tard, comme le chat qui ronronne mord quelquefois la main qui le caresse. (p.79)

J’avais le temps de penser, je pensais trop. J’étais comme le chien qui, à force de lécher ses plaies pour les nettoyer, les avive. (p.121)

« Dites-moi Griet, pourquoi avez-vous déplacé la nappe? » Sa voix avait le même ton que lorsqu’il m’avait questionné au sujet des légumes, dans la cuisine de mes parents.
Je réfléchis. « Il faut un peu de désordre dans la composition pour faire ressortir la sérénité du modèle, expliquai-je. Il faut quelque chose qui dérange l’œil tout en lui étant agréable, et ça l’est parce que l’étoffe et son bras sont dans une position similaire. »
Un long silence s’ensuivit. Mon maître contemplait la table. J’attendis, m’essuyant les mains à mon tablier.
« Je n’aurais pas cru que je pouvais apprendre quelque chose d’une servante », finit-il par dire. (p.187)

« Maintenant, regardez-moi. »
Je tournai la tête et le regardai par-dessus mon épaule droite.
Ses yeux s’immobilisèrent dans les miens et tout ce qui me vint à l’esprit ce fut que leur gris me rappelait l’intérieur d’une coquille d’huître.
Il semblait attendre quelque chose. Mon visage commença à refléter ma crainte de ne pouvoir le satisfaire.
« Griet », reprit-il avec douceur. Il n’eut point besoin d’en dire davantage, mes yeux s’emplirent de larmes. Je les retins, je savais faire maintenant.
« Oui. Ne bougez pas. »
Il allait peindre mon portrait. (p.232)

L’auteure et son œuvre

Tracy Chevalier, née le 19 octobre 1962 à Washington, est spécialisée dans les romans historiques. Elle vit à Londres avec son mari et son fils.

A ce jour, Tracy Chevalier a écrit dix romans.

J’ai toujours l’impression de lire du classique quand je lis du Tracy Chevalier. Outre ses thématiques historiques pointues, bien trouvées et bien documentées, Tracy Chevalier a le chic, ou plutôt le talent, de conter ses histoires de fort agréable manière. Son style soutenu et fluide à la fois, une association parfaite qui paraît si simple mais qui pourtant est en réalité tellement compliquée, rend ses livres plaisants et addictifs.

Certains protagonistes de ses romans sont des personnages ayant réellement existé.

A recommander aux lecteurs amateurs de belles écritures et de romans dont l’action se déroule à d’autres époques.

Mon Tracy Chevalier ++

J’ai lu six romans de Tracy Chevalier à ce jour, tous très recommandables.

La dame à la licorne

(2003 / The lady and the unicorn)

Désireux d’orner les murs de sa nouvelle demeure parisienne, le noble Jean Le Viste commande une série de six tapisseries à Nicolas des Innocents, miniaturiste renommé à la cour du roi de France, Charles VIII. Surpris d’avoir été choisi pour un travail si éloigné de sa spécialité, l’artiste accepte néanmoins après avoir entrevu la fille de Jean Le Viste dont il s’éprend.
La passion entraînera Nicolas dans le labyrinthe de relations délicates entre maris et femmes, parents et enfants, amants et servantes.
En élucidant le mystère d’un chef-d’œuvre magique, Tracy Chevalier ressuscite un univers de passion et de désirs dans une France où le Moyen Age s’apprête à épouser la Renaissance.
(quatrième de couverture)

L’origine de La Dame à la Licorne, tenture célèbre composée de six tapisseries, reste un mystère. Nul ne sait qui a réalisé ce chef d’œuvre, ni qui l’a commandité.
Après avoir procédé à des recherches pour savoir ce qu’il était possible de trouver à ce sujet, l’auteure a imaginé l’histoire de cette œuvre d’art. Avec brio.
Tracy Chevalier nous emmène en 1490 et nous entraîne dans des aventures rocambolesques, de Paris à Bruxelles. Avec toujours le sens du détail. Et de l’humour !
Le roman de Tracy Chevalier que je préfère, après « La jeune fille à la perle ».

La Vierge en bleu

(1997 / The Virgin blue)

Récemment arrivée des Etats-Unis avec son mari, Ella Turner a du mal à trouver sa place dans cette bourgade de province du sud-ouest de la France. S’y sentant seule et indésirable, elle entreprend des recherches sur ses ancêtres protestants qui eurent à fuir les persécutions. (début de la quatrième de couverture)

Premier roman de Tracy Chevalier. Au programme, la guerre de religions entre catholiques et protestants il y a quatre siècles. Et le destin de deux femmes séparées par ce même laps de temps. Délicieux.

Prodigieuses créatures

(2009 / Remarkable creatures)

Dans les années 1810, à Lyme Regis, sur la côte du Dorset battue par les vents, Mary Anning découvre ses premiers fossiles et se passionne pour ces prodigieuses créatures qui remettent en question les théories sur la création du monde. Très vite, la jeune fille issue d’un milieu modeste se heurte à la communauté scientifique, exclusivement composée d’hommes. (début de la quatrième de couverture)

Biographie romancée de Mary Anning et de son amie Elizabeth Philpot, chasseuses de fossiles à Lyme, à une époque où la science était réservée aux hommes d’une certaine condition sociale.
L’histoire est à la fois captivante et instructive. L’écriture, comme d’habitude chez Tracy Chevalier, est remarquable, voire prodigieuse. La quatrième de couverture mentionne « une finesse qui rappelle Jane Austen ». Le style est avant tout celui de Tracy Chevalier, et c’est mine de rien un beau compliment.

La dernière fugitive

(2013 / The last runaway)

1850. Après un échec sentimental, Honor Bright, quaker anglaise, embarque pour l’Amérique en compagnie de sa sœur, partie rejoindre son fiancé. Très vite, elle doit apprendre à survivre et à se reconstruire dans un nouveau pays aux coutumes étranges.

Un autre très bon roman de Tracy Chevalier. L’auteure raconte la vie des quakers et celle des femmes dans un pays encore sauvage. Par ailleurs, elle décrit le chemin de fer clandestin, ce réseau de routes et de contacts secrets emprunté par les esclaves en fuite, dans ce même pays soumis aux lois esclavagistes. Prenant.

A l’orée du verger

(2016 / At the edge of the orchard)

En 1838, la famille Goodenough s’installe sur les terres marécageuses du Black Swamp, dans l’Ohio. Le père est obsédé par son verger. La mère déteste ces pommiers. Chaque hiver, la fièvre emporte un de leurs enfants.

Roman plus sombre que les précédents. Toujours aussi bien écrit.

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Jack London – Martin Eden ♥

(Roman / 1909)

Couverture du roman Martin Eden de Jack London

Martin Eden est un jeune marin issu des bas-fonds d’Oakland. Un jour, il est admis par hasard chez des bourgeois et tombe amoureux de la jeune fille de la maison, Ruth. Il a envie de la conquérir mais comprend rapidement qu’il traîne deux gros handicaps pour arriver à ses fins. D’une, Ruth et lui n’appartiennent pas à la même classe sociale. De deux, son ignorance et son manque de culture paraissent rédhibitoires pour intégrer ce monde qu’il découvre à peine et conquérir la belle. Il n’abandonne pas pour autant et commence par s’instruire. Il projette de devenir écrivain.

Commentaire

Attention chef d’œuvre !

Jack London évoque souvent de grands espaces blancs, des chiens de traîneau, la nature sauvage. Ces thématiques, notamment développées dans « L’appel de la forêt » et « Croc-Blanc », ne sont pas à l’ordre du jour dans ce roman.

« Martin Eden », en partie autobiographique, dépeint une certaine société américaine du début du 20e siècle, le gouffre séparant les classes sociales, les conditions de travail déplorables des classes ouvrières, l’ascension sociale méritée grâce à un travail acharné, la passion amoureuse, l’écriture, les éditeurs, les illusions, les désillusions, le paraître, l’étroitesse d’esprit de ceux qui pensent savoir, l’hypocrisie, la solitude. Un roman exceptionnel, d’une grande richesse au niveau des sujets abordés et d’une extrême lucidité quant à leur traitement. En plus, il est très bien écrit. Un de mes préférés, tous styles confondus.

Extraits

Ils avaient appris la vie dans les livres, et lui l’avait vécue. (p.48)

Jamais elle n’aurait deviné qu’à ces moments-là, cet homme venu d’un milieu inférieur la dépassait par la grandeur et la profondeur de ses conceptions. Comme tous les esprits limités qui ne savent reconnaître de limites que chez les autres, elle jugea que ses propres conceptions de la vie étaient vraiment très vastes, que les divergences de vues qui les séparaient l’un de l’autre marquaient les limites de l’horizon de Martin et rêva de l’aider à voir comme elle, d’agrandir son esprit à la mesure du sien. (p.99)

Autrefois, il s’imaginait naïvement que tout ce qui n’appartenait pas à la classe ouvrière, tous les gens bien mis avaient une intelligence supérieure et le goût de la beauté ; la culture et l’élégance lui semblaient devoir marcher forcément de pair et il avait commis l’erreur insigne de confondre éducation et intelligence. (p.306)

Ils ont essayé d’écrire et ils n’ont pas pu. Et voilà justement le paradoxe idiot de la chose : toutes les portes de la littérature sont gardées par des cerbères : les ratés de la littérature. Éditeurs, rédacteurs, directeurs des services littéraires des revues et librairies, tous, ou presque tous, ont voulu écrire et n’ont pas réussi. (p.318)

Ce n’est pas dans le succès d’une œuvre qu’on trouve sa joie, mais dans le fait de l’écrire. (p.341)

J’étais le même alors, le même qu’aujourd’hui. Et vous ne m’avez pas reconnu. Pourquoi me reconnaissez-vous aujourd’hui ? (p.445)

Il y eut un long grondement et il lui sembla glisser sur une interminable pente. Et, tout au fond, il sombra dans la nuit. Ça, il le sut encore : il avait sombré dans la nuit.
Et au moment même où il le sut, il cessa de le savoir. (p.478)

Ailleurs sur la toile

Direction le Québec. Mamaki sur sa chaîne Youtube Sous le ciel nous livre des mots très justes dans son analyse de « Martin Eden » :

L’auteur et son œuvre

John naît le 12 janvier 1876. Sa mère est abandonnée par son père biologique. Elle se marie quelques mois plus tard avec John London, un veuf, père de deux enfants. Le futur écrivain est appelé Jack à partir de ce moment-là, pour ne pas le confondre avec son père adoptif.

La famille s’installe à Oakland en 1886. Il fréquente la bibliothèque publique de la ville, donnant peut-être naissance à une future vocation. Il effectue des petits boulots. À partir de 1890, il devient ouvrier, puis pilleur d’huîtres. Il côtoie des voyous, découvre l’alcool et les filles.

En 1893, il s’engage sur une goélette qui l’emmènera jusqu’au Japon. À son retour, il gagne un concours de rédaction en prose et fait publier le récit d’une de ses expériences en mer dans le quotidien « San Francisco Morning Call ».

Il occupe des boulots harassants. Il subit ensuite la panique de la crise de l’emploi de cette année-là et se retrouve sans travail.

Engagement politique

En 1894, il adhère au parti socialiste. Il vit dans la misère, est emprisonné 30 jours pour vagabondage.

Jack London intègre le lycée en 1895, puis l’université en 1896. Il continue de militer pour le parti, est condamné à un mois de prison pour agitation. Il étudie intensément mais doit abandonner l’université de Berkeley par manque de moyens financiers.

En 1897, il participe à la ruée vers l’or au Klondike. Atteint du scorbut, il est rapatrié en 1898.

Ses expériences et ses voyages constitueront une riche source d’inspiration.

Il continue d’écrire et, en 1900, parvient à faire publier un premier recueil de nouvelles « Le fils du loup », un premier pas vers le succès. Il se marie la même année avec Bessie Maddern qui lui donnera deux filles.

En 1902, il vit à Londres. Son expérience anglaise lui sert pour l’écriture d’un essai : « Le peuple de l’abîme ».

Succès

Il obtient succès et célébrité en 1903, avec la publication de son roman « L’appel de la forêt ». Il enfoncera le clou en 1906 avec « Croc-Blanc ». Entretemps, il aura divorcé, couvert le conflit russo-japonais au Japon et en Corée en 1904 et se sera remarié en 1905 avec Charmian Kittredge.

Jack London construit un ranch en 1905, puis un bateau en 1907. Il embarque pour un tour du monde qui s’arrête en Australie : il est malade et doit être soigné.

Il enchaîne les romans à succès : « Le talon de fer » en 1908, son grand roman politique et la première dystopie moderne, puis « Martin Eden » en 1909 qu’il présentera lui-même comme une dénonciation de l’individualisme souvent mal comprise par le public.

Jack London meurt le 22 novembre 1916, d’une urémie, alors qu’il prend de la morphine, souffrant aussi de dysenterie et d’alcoolisme.

Il aura écrit plus d’une vingtaine de romans, des essais, plus de 200 nouvelles, des récits d’aventures, d’autres à couleur socialiste, parfois autobiographiques, certains s’apparentant même à de la science-fiction. Il aura été un des premiers écrivains américains capitalisant fortune et célébrité grâce à la littérature.

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John Irving – L’oeuvre de Dieu, la part du Diable ♥

(Roman / 1985 / The cider house rules)

Couverture du roman L'oeuvre de Dieu, la part du Diable de John Irving

Années 1920. Au fin fond du Maine, le docteur Wilbur Larch met des enfants non désirés au monde (l’œuvre de Dieu), des bébés abandonnés qu’il recueille dans son orphelinat. Il pratique aussi l’avortement (la part du Diable), contre les lois en vigueur.

Homer Wells est un de ces orphelins. Plusieurs tentatives pour le placer en famille d’adoption échouent. Il sera finalement autorisé à rester à l’orphelinat, auprès du docteur Larch, de nurse Angela et de nurse Edna qu’il considère comme sa véritable famille. Larch le prend sous sa coupe et lui apprend peu à peu le métier d’obstétricien.

Commentaire

« L’oeuvre de Dieu, la part du Diable » est un roman bouleversant, drôle, abordant des sujets sensibles (avortements, enfants non désirés, abandons) sans tomber dans le jugement ou le caricatural. Fidèle à son habitude, Irving nous offre son lot de personnages attachants et complexes. Il est difficile de reposer le livre une fois qu’on s’est plongé dans cette magnifique histoire. Irving est au sommet de sa forme. Il développe ses sujets avec maîtrise et aisance. La narration est exceptionnelle. Les idées fusent. L’humour et l’émotion sont extraordinairement bien dosés. Le lecteur passe du rire aux larmes en l’espace de quelques paragraphes. Du grand art.

Le début de résumé ci-dessus ne rend pas justice à la qualité, à l’intensité et à la richesse du récit (pourquoi la pomme sur la couverture, tout d’abord ? et puis il y aurait tant à dire sur Melony, sur Candy, sur Wally, sur Ange aussi). Un roman génial. Le meilleur de John Irving à mon sens.

Extraits

Les raisons pour lesquelles les orphelins doivent être adoptés avant l’adolescence ? C’est qu’ils ont besoin d’être aimés et d’avoir quelqu’un à aimer, avant de s’embarquer dans cette phase nécessaire de l’adolescence, à savoir : le besoin de tromper, soutenait Larch dans sa lettre. L’adolescent découvre que le mensonge est presque aussi séduisant que le sexe et beaucoup plus facile à pratiquer. (p.125)

 Je ne prétends pas que c’est bien, tu comprends ? Je dis que c’est à elle de choisir – c’est un choix de femme. Elle a le droit d’avoir le choix, tu comprends ? (p.142)

 Il faut que tu les aides parce que tu sais comment les aider. Demande-toi qui les aidera si tu refuses. (p.639)

– C’est dur d’avoir envie de protéger quelqu’un et d’en être incapable, fit observer Ange.
– On ne peut pas protéger les gens, petit, répondit Wally. Tout ce qu’on peut faire, c’est les aimer. (p.702)

L’auteur et son œuvre

John Irving naît le 2 mars 1942. Il grandit dans le New Hampshire. Étudiant médiocre, il excelle en lutte. En 1963, il obtient une bourse et part étudier un an à Vienne. Il publie son premier roman à l’âge de 26 ans. La consécration n’arrivera qu’avec le quatrième, « Le monde selon Garp », best-seller international, comme le sont devenus tous ses écrits par la suite.

Il a publié à ce jour 15 romans, un recueil de nouvelles, un essai et un livre pour enfants.

Certains thèmes sont récurrents dans son œuvre : la lutte, la Nouvelle-Angleterre, Vienne, les ours, les relations de couple, un parent absent (John Irving n’a pas connu son géniteur, Irving est le nom de son père adoptif).

John Irving est un conteur-né. Inventif, habile, imprévisible, addictif, il soigne autant ses personnages que ses histoires. Il écrit merveilleusement bien. Et en plus, il a beaucoup d’humour. Un grand écrivain.

Mon John Irving ++

J’ai lu 10 romans de John Irving, tous recommandables. J’ai une préférence cependant pour les suivants, autres petits chefs-d’œuvre absolument savoureux :

Une veuve de papier

(1998 / A widow for one year)

En 1958, Ted Cole, un auteur de livres pour enfants, pousse son assistant saisonnier de 16 ans dans les bras de Marion, sa femme. Il veut précipiter un divorce devenu inéluctable depuis la mort de leurs deux fils.

Dernière nuit à Twisted River

(2009 / Last night in Twisted River)

À Twisted River, les bûcherons mangent chez le Cuistot et chez son fils. Jusqu’au drame. Une très belle histoire de brutes, d’ours, de meurtres, de fuites et de femmes, indiennes, italiennes…

Le monde selon Garp

(1978 / The world according to Garp)

L’histoire déjantée de S.T. Garp, qui deviendra écrivain, et de sa mère, infirmière et féministe malgré elle, qui a choisi le sergent technicien Garp, « opérationnellement intact » malgré un cerveau endommagé, comme père de son unique enfant.

Le premier roman de John Irving que j’ai lu. Imparable.

L’Hôtel New Hampshire

(1981 / The Hotel New Hampshire)

L’histoire désopilante et grave, loufoque et émouvante, de l’excentrique famille Berry, deux parents, cinq enfants, un ours, un chien, dans trois hôtels sur deux continents.

Une prière pour Owen

(1989 / A prayer for Owen Meany)

Owen, ami du narrateur, se croit l’instrument de Dieu. Dans l’Amérique d’avant la guerre du Vietnam, à 11 ans, il en paraît 6, mais affiche une intelligence au-dessus de la moyenne. Une histoire drôle et bouleversante.

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Amélie Nothomb – Acide sulfurique

(Roman – dystopie / 2005)

Couverture du roman Acide sulfurique d'Amélie Nothomb

Dans un futur plus ou moins proche, des rafles autorisées par la loi sont organisées pour recruter, sans leur aval, les candidats d’une nouvelle émission de télé-réalité, « Concentration ». Le principe de l’émission est de montrer aux spectateurs les privations et humiliations des candidats prisonniers sous le joug d’impitoyables candidats kapos. Leur inexorable affaiblissement. Leur détresse. Leur mise à mort également. Le tout, en direct et sans filtre.

« Concentration » scandalise évidemment les médias et l’opinion publique. L’audimat atteint toutefois des sommets.

La laide et stupide kapo Zdena tombe sous le charme de la plus belle des prisonnières, Pannonique, connue dans le camp sous le nom CKZ 114.

Commentaire

Il fallait oser. Et Amélie Nothomb a osé. Dénoncer les excès de la télé-réalité, l’hypocrisie et le voyeurisme des spectateurs et la course à l’audimat, peu importe les moyens employés, en associant ce genre télévisuel à une barbarie qui a marqué l’Histoire de la plus mauvaise des manières, les camps de concentration de la Deuxième Guerre mondiale. Avec tortures, destruction de la personnalité et exécutions incluses dans le concept, pour ne pas faire les choses à moitié.

Une dystopie courte, cruelle, écrite dans le style si particulier d’Amélie Nothomb. Une dystopie intelligente, qui prête à réfléchir. Un roman qui a provoqué l’indignation de certains, scandalisés par l’audace jugée déplacée de l’auteure. Une œuvre polémique ? À chacun de se faire sa propre opinion. « Acide sulfurique » est une véritable réussite en ce qui me concerne !

Visionnaire ? Terrifiant.

Les âmes sensibles préféreront peut-être les romans d’Amélie Nothomb décrits plus bas dans cet article. Surtout comme porte d’entrée de l’œuvre de cette auteure.

Extraits

Vint le moment où la souffrance des autres ne leur suffit plus : il leur en fallut le spectacle (quatrième de couverture et premier paragraphe du livre).

 C’est quand son absence est la plus criante que Dieu est le plus nécessaire. (p.79)

 Il est beaucoup plus difficile de battre un individu dont on connaît le nom. (p.109)

 Comme n’importe quelle ratée, elle méprisait ceux qui excellaient là où elle avait échoué. (p.114)

 Ce qui est beau, c’est quand quelqu’un parle pour dire quelque chose. (p.115)

 Elle est sublime. Mais on peut être sublime et se tromper. (p.177)

L’auteure et son œuvre

Amélie Nothomb est un personnage à part dans le monde de la littérature. Cette mystérieuse dame au chapeau a le chic pour sortir du lot commun des écrivains francophones. Même sa date de naissance est sujette à débat. Selon certaines sources, elle serait née le 13 août 1967 à Kobé, au Japon. D’autres prétendent qu’elle a vu le jour le 9 juillet 1966 à Etterbeek, en Belgique. Qui d’autre peut se prévaloir d’être né deux fois, à plus d’un an d’intervalle, sur deux continents différents, à plus de 9000 kilomètres de distance ?

Fille d’un diplomate belge, elle passe son enfance au rythme des affectations de son père, au Japon, en Chine, à New York, au Bangladesh, en Birmanie et au Laos. Elle ne découvre véritablement la vie en Belgique qu’à dix-sept ans, l’âge de ses premiers écrits.

Elle connait son premier succès littéraire en 1992, avec le roman « Hygiène de l’assassin ». Depuis, elle collectionne succès et prix, publiant consciencieusement un livre par an.

Son œuvre est extrêmement variée. Les sujets de ses romans en partie autobiographiques proviennent de ses expériences et voyages à travers le monde. D’autres romans se rapprochent de fables. Ses écrits sont souvent courts, parfois complètement loufoques. Toutes ses œuvres ont comme points communs un style précis, incisif, empreint d’humour, des dialogues savoureux et une manière particulière de distiller des idées et des observations lucides et pertinentes qui prêtent à réflexion. Le noir et le morbide font partie du riche attirail de l’auteure. L’expérimentation et l’inventivité aussi.

À tester, si vous n’y avez jamais goûté. Et plus si affinités.

Amélie Nothomb peut compter sur un public large et fidèle, dont elle est très proche. Elle va notamment régulièrement à sa rencontre lors de séances de dédicaces.

Mon Amélie Nothomb ++

Je ne connais pas encore tous les écrits de cette auteure, mais je n’ai jamais été déçu par les œuvres que j’ai lues.

Pour moi, un roman d’Amélie Nothomb est comme une friandise très colorée. Lorsque la gourmandise me prend, j’en choisis une que je n’ai jamais goûtée et je la déguste avec volupté. Je me délecte alors de nouvelles saveurs, mélanges de sucré, de salé, d’acidité, d’amertume et de piquant. Des découvertes toujours agréables et surtout surprenantes.

Les livres d’Amélie Nothomb fonctionnent un peu comme la boîte de chocolats de Forrest Gump.

Trois bonbons à conseiller, parmi tant d’autres :

Métaphysique des tubes

(2000)

Roman autobiographique narrant les trois premières années de la vie d’Amélie Nothomb au Japon. Ce formidable récit présente une enfant qui découvre le monde et ses vérités, parfois cruelles. Avec beaucoup de lucidité, de clairvoyance et d’humour.

Stupeur et tremblements

(1999)

Encore un roman en partie autobiographique. Amélie Nothomb est recrutée pour un an dans une très grosse entreprise japonaise, la compagnie Yumimito. Elle déchante très vite.

Un roman drôle qui s’apprécie sur trois niveaux : la description de la société japonaise ultra-coincée dans ses codes, les réactions occidentales et nothombiennes de l’auteure et le style d’écriture décapant. Imparable !

Peut-être le roman idéal pour découvrir Amélie Nothomb.

La nostalgie heureuse

(2013)

Et un troisième roman autobiographique. Récit des retrouvailles entre Amélie Nothomb et le Japon en 2012, pour le tournage d’un reportage sur la romancière. Retrouvailles également entre Amélie Nothomb et Nishio-san, sa nounou adorée qu’elle a quitté le cœur brisé à l’âge de six ans, entre Amélie Nothomb et Rinri, son amour japonais de ses vingt-et-un ans. La relation de l’époque entre Amélie et Rinri a fait l’objet d’un autre roman : « Ni d’Ève ni d’Adam ».

J’ai été particulièrement ému en lisant dans « La nostalgie heureuse » :

Les caniveaux et les égouts n’ont pas changé. (p.49)

Et bien entendu par les retrouvailles entre Amélie et celle qu’elle considère comme sa deuxième mère.

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Harper Lee – Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur ♥

(Roman / 1960 / To kill a mockingbird)

Couverture du roman Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur d'Harper Lee

Début de la quatrième de couverture

Dans une petite ville d’Alabama, à l’époque de la Grande Dépression, Atticus Finch élève seul ses deux enfants, Jem et Scout. Avocat intègre et rigoureux, il est commis d’office pour défendre un Noir accusé d’avoir violé une Blanche.

Commentaire

Je ne vais pas détailler davantage le résumé de ce roman culte qui a été publié aux Etats-Unis alors que la loi autorisait encore la discrimination raciale.

Ce Prix Pulitzer 1961 délivre un message fort. En plus, l’histoire est superbement narrée par la jeune Scout.

Humour, mélancolie et suspense sont au rendez-vous de ce livre bouleversant traitant de l’enfance, de la tolérance, de la bêtise et de la condition humaine.

Un incontournable en ce qui me concerne.

Extraits

– D’abord, Scout, un petit truc pour que tout se passe mieux entre les autres, quels qu’ils soient, et toi : tu ne comprendras jamais personne tant que tu n’envisageras pas la situation de son point de vue…
– Pardon?
– … tant que tu ne te glisseras pas dans sa peau et que tu n’essaieras pas de te mettre à sa place. (p.52)

 – Tu défends les nègres, Atticus ? lui demandai-je le soir même.
– Bien sûr. Ne dis pas « nègre », Scout, c’est vulgaire.
– Tout le monde dit ça, à l’école.
– Désormais, ce sera tout le monde sauf toi…
– Eh bien, si tu ne veux pas que je parle de cette manière, pourquoi m’envoies-tu à l’école ? (p.121)

– On va gagner, Atticus ?
– Non, ma chérie.
– Alors pourquoi…
– Ce n’est pas parce qu’on est battu d’avance qu’il ne faut pas essayer de gagner. (p.123)

Les moqueurs ne font rien d’autre que de la musique pour notre plaisir. Ils ne viennent pas picorer dans les jardins des gens, ils ne font pas leurs nids dans les séchoirs à maïs, ils ne font que chanter pour nous de tout leur coeur. Voilà pourquoi c’est un péché de tuer un oiseau moqueur. (p.144)

 – Il devrait en être fier, dis-je.
– Les gens normaux ne tirent jamais aucune fierté de leurs talents, dit Miss Maudie. (p.156)

– Ils ont tout à fait le droit de le penser et leurs opinions méritent le plus grand respect, dit Atticus, mais avant de vivre en paix avec les autres, je dois vivre en paix avec moi-même. La seule chose qui ne doive pas céder à la loi de la majorité est la conscience de l’individu. (p.167)

Avec lui, la vie était banale, sans lui, elle devenait insupportable. (p.182)

 – D’après toi, pourquoi Boo Radley ne s’est jamais enfui ?
Il poussa un long soupir et me tourna le dos.
– Peut-être parce qu’il a nulle part où aller… (p.225)

Ne t’en fais pas Jem ; les choses ne sont jamais aussi mauvaises qu’elles en ont l’air. (p.334)

– Non, Jem, moi je pense qu’il n’y a qu’une seule sorte de gens, les gens. (p.352)

L’auteure et son œuvre

Harper Lee est née le 28 avril 1926 et morte le 19 février 2016 à Monroeville dans l’Alabama.

Après des études de droit, elle s’installe à New York en 1950 et décide de devenir écrivain.

En 1959, elle donne un coup de main à Truman Capote, son camarade d’enfance, qui se lance dans un projet ambitieux : l’écriture du roman documentaire « De sang-froid » (In cold blood), basé sur un quadruple meurtre réel. Elle l’aide dans ses recherches et l’assiste dans les entretiens qu’il mène à Holcomb dans le cadre de son enquête sur le crime en question. Truman lui dédie le roman et la remercie pour son travail à ses côtés.

Le premier roman d’Harper Lee paraît en 1960 : « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur ». Le succès est immédiat et ne se démentira jamais. Souvent étudié à l’école, ce roman est devenu un classique de la littérature américaine.

Pendant longtemps, elle ne publiera pas d’autre roman, déclarant qu’elle avait dit ce qu’elle avait à dire.

Va et poste une sentinelle

Fin 2014, à l’âge de 88 ans, elle aurait donné son accord pour publier un manuscrit qui traînait depuis des décennies dans un tiroir, « Va et poste une sentinelle ». Pourquoi ce changement d’avis après 54 ans ? Parce qu’elle aurait été poussée par son avocate ? son éditeur ? Parce qu’elle n’était plus protégée par sa sœur, décédée en 2011 ?

Ce roman a été écrit avant « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur ». Il présente Scout et sa famille 20 ans après les faits du premier roman.

Au final, une énorme déception. Le style n’est pas au point. Les personnages n’ont pas les mêmes traits de caractère entre les deux livres. Certains souvenirs relatés présentent des faits différents de ceux qui se sont déroulés dans « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur ». « Va et poste une sentinelle » n’est peut-être qu’un premier mauvais jet du futur classique. Et une opération marketing de fort mauvais goût. À éviter.

Pour moi, Harper Lee restera l’auteure géniale d’un unique roman, génial lui aussi : « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur ». Après, chacun pourra se faire son opinion.

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Honoré de Balzac – La Maison du Chat-qui-pelote

(Nouvelle / 1830)

Couverture de La maison du Chat-qui-pelote d'Honoré de Balzac

Théodore de Sommervieux, aristocrate et peintre, rôde autour de la Maison du Chat-qui-pelote où résident les Guillaume, fameux drapiers de Paris, leurs filles Virginie et Augustine, et leurs trois commis. Il est amoureux de la belle Augustine. Un an plus tôt, son cœur a chaviré lorsqu’il a surpris un dîner dans cette maison. À la nuit tombante, sous une lumière comparable à celle des grands tableaux de l’école hollandaise, elle lui est apparue comme la figure principale d’un tableau vivant. Joseph Lebas, l’aîné des commis, éprouve des sentiments semblables pour la jeune fille.

Commentaire

Balzac a placé « La Maison du Chat-qui-pelote » en ouverture de sa Comédie humaine. Un choix judicieux. On y retrouve la plume élégante de l’écrivain, ses descriptions détaillées, son amour du vieux Paris, de l’architecture, de la peinture.

Dans cette nouvelle, Balzac nous livre un premier lot de types de personnage : l’artiste (Théodore), le commerçant (M. Guillaume), la femme dominatrice et sans scrupules (la duchesse de Carigliano), la femme amoureuse et malheureuse (Augustine). Il peint différentes alliances : les mariages raisonnables et calculés (les Guillaume, leur fille et le commis), les mariages de la haute société autorisant excès et libertinage (les Carigliano), les liaisons découlant des précédents (la duchesse et ses amants), les liaisons mortes avant de naître (Joseph amoureux d’Augustine), le mariage d’amour (Théodore et Augustine), malheureux, impossible, de par la rencontre de deux mondes incompatibles, celui de l’artiste aristocrate vivant dans un monde d’esthétique et de distractions, et celui d’Augustine qui n’a connu que le labeur et le matériel.

Pourquoi avoir choisi ici cette nouvelle de Balzac, plutôt qu’un de ses grands romans de la Comédie humaine ?

Parce qu’elle fait partie de mes œuvres préférées de la Comédie humaine, du moins de ce que j’en ai lu à ce jour.

Parce que j’ai envie de la partager avec vous.

Et aussi parce que « La Maison du Chat-qui-pelote » contient grand nombre d’ingrédients qui apportent toute la saveur à l’ensemble de l’Œuvre.

« La Maison du Chat-qui-pelote » est une Comédie humaine en miniature.

Une lecture idéale pour goûter à ce merveilleux héritage que nous a laissé Balzac. Ou pour s’y replonger avec délectation.

Extraits

– Vous voyez ce que l’amour m’a inspiré, dit l’artiste à l’oreille de la timide créature qui resta tout épouvantée de ces paroles. (p.50)

– Si fait, monsieur Joseph. Que dites-vous de la peinture ? C’est là un bel état.
– Oui, je connais un maître peintre en bâtiment, monsieur Lourdois, qui a des écus. (p.60)

 Qui dépense trop n’est jamais riche. (p.67)

 Le seul sublime qu’elle connût était celui du cœur. Enfin, Théodore ne put se refuser à l’évidence d’une vérité cruelle : sa femme n’était pas sensible à la poésie, elle n’habitait pas sa sphère, elle ne le suivait pas dans tous ses caprices, dans ses improvisations, dans ses joies, dans ses douleurs ; elle marchait terre à terre dans le monde réel, tandis qu’il avait la tête dans les cieux. Les esprits ordinaires ne peuvent pas apprécier les souffrances renaissantes de l’être qui, uni à un autre par le plus intime de tous les sentiments, est obligé de refouler sans cesse les plus chères expansions de sa pensée, et de faire rentrer dans le néant les images qu’une puissance magique le force à créer. Pour lui, ce supplice est d’autant plus cruel, que le sentiment qu’il porte à son compagnon ordonne, par sa première loi, de ne jamais rien se dérober l’un à l’autre, et de confondre les effusions de la pensée aussi bien que les épanchements de l’âme. (p.70)

 Les gens sans religion sont capables de tout. (p.79)

L’auteur et son œuvre

Honoré de Balzac est né à Tours le 20 mai 1799, sans la particule. Il est mort à Paris le 18 août 1850.

Balzac a été tour à tour imprimeur, éditeur, journaliste, romancier et critique littéraire. Ses premières œuvres publiées entre 1820 et 1827, notamment sous le pseudonyme Horace de Saint-Aubain, sont des échecs. Il les reniera par la suite.

Durant cette période, il lui arrive fréquemment de se cacher de ses créanciers et des huissiers. Mme de Berny, sa maîtresse de vingt-deux ans son aînée et mère de neuf enfants, le soutient financièrement, l’encourage et le conseille dans son métier d’écrivain. Il lui en sera toujours reconnaissant.

En 1829 paraît son premier roman sous son vrai nom, « Les Chouans ».

Balzac est un forçat du travail. Il écrit beaucoup, et vite (et sans traitement de texte, sans correcteur orthographique et sans copier/coller, s’il vous plaît).

La Comédie Humaine

Dès 1833, il décide de regrouper ses écrits sous une œuvre unique, la Comédie humaine, organisée en trois grands ensembles : Études de mœurs, Études philosophiques et Études analytiques. Son but : brosser une vaste fresque sociale de son époque à travers plus de 140 titres (romans, nouvelles, contes, essais) et plus de 2000 personnages. La Comédie humaine propose une large panoplie de genres : romantique, fantastique, policier, philosophique, historique. L’œuvre est titanesque.

En 1844, il écrit à Mme Hanska, une noble polonaise, qui fut son admiratrice avant de l’épouser en 1850 :

« Quatre hommes auront eu une vie immense : Napoléon, Cuvier, O’Connell, et je veux être le quatrième. Le premier a vécu de la vie de l’Europe ; il s’est inoculé des armées ; le second a épousé le globe ; le troisième s’est incarné un peuple ; moi, j’aurai porté une société toute entière dans ma tête ».

Balzac n’arrivera pas à bout de son projet. Il meurt d’épuisement après avoir finalisé 92 ouvrages. Certains resteront inachevés. D’autres n’auront pas été commencés.

La légende prétend qu’il a appelé Horace Bianchon à son secours sur son lit de mort. Bianchon est l’illustre médecin de la Comédie humaine.

Le génie de Balzac

Outre le concept global, Balzac a développé deux autres idées remarquables dans sa Comédie humaine.

Tout d’abord la récurrence des personnages. Pour lier les ouvrages entre eux, et pour rendre sa société totalement crédible, Balzac a décidé de réutiliser de nombreux personnages dans différents récits. Dans un rôle principal, un rôle secondaire ou uniquement en les mentionnant au détour d’une scène. Et ceci, à des périodes diverses et variées de leur vie. Cet exercice compliqué a régulièrement provoqué des réécritures de parties déjà terminées, pour garantir la cohérence de l’ensemble. Ces réajustements ont fini par devenir tellement complexes que certaines contradictions sont passées au travers des mailles du filet de Balzac, surtout au niveau des dates. Rien de dramatique toutefois, ces imperfections ne nuisant pas à la qualité globale de l’œuvre.

Autre trouvaille notable, la catégorisation des personnages dans des archétypes sociaux, par métiers et par d’autres traits de personnalité ou de caractère, afin de décrire systématiquement tous les types d’individus de la société. On retrouve ainsi : les Financiers, les Médecins, les Artistes, les Soldats, les Commerçants, les Politiciens, les Petits employés, les Notables, les Courtisanes, les Criminels, les Bourgeois, les Dandies, les Nobles, les Passionnés, les Avares, les Dévoués, les Parents, les Sots, les Génies, …

Les personnages sont souvent excessifs, à l’image de Balzac lui-même.

Par ailleurs, Balzac est également un des fondateurs de la Société des gens de lettres, créée pour protéger les écrivains et faire respecter leurs droits d’auteur.

Balzac est un des plus grands écrivains de l’Histoire. Tout simplement.

Mon Honoré de Balzac ++

Je n’ai pas (encore) lu l’intégrale de la Comédie humaine. Tous les ouvrages n’atteignent pas l’excellence, mais cette œuvre géante, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, est terriblement impressionnante ! Personnellement, j’adore.

Parmi les nombreuses réussites qui sortent du lot, j’en cite quatre ci-dessous qui peuvent en appeler beaucoup d’autres pour les amateurs du genre :

La recherche de l’absolu

(1834)

En 1809, Balthazar Claës héberge un officier polonais, chimiste passionné, qui lui confie qu’il est sur le point de résoudre les mystères de la décomposition de la matière. Contaminé par la fièvre de la Science, Balthazar se lance à son tour dans de complexes expériences, à la recherche de l’Absolu. Il s’éloigne progressivement de sa femme et de ses enfants, plongé dans ses réflexions, et dilapide peu à peu sa fortune.

Balzac décrit avec une précision diabolique les extrêmes auxquels peut mener une quête obsessionnelle. Il peint le dévouement absolu, oppose l’Amour à la Science, pointe du doigt la fine frontière entre le génie et la folie. Et pose la question ultime : jusqu’à quel point un homme a-t-il le droit de sacrifier les siens au nom de la Connaissance et du Progrès ?

Un excellent roman.

Le Père Goriot

(1835)

1819. Eugène Rastignac, jeune provincial, étudie le droit à Paris. Il vit à la pension Vauquer qui héberge également Horace Bianchon, étudiant en médecine, le Père Goriot, un vieil original qui a fait fortune durant la Révolution, et l’énigmatique Vautrin.

Le Père Goriot est le grand classique de la Comédie humaine. Balzac y dépeint l’amour paternel poussé à l’extrême et l’arrivisme des jeunes Parisiens et Provinciaux prêts à tout pour se faire une place dans le beau monde de la capitale.

À lire au moins une fois dans sa vie, pour qui apprécie ce style de littérature.

Illusions perdues

(1843)

Aventures et mésaventures en trois parties de deux amis, David Séchard et Lucien Chardon.

Tout d’abord à Angoulême. David et Ève, la sœur de Lucien, se battent pour sauver l’imprimerie que David a rachetée à son père. Lucien, de son côté, parvient à intégrer l’aristocratie locale, mais se sent rapidement à l’étroit dans l’étroitesse d’esprit provinciale.

Dans la deuxième partie, Lucien monte à Paris pour se faire un nom dans la littérature. Il connaît des déconvenues, autant littéraires que sentimentales. Avide de succès, il se lance dans le journalisme. Il ne cesse d’aller de désillusion en désillusion.

Dans la dernière partie, David a des difficultés à ne pas se faire voler une invention de fabrication de papier par des concurrents malhonnêtes. Lucien, de retour à Angoulême, tente de l’aider.

Une pièce maîtresse de la Comédie humaine, considérée par Balzac comme un élément capital de son œuvre. Ce gros roman comporte de nombreux thèmes récurrents de la Comédie humaine : amour, trahison, petitesses de la province, intrigues de la capitale, arrivisme, codes et cruauté du beau monde, naïveté du provincial à Paris.

De nombreux personnages récurrents font des apparitions plus ou moins marquantes dans ce récit.

Balzac dresse dans « Illusions perdues » des portraits souvent peu flatteurs de plusieurs de ses archétypes sociaux.

Un indispensable pour tout amateur de Balzac.

Splendeurs et misères des courtisanes

(1847)

Aventures et mésaventures d’Esther, une courtisane, de Lucien Chardon, du mystérieux abbé Carlos Herrera et du riche baron de Nucingen.

Magnifique suite d’ « Illusions perdues », ce gros roman permet de retrouver bon nombre de personnages récurrents de la Comédie humaine.

L’enchaînement du « Père Goriot », d’« Illusions perdues » et de « Splendeurs et misères des courtisanes » est un grand moment de lecture.

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