Ophélie Courtain – Tu n’iras pas fleurir la mienne ♥

(Roman / 2023)

Couverture du roman Tu n'iras pas fleurir la mienne d'Ophélie Courtain

Ghislaine, Farah, Mathilde et Antoine travaillent dans une association venant en aide aux femmes victimes de violences conjugales, des femmes dont la vie alterne entre phases idylliques et enfer à huis clos.

Lorsque l’une d’entre elles meurt sous les coups de son mari, ce drame ébranle leur quotidien. Derrière les portes closes, certaines attitudes éveillent des soupçons, et questionnent d’autant plus les couples en pleine crise.

Alors qu’ils côtoient la violence sous toutes ses formes et pensent savoir la reconnaître, ils découvrent qu’elle se manifeste parfois là où on ne l’attend pas.

(4e de couverture)

Commentaire

Si vous ne deviez acheter qu’un livre cette année, que ce soit celui-là.

Tu n’iras pas fleurir la mienne peut sauver des vies.

Ophélie Courtain a fait un travail considérable avant de se lancer dans l’écriture de ce roman. De documentation, de compilation de témoignages. Puis elle a digéré ces mines d’informations, souvent insoutenables très certainement. Ensuite elle a réfléchi aux personnages de son roman, à l’histoire. Elle a imaginé une construction imparable pour offrir une compréhension optimale des sujets sensibles abordés. Elle n’a rien laissé au hasard. C’est mon ressenti en tout cas. Le résultat est précis, poignant, percutant.

Tu n’iras pas fleurir la mienne aborde cinq thèmes : les violences conjugales et l’emprise amoureuse au sein du couple en premier lieu, mais aussi la différence, le deuil et les relations parents/enfants.

Ce livre est d’une grande justesse. Sur chaque sujet. Du début à la fin. Par sa rigueur et sa précision dans le verbe, et dans une thématique tout à fait différente, il m’a fait penser à La décision de Karine Tuil. Une claque.

Ophélie Courtain n’élude rien en nous parlant des violences conjugales d’une part, de la toxicité des manipulateurs d’autre part. Elle évite avec brio les pièges et clichés du genre. Elle ne fait ni dans le spectaculaire, ni dans le larmoyant. Ophélie Courtain décortique avec le scalpel et nous présente la gangrène et la beauté humaine, sans exagération et sans faux-semblant.

Elle se montre délicate dans le traitement de la différence, pudique dans celui du deuil. Elle nous parle de la famille, de ses non-dits, ses conflits, ses erreurs, son amour, la transmission, des suppositions, des vérités et des secrets emportés à jamais.

Ophélie Courtain traite ces sujets en 284 pages, en approfondissant avec une rare clairvoyance les deux premiers et en intégrant les autres avec une habilité remarquable.

J’ai dévoré ce roman captivant. J’en suis ressorti bouleversé.

Gros coup de coeur pour ce magistral « Tu n’iras pas fleurir la mienne ».

Un livre d’utilité publique. Merci Ophélie Courtain !

Un sérieux candidat au Goncourt ou au Femina.

L’auteure et son œuvre

Ophélie Courtain est une auteure française.

Passionnée par la psychologie et le développement personnel, ses romans décortiquent la complexité des relations humaines à travers des sujets de société qu’elle questionne.

Son premier roman Les coquelicots du désert (2021) traite du burn-out.

Tu n’iras pas fleurir la mienne est son deuxième roman.

Mon Ophélie Courtain ++

Je n’ai pas encore lu le premier roman d’Ophélie Courtain mais ça ne saurait tarder.

À découvrir aussi (clic sur le titre pour en savoir davantage)

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John Irving – L’oeuvre de Dieu, la part du Diable
Gillian Flynn – Les lieux sombres

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Theresa Fernandes – Le mariage maya

(Roman / 2023)

Couverture du roman Le mariage maya de Theresa Fernandes

Au festival du cinéma de Deauville, elle tombe amoureuse d’un photographe américain, le suit, croit en des sentiments réciproques. Elle lui pardonne certains comportements étranges : il l’aime tellement. La réalité va finir par la rattraper.

Commentaire

Le mariage maya est un livre fascinant.

La construction du récit. Une alternance entre l’histoire du couple et des scènes de désenvoûtement surréalistes entre un chaman désinvolte et l’héroïne. Une construction qui semble ajouter de la confusion mais qui en réalité permet d’assembler le puzzle pièce par pièce. Une construction qui déroule l’enfer comme si vous y étiez.

L’écriture. Des phrases courtes. Des ellipses. Des protagonistes à la fois très bien décrits et suffisamment anonymes pour pouvoir être n’importe qui. Vous. Moi. Des personnes de notre entourage plus ou moins proche. Des protagonistes d’une vérité effrayante dans un banal quotidien. Une suite d’instantanés. Des couleurs. Des ressentis. Des scènes contemplatives et des scènes à haute tension. Peu de dialogues, mais des dialogues précis et percutants. Un style incisif et original. Du vocabulaire.

Les personnages. Elle est architecte, construit du solide, de l’utile, du concret. On a envie de la sauver. Il est photographe, vole et fige des images, fait paraître des scènes sous leur meilleur angle. Destructeur et haïssable. Et il y a le chaman.

Le sujet. Une femme intelligente sous l’emprise d’un manipulateur pervers narcissique. Toxique. Les méthodes du nuisible : déstabilisation, culpabilisation, dénigrement. Harcèlement et fragilisation. Le cheminement qui mène à l’abîme. Et il y a ce chaman énigmatique.

La couverture. Je n’y suis pas sensible d’habitude. Mais celle-ci est une des plus belles de ma bibliothèque. J’adore.

L’odeur. Les renifleurs de livres seront comblés. Mon exemplaire dégage une fragrance particulière, subtile et enivrante. Les pouvoirs de Theresa Fernandes semblent se confondre avec ceux du chaman. J’ai respiré Le mariage maya. J’ai écouté les pages tourner aussi, pour vivre Le mariage maya par tous les sens.

Petit coup de cœur pour ce roman utile et unique en son genre.

L’auteure et son œuvre

Après un séjour à New York où Theresa Fernandes travaille au théâtre La MaMa avec Ellen Stewart, plusieurs courts métrages dont Le Silence blanc produit par Paulo Branco et une installation, Breaking News, à La Galleria (New York), elle se tourne vers l’écriture littéraire.

Le Mariage maya est son premier roman.

À découvrir aussi (clic sur le titre pour en savoir davantage)

D’autres lectures
Joyce Maynard – Où vivaient les gens heureux
Amélie Nothomb – Acide sulfurique

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Fany Simon – Car après tout, tu es mon Wonderwall

(Roman / 2023)

Couverture du roman Car après tout du es mon Wonderwall de Fany Simon

Rose, vingt-trois ans, emménage à Saint-Malo et prépare sa première rentrée scolaire en tant que maîtresse d’école. Sa cousine Lucie qui habite la même ville lui présente ses amis. Mais de profondes cicatrices liées à des événements tragiques de son passé ne sont pas refermées. Ces blessures qui hantent la jeune femme l’empêcheront-elles de trouver le bonheur, d’aimer et d’être aimée en retour ?

Commentaire

J’ai passé un très bon moment avec cet excellent Car après tout, tu es mon Wonderwall, un roman que j’ai dévoré avec l’envie permanente de connaître la suite.

Fany Simon raconte cette histoire avec un vrai talent, une construction habile et des personnages attachants. Elle sait manier l’humour et jouer avec les émotions de ses lecteurs qui passent du rire aux larmes en suivant les aventures de la jeune Rose Abgrall.

Fany Simon a réussi à trouver un bel équilibre entre trois niveaux de lecture complémentaires.

Il y a la romance pour commencer. Avec les codes du genre : des beaux sentiments, des contrariétés, des questionnements et même des scènes qui font monter la température. Mais Car après tout, tu es mon Wonderwall n’est pas juste une romance de plus. Loin de là. Et c’est ce qui fait tout son charme.

Il y a aussi les anecdotes croustillantes sur l’enseignement. J’ai ri. Tout en plaignant Rose, bien entendu. Ce pan sur l’école, comme si on y était, apporte une récréation bienvenue entre la romance et le dernier aspect, bien plus sombre, celui des violences conjugales. Fany Simon décrit les dégâts occasionnés pendant la phase active mais aussi les traumatismes et séquelles invisibles qu’elles laissent sur les victimes des années après les faits et qui nécessitent une laborieuse et indispensable reconstruction.

L’ensemble est enveloppé dans la douceur et la sérénité des descriptions de Saint-Malo, de Cancale, de l’océan et de ce merveilleux cadre breton que Fany Simon connaît si bien.

Un roman intelligent, percutant et utile qui dévoile ses secrets au fil des pages.

L’auteure et son œuvre

Fany Simon vit en Bretagne, à Cancale, cadre de son premier roman. Elle a publié son deuxième roman, Et je pense à toi tout bas, en 2024.

Mon Fany Simon ++

J’ai également lu son deuxième roman, Et je pense à toi tout bas.

Et je pense à toi tout bas

(Roman / 2024)

Fany Simon récidive de la plus belle des manières avec son deuxième roman, Et je pense à toi tout bas. Elle démontre une nouvelle fois qu’elle est une conteuse hors pair, assemblant son puzzle au fil des rebondissements et des pans de passé dévoilés.

Le lecteur suit les aventures d’Emma qui a du mal à trouver sa place dans le monde, autant du côté sentimental où les déceptions s’enchaînent, minant sa confiance en elle, que du côté familial où la situation est tendue suite aux « problèmes » récurrents de sa mère. Une très mauvaise nouvelle et la découverte d’un secret jusque-là bien gardé l’entraînent dans un tourbillon de questionnements et de remises en question dont elle ne sortira pas indemne.

Au-delà de la quête ardue et mouvementée de l’âme sœur, Emma, et donc le lecteur parce que Fany Simon est très douée pour placer celui-ci dans la peau de ses protagonistes, est confronté à des événements tragiques de la vraie vie, à des cas de conscience et à des interrogations personnelles. Que connaissons-nous de la vie d’avant de nos parents ? De quel droit jugerions-nous leurs actes passés ? Pas de spoiler pour ne pas gâcher la lecture à qui lira cette magnifique histoire.

Fany Simon nous fait profiter des charmes de sa chère Bretagne, de Saint-Malo à Cancale, et de sa science des bateaux, de l’océan et des métiers associés.

Un mot sur le titre

Il s’agit d’une référence à Lettre à France de Michel Polnareff, monuments de la chanson française (chanson et chanteur). Ce chef d’œuvre qu’on pourrait interpréter comme une lettre d’un homme qui se languit de sa femme vivant loin de lui et qui est en réalité un cri du coeur du chanteur exilé loin de son pays qui lui manque. Ce chef d’œuvre qui me mettait les larmes aux yeux quand Michel Polnareff l’interprétait et qui m’a totalement terrassé un soir de décembre 2002 lorsque deux gamins surdoués, Nolwenn et Houcine, en ont fait le plus beau moment de télécrochet pour encore au moins mille ans. Fany Simon enfonce le clou. Et je pense encore et encore à toi tout bas, mais toujours les larmes aux yeux.

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Soren Sveistrup – Octobre

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Florence Tholozan – L’écho de nos jours

(Roman / 2022)

Couverture du roman L'écho de nos jours, de Florence Tholozan

Saskia est au fond du trou. Son amoureux l’a abandonnée au profit d’une autre. Un papier trouvé dans la poche d’un panier va bouleverser sa vie.

Prêts à embarquer pour un voyage coloré et lumineux ?

Commentaire

Ne vous fiez pas aux quatre phrases de mon accroche ! Le roman de Florence Tholozan est beaucoup plus complexe que cette intro pourrait le laisser supposer. Dans le bon sens du terme. Alors oui, les fans de romances avec rebondissements y trouveront leur compte, mais l’intérêt de ce livre réside à mon sens surtout dans les autres sujets traités avec intelligence et talent par l’auteure.

Florence Tholozan décortique le couple. Elle nous offre une analyse fine et perspicace de son fonctionnement, de ses fragilités, de ce qui peut l’amener à dysfonctionner.

Ensuite, elle décrit avec justesse les traumatismes, les séquelles possibles, conscientes ou inconscientes, les étapes de la courbe de deuil suivant la sensibilité de chacun. Traumatismes liés à une rupture, bien sûr, mais pas uniquement.

Elle dénonce aussi l’insupportable. Des pratiques subies par les femmes il n’y a pas si longtemps encore sous le couvert de la Religion dans un beau pays européen connu pour l’accueil chaleureux de sa population. Et des agressions qui font hélas partie du quotidien un peu partout dans le monde.

Bien sombre, tout ça ? Où donc est ce voyage coloré et lumineux annoncé plus haut ?

J’en reviens au talent de Florence Tholozan. Elle aborde ces thématiques graves sans miner le moral du lecteur. Au contraire. Elle invite celui-ci en Indonésie, à Bali, et lui fait découvrir des paysages, des coutumes, des pratiques spirituelles étonnantes et même la gastronomie locale lors d’un étourdissant voyage plein de couleurs, de saveurs et de bienveillance. Elle lui donne le sourire.

Le parfait équilibre de L’écho de nos jours entre ombres et lumière est une des grandes réussites de ce roman. Il lui donne de la force et l’envie au lecteur de tourner les pages pour connaître le fin mot de cette histoire captivante.

Dépaysement garanti !

L’auteure et son œuvre

Florence Tholozan vit près de Montpellier. L’écho de nos jours est son deuxième roman après La Chinoise du tableau, traduit en plusieurs langues et récompensé par le Prix Paroles d’Auteur(e)s.

Mon Florence Tholozan ++

Je n’ai pas encore lu son premier roman.

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Robert Le Plana – Nuances urbaines

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Célia Costéja – Ab intestat

(Roman / 2011)

Couverture du roman Ab intestat, de Célia Costéja

Nicolas, le meilleur ami de Marina, la narratrice, trouve un journal intime dans le grenier de son grand-père. Texte sombre écrit par un membre de la famille que personne n’a jamais mentionné. Le début d’une aventure inquiétante pour les deux étudiants. Ils se lanceront sur les traces d’un fantôme et déterreront des événements vieux de cinquante ans. Leur enquête leur révèlera aussi des pans cachés d’eux-mêmes.

Commentaire

Ne tournons pas autour du pot : j’ai adoré ce roman de Célia Costéja, le premier mais pas le dernier que je lis de cette auteure talentueuse.

J’ai été subjugué par l’ambiance troublante que Célia Costéja a réussi à insuffler dans cette quête mystérieuse exhumant des secrets du passé. L’auteure a habilement mêlé deux thèmes qui me sont chers à son histoire : la littérature et la musique. Les livres semblent prendre vie durant cet été de tous les dangers. La musique les accompagne, tel un esprit aux intentions incertaines flottant autour des protagonistes. Je vivais les angoisses de Nina au fil de pages. Je me creusais la cervelle pour trouver avec elle le fin mot de l’histoire.

Le génie de ce roman va au-delà de cette quête, redoutable fil conducteur qui tient en haleine jusqu’au bout. Célia Costéja inclut avec discrétion et efficacité de nombreux autres sujets dans son histoire : le temps qui passe, la difficulté de grandir, de s’accepter et de trouver sa place dans notre monde, la confrontation des classes sociales, les conflits générationnels. Des sujets qui me tiennent à coeur. Tout comme le regard avisé sur la ville et la campagne, la lutte entre le coeur et la raison, entre les obligations familiales et les aspirations personnelles, entre la science et l’art. Sans oublier la complexité des sentiments et les difficultés à trouver l’âme soeur.

Le tout servi par une écriture fluide et précise qui dynamise le récit.

Petit coup de coeur pour Ab intestat, livre riche au titre énigmatique, roman inclassable et captivant qui continue à faire réfléchir une fois qu’on l’a refermé.

L’auteure et son œuvre

Célia Costéja est née à Montpellier. Elle a notamment poursuivi des études en Musicologie et en Chant lyrique. Ab intestat est son premier roman. Elle en a écrit trois autres : Clair/Obscur, Second rôle et Un beau jour, nous verrons.

Mon Célia Costéja ++

J’ai lu et adoré les autres romans de Célia Costéja.

Clair/Obscur

(Dystopie / 2021)

Couverture du roman Clair/Obscur de Célia Costéja

Le Système contrôle tout, omniprésent, répressif, sans visage. Des Rebelles (Résistants, Terroristes, selon qui en parle) agissent dans la clandestinité pour s’opposer au régime totalitaire en place. La majorité silencieuse subit, se tait et a peur.

Ils sont jumeaux, frère et soeur. Ils ne se sont pas vus depuis 15 ans, depuis le drame. Elle a perdu sa dernière attache au village. Elle part à sa recherche dans la grande ville tentaculaire, là où il se cache peut-être s’il est toujours vivant.

Clair/Obscur est un récit futuriste, sombre, mais aussi poétique. Célia Costéja utilise la mégapole et le gouvernement corrompu comme décor pour nous raconter l’histoire d’un lien indéfectible entre une soeur et un frère, deux jumeaux. Elle évite avec brio les pièges de la dystopie qui s’enliserait dans des explications trop poussées ou confuses ou incohérentes. Elle installe une ambiance unique et propose des personnages attachants. Le lecteur s’identifie à ces jumeaux écorchés qui se posent mille questions, dans cette cité mystérieuse où le danger peut survenir à tout instant et de partout.

Ce roman navigue avec élégance entre l’intime des protagonistes et la vision macroscopique d’un monde qui fait froid dans le dos.

J’ai passé un excellent moment de lecture avec Clair/Obscur. Quand j’ai refermé ce livre, j’avais juste envie de me replonger dans cet univers et de poursuivre ma découverte de cette société inquiétante.

Second rôle

(Roman / 2024)

Couverture du roman Second rôle de Célia Costéja

Deux cousins en Irlande. Le rebelle incompris que les envieux de l’Université surnomment Dorian Gray à cause de sa beauté magnétique, de son génie et de son apparente froideur ; le discret qui a du mal à s’affirmer, surtout face à ce caractère fort. Le premier, Irlandais pur souche ; le second, moitié yankee, compte sur son retour aux racines pour trouver l’inspiration, le temps d’une année au prestigieux Trinity College de Dublin. Le premier est divin au piano ; le second se cherche dans l’écriture. Cette année ne ressemblera en rien à un long fleuve tranquille.

Quel plaisir de retrouver la plume délicieuse de Célia Costéjà et son art de plonger le lecteur dans des ambiances tendues et un suspense omniprésent ! Les descriptions irlandaises nous emportent, thème, rythmique, base de l’œuvre, rassurantes. Les caractères des protagonistes jouent la partition des instruments à cordes, gorgés d’émotion, les violons nous font frissonner, joyeux, tragiques, mélancoliques. Les références littéraires et musicales fusent comme des interventions de solistes, jubilatoires, bien placées.

Reste les questionnements et les apprentissages. Le passage à l’âge adulte. La connaissance de soi à travers son regard et à travers le regard de l’autre. La gestion compliquée du regard de l’autre. Quelle attitude adopter, pour faire front, se protéger, s’imposer sans écraser ? Les décisions à prendre, bonnes, mauvaises, sans retour en arrière possible. Les aléas de la vie. Ce sur quoi nous avons une influence et les épreuves que nous subissons. L’obligation de relever la tête et de continuer, envers et contre tout. La puissance des liens familiaux et de l’amitié. La volonté. Et la beauté, un don du ciel ou une malédiction ?

J’ai été emporté par ce Second rôle au titre superbement bien trouvé et plus ambigu qu’il n’y paraît. Je me réjouissais à l’idée de découvrir ce troisième roman de Célia Costéja, je n’ai pas été déçu ! J’ai dévoré les 410 pages en 3 jours. Merveilleuse symphonie !

Merci à Célia Costéja de nous offrir des romans aussi différents que captivants et puissants !

Un beau jour, nous verrons

(Roman / 2025)

Couverture du roman Un beau jour, nous verrons de Célia Costéja

Il y a ce que les gens montrent et ce qu’ils sont. Les apparences et la réalité. Il y a des décisions prises et leurs conséquences. La raison et les sentiments. Les rêves et ce que la vie réserve. Seule certitude : le passé est gravé dans le marbre et personne n’est capable de le réécrire.

Il y a nos erreurs et nos regrets. Nos échecs et nos réussites. Les autres et nous. La capacité des uns et des autres à pardonner ou non. Eux. Nous. Eux et nous. Eux sans nous. Nous sans eux. Et le temps qui passe, impassible.

Un beau jour, nous verrons est un maelstrom d’émotions contradictoires, de dits et de non-dits, de rebondissements et de révélations.

La plume délicate et enchanteresse de Célia Costéja nous plonge dans les abîmes de l’âme humaine. De Madrid à Paris, d’Edimbourg à Tokyo, d’un austère manoir écossais aux ateliers de haute-couture d’un maître japonais, l’auteure nous balade dans les coulisses du théâtre et de la vie au rythme de la Traviata et de Madame Butterfly.

Les secrets de famille volent en éclats. La colère mène aux drames. Les drames à la culpabilité. Les classes sociales s’enchevêtrent et se découvrent. Le pardon et la rédemption seront-ils au bout du chemin ? Certains n’auront-ils pas trop tardé ? Qui se relèvera ? Quels sentiments l’emporteront ?

Une fois de plus, Célia Costéja nous offre un magnifique voyage, géographique, culturel, musical, poétique et surtout profondément humain.

Pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris : j’ai adoré ce roman que j’ai dévoré en deux jours !

Et cette couverture ! Qui n’est pas un critère d’achat en ce qui me concerne mais qui est une des plus belles que j’ai croisée cette année.

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Philipp Meyer – Le fils
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J.-H. Rosny aîné – Romans préhistoriques

(Romans préhistoriques / 1887-1929)

Ce merveilleux ROMANS PRÉHISTORIQUES de J.-H. Rosny aîné, publié chez Robert Laffont dans sa collection Bouquins, invite à voyager dans le temps.

Loin.

Très loin.

Jusque dans la préhistoire.

Cette anthologie d’un des précurseurs à la fois de la science-fiction et du roman préhistorique regroupe cinq romans préhistoriques (Vamireh, Eyrimah, le célèbre La guerre du feu, Le félin géant, Helgvor du fleuve Bleu), deux nouvelles préhistoriques (Elem d’Asie qui est une version écourtée de Vamireh, Nomaï) et trois nouvelles à classer du côté de l’imaginaire (Les Xipéhuz, La Grande Énigme, Les Hommes sangliers).

Évasion garantie.

L’auteur et son œuvre

J.-H. Rosny aîné, pseudonyme de Joseph Henri Honoré Boex, est né le 17 février 1856 à Bruxelles et mort le 15 février 1940 à Paris. Cet écrivain franco-belge (il aura la double nationalité à partir de 1930) est un acteur majeur de la littérature moderne.

Il est l’auteur avec son frère (Séraphin Justin François Boex, 21 juillet 1859 – 15 juin 1948, J.-H. Rosny jeune) du premier roman préhistorique, Vamireh (1891).

Il a également poussé plus loin le concept d’anticipation de Jules Verne, notamment, en publiant un des premiers textes de science-fiction en 1887, la nouvelle Les Xipéhuz.

Les deux frères Rosny font partie de l’Académie Goncourt dès sa création en 1900 selon la volonté testamentaire d’Edmond de Goncourt. Quatrième couvert pour l’aîné. Cinquième couvert pour le jeune. J.-H. Rosny aîné en est le président de 1926 jusqu’à sa mort en 1940. J.-H. Rosny jeune lui succède jusqu’à sa propre mort en 1948.

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Cécile Candiago – D’où je viens

(Roman / 2023)

Athénaïs Martel de l’Orme reçoit un courrier d’un notaire. Un inconnu lui lègue une jolie somme. Le début d’une remise en cause inattendue pour cette avocate qui pensait enfin maîtriser le cours de son existence. Elle n’est pas au bout de ses surprises.

Commentaire

La construction très habile de ce roman permet au lecteur de lever petit à petit les pans de la vie de Tina, la protagoniste, et de l’accompagner, au même titre que ses meilleures amies, dans la découverte de surprenants secrets de famille. Des certitudes sont remises en cause. Les véritables visages de proches mis à nu. De fil en aiguille, Tina comprendra que ce cheminement vers la vérité la concerne elle aussi. Peut-être elle surtout.

La jolie plume de Cécile Candiago m’a totalement embarqué. L’auteure emmène le lecteur dans la tête de ses personnages avec une facilité déconcertante et sans forcer les traits. L’intrigue dévoile indices et rebondissements avec une précision chirurgicale et à un rythme savamment étudié, de manière à maintenir le lecteur en haleine. Le suspense tranquille impose de tourner les pages.

Cécile Candago maîtrise son sujet. On vit avec Tina. On ressent ce qu’elle ressent, vis-à-vis de son père, de sa mère, de ses proches. On est bouleversé quand elle est bouleversée. On tombe des nues quand elle tombe des nues. On est Tina. Et c’est tellement bien écrit, qu’on est aussi chacun des personnages. On vit le présent, le passé, la famille, les amitiés, les mauvaises rencontres, la quête des racines. On chute et on se relève. On doute et on essaye de se rassurer.

Une histoire simple et complexe à la fois. Une histoire qui aurait pu être la nôtre. Qui sommes-nous ? Où est notre place ?

Un livre fluide, prenant, captivant.

Il y a de la lumière au bout du tunnel.

Un beau roman.

Extrait

Ensemble, on est toujours plus fortes.

L’auteure et son œuvre

Cécile Candiago écrit un peu depuis toujours, et beaucoup depuis 2021. D’où je viens est son premier roman. Elle a publié son deuxième roman, Déraper, en 2024.

Mon Cécile Candiago++

J’ai bien entendu lu Déraper.

Déraper

(Roman / 2024)

Deuxième roman brillant de Cécile Candiago. Comme dans son excellent D’où je viens, l’auteure s’appuie sur une construction millimétrée pour distiller les informations qui viendront assembler le puzzle au fil des pages. Tout s’emboîte à la perfection. L’enquête, menée par on ne sait qui au début du livre, et les points de vue des différents protagonistes dévoilent ce qu’il faut, quand il le faut. Apprendrons-nous en 2024 ce qui s’est vraiment passé sur cette départementale en 2004, entraînant la mort d’Aumaric Brisbois ?

Cécile Candiago nous offre une remarquable panoplie de personnages principaux et secondaires, travaillés en profondeur, intéressants parce qu’imparfaits. Elle nous livre leurs faiblesses et leurs espoirs, leurs fragilités et leurs drames, leurs ressentis, leurs réflexions, leurs interrogations, leurs choix. L’ensemble sonne extrêmement juste.

La petite ville, avec ses institutions, peut être vue comme un personnage à part entière. Ce décor bien planté, bien décrit, vivant, fluctuant, ajoute du piment à l’histoire.

Déraper est riche en rebondissements, en révélations, en surprises. La tension est omniprésente.

Quand Cécile Candiago écrit un livre, ce n’est pas pour partager une histoire à l’eau de rose avec ses lecteurs. Comme pour « D’où je viens », elle défend des thématiques fortes et engagées dans ce deuxième roman. Elle est aussi à l’aise pour aborder l’intime, qui relève de la famille, que des sujets sociétaux, qui secouent les certitudes et les individus. Elle n’hésite pas à dénoncer les abus et le manque d’humanité de certains qui profitent de leur position pour écraser ceux qui se trouvent plus bas sur l’échelle sociale.

Finalement, que savons-nous réellement les uns des autres ?

Ceux qui ont adoré D’où je viens vont adorer Déraper. J’invite ceux qui ne connaissent encore ni l’un ni l’autre à découvrir au plus vite les romans de cette auteure talentueuse. Personnellement, je suis conquis !

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Vicki Myron – Dewey
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Laure Gombault – Vis-à-vis

(Roman / 2023)

Il est terrorisé à l’idée de sortir de chez lui. Ancien soldat, ancien critique d’art, il s’est coupé du monde et vit seul dans son appartement, avec ses hantises, avec son mal.

Elle a peur. Elle se cache. Seule sa soeur sait qu’elle habite dans ce dernier étage. Elle est traumatisée par son passé et par ce qui pourrait lui arriver si on la retrouvait.

Il la voit, dans cet immeuble parisien en face du sien. Il l’épie, l’espère. Elle découvre son petit manège, s’interroge.

Les deux aiment les livres.

Commentaire

Un roman court à la construction originale, avec des chapitres alternés entre elle et lui, chacun étant narrateur à son tour, ce qui permet de décrire avec tendresse et précision les angoisses et les sentiments de l’un et de l’autre.

Dans ce Vis-à-vis, Laure Gombault interroge sur notre capacité à surpasser nos peurs, sur le combat incessant entre ce que nous sommes et ce que la société souhaiterait que nous soyons, peu importe nos aspirations personnelles. Elle interroge aussi sur la force tirée des livres. Sur sa limite, aussi. Sur la force tirée des sentiments, de l’autre. Sur la culpabilité. Sur la capacité à rebondir après le pire des drames.

Un très beau texte.

L’auteure et son œuvre

Laure Gombault travaille comme coordinatrice culturelle pour un réseau de bibliothèques en Normandie. Elle a publié plusieurs romans et recueils de nouvelles avant Vis-à-vis. Notamment son premier roman Un verre avec toi, et aussi Louise sous emprise, L’homme du train, Les interdites, Le ventre de Vénus et Les Sans-gloire.

En 2023, sa nouvelle Les oubliés est publiée dans le recueil Écrire contre la haine.

Mon Laure Gombault ++

J’ai découvert la magnifique plume de Laure Gombault dans le recueil de nouvelles Écrire contre la haine. Ce Vis-à-vis est écrit avec la même sensibilité et la même délicatesse que la nouvelle Les oubliées qui a été un coup de coeur pour moi.

J’ai enchaîné avec plaisir avec Les sans-gloire et Nelly.

Les sans-gloire

Trois femmes racontent leur quotidien durant la Grande Guerre. Leurs maris sont au front tandis que Jeanne, Lucienne et Fernande sont au dispensaire, à la ferme ou à l’usine. Entre amours épistolaires, désespoir et vie de famille, elles permettent à la France de nourrir son peuple et ses soldats, mais aussi de fournir les munitions nécessaires à la poursuite des combats. Trois femmes qui s’émancipent dans un pays qui compte pleinement sur elles et leurs efforts, sans pour autant réellement les considérer. (quatrième)

Quel plaisir de retrouver la plume délicate de Laure Gombault !

Dans Les sans-gloire, elle s’attaque à un sujet délicat et essentiel : le rôle des femmes à l’arrière, lorsque leurs hommes sont partis combattre pour le drapeau. Leur rôle, mais aussi leurs angoisses, leur ressenti, les nouvelles responsabilités qui pèsent sur leurs épaules, leur courage pour venir à bout d’épreuves auxquelles elles n’étaient pas préparées et qui exigent parfois de travailler pour deux voire davantage, leurs sentiments, leur intelligence pas toujours reconnue du côté des mâles dominants, leurs sacrifices, leur force.

Trois femmes, trois histoires. Celle qui soigne ses semblables, celle qui cultive la terre et celle qui s’échine à la production d’armes de guerre.

Trois femmes qui participent au conflit à leur manière.

Trois femmes qui ont des rêves, des peurs, des envies et des besoins.

Laure Gombault nous plonge avec beaucoup de justesse dans le contexte historique de la Grande Guerre. Elle livre ces trois destins inattendus avec sensibilité et sensualité. Elle nous présente les pensées intimes de ces femmes et aussi le cheminement psychologique qui les amènera à prendre des décisions parfois radicales.

Trois longues nouvelles. Trois beaux portraits. Trois récits poignants.

Nelly

Couverture de l'hagiographie Nelly de Laure Gombault

Qui peut se vanter de compter une sainte dans sa famille ? Laure Gombault assurément. Nelly, ou mère Marie de Béthanie, est la tante de l’auteure qui lui rend un très bel hommage dans cette hagiographie délicate. Laure Gombault en profite pour rappeler le génocide arménien du début du 20e siècle. Un récit sensible et touchant.

Bravo Laure Gombault pour ce sacré défi !

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Anne Berest – La carte postale

(Roman / 2021)

Couverture du roman La carte postale d'Anne Berest

La carte postale a été déposée dans la boîte aux lettres familiale par une froide journée hivernale de 2003. Elle ne comporte que quatre prénoms. Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques. Les grands-parents, la tante et l’oncle de l’auteure, déportés et morts à Auschwitz. Elle est mise de côté pendant dix ans, puis Anne Berest la ressort de l’oubli et entreprend de découvrir l’identité de son expéditeur. Avec l’aide de sa mère, elle plonge dans l’histoire familiale pour résoudre le mystère. Son enquête durera quatre ans.

Commentaire

En suivant les traces des Rabinovitch, Anne Berest retrace le parcours dramatique de ses ancêtres, de la Russie en Palestine en passant par la Lettonie, et enfin de leur arrivée en France, à la recherche d’un endroit où ils se sentiraient en sécurité. L’histoire finit hélas à Auschwitz pour une grande partie de la famille.

Anne Berest parvient à insuffler beaucoup d’émotion dans son enquête qu’elle mène comme un roman policier (elle fait notamment appel à un criminologue expert en graphologie). Elle mélange habilement les genres, entre roman historique, saga familiale, thriller pour retrouver le fameux auteur de la carte postale et quête identitaire autour de la judaïté.

La carte postale est un livre poignant qu’on dévore et qu’on n’oublie pas de sitôt.

Extraits

– Maman… il y a bien un moment où on ne pourra plus dire « on ne savait pas »…
– L’indifférence concerne tout le monde. Envers qui, aujourd’hui, es-tu indifférente ? Pose-toi la question. Quelles victimes, qui vivent sous des tentes, sous des ponts d’autoroute, ou parquées loin des villes, sont tes invisibles ? (p.114)

 – Tu sais, on peut définir le hasard sous trois angles. Soit il sert à définir des événements merveilleux, soit des événements aléatoires, soit des événements accidentels. (p.118)

 Chaque semaine, M. Brians, le maire des Forges, doit envoyer une liste à la préfecture de l’Eure. Une liste qui s’intitule : « Juifs existants à ce jour sur la commune ».
Ce jour-là, monsieur le maire écrit, en s’appliquant de son écriture ronde et joliment calligraphiée, avec la satisfaction du travail bien fait :
« Néant. » (p.224)

 Mes parents m’avaient inculqué les valeurs d’égalité entre les êtres, ils avaient vraiment cru en l’avènement d’une utopie, ils nous avaient façonnées mes sœurs et moi pour devenir des femmes intellectuellement libres, dans une société où les lumières de la Culture effaceraient, par leur intelligible clarté, toute forme d’obscurantisme religieux. Ils n’ont pas tout réussi, loin de là. Mais ils ont essayé. Ils ont vraiment essayé. Et je les admire pour cela. (p.276)

 J’ai pensé à Noémie, aux romans qui étaient en elle et qui ne seraient jamais écrits. Puis j’ai pensé à tous les livres qui étaient morts, avec leurs auteurs, dans les chambres à gaz. (p.321)

 « Il ne faut pas que je les oublie, sinon il n’y aura plus personne pour se souvenir qu’ils ont existé. »

 Le véritable ami n’est pas celui qui sèche tes larmes. C’est celui qui n’en fait pas couler. (p.400)

 Déborah, je ne sais pas ce que veut dire « être vraiment juif » ou « ne l’être pas vraiment ». Je peux simplement t’apprendre que je suis une enfant de survivant. (p.543)

L’auteure et son œuvre

Anne Berest est née le 15 septembre 1979 à Paris. Elle est romancière et scénariste. Sa soeur Claire est également écrivaine. Ensemble, elles ont écrit une biographie, Gabriële, dont l’héroïne est leur arrière-grand-mère Gabrièle Buffet-Picabia.

Mon Anne Berest ++

Je n’ai rien lu d’autre de cette auteure.

Thème : Racines et mémoire

L’art de perdre d’Alice Zeniter et La carte postale d’Anne Berest racontent des histoires familiales. On pourrait être tenté de penser que c’est là leur unique point commun, en se référant à la famille de harkis présentée dans le premier roman et à la famille juive du second. Il n’en est rien.

Ces deux livres insistent sur les mêmes valeurs : l’importance de la famille et de la connaissance de ses racines, pour comprendre d’où l’on vient et permettre ainsi de mieux affronter présent et avenir. Dans les deux cas, des secrets de famille sont tus ou perdus. La jeune génération doit s’employer pour lever des zones d’ombre, là où la transmission naturelle a partiellement échoué. Ce travail de mémoire, de l’histoire de la famille au sein de la grande Histoire, permet aux descendants de répondre à leurs questionnements et à tout le monde de ne pas oublier les horreurs commises par le passé, pour éviter de les renouveler.

Lorsqu’une histoire familiale floue et obscure est un poids, son décryptage peut être une libération et un passeport pour la sérénité.

Les deux livres sont instructifs au niveau de l’Histoire de ces deux peuples, victimes de drames terribles, de drames différents.

Dans les deux romans, les auteures montrent également l’importance des décisions prises par les individus, la part de hasard dans ces décisions et les conséquences parfois lourdes qui en découlent.

Les deux auteures présentent la traditionnelle panoplie de personnages qu’on rencontre dans l’Histoire : des vrais gentils, des vrais méchants et des personnes qui tentent de survivre au mieux pour eux et leurs enfants, avec leurs qualités et leurs défauts.

Deux grands romans.

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Alice Zeniter – L’art de perdre

(Roman / 2017)

Couverture du roman L'art de perdre d'Alice Zeniter

Dans les années 1930, Ali et ses frères vivent en Kabylie, dans un hameau, sur les crêtes. Après avoir trouvé un pressoir, Ali et sa famille s’enrichissent et deviennent des personnes importantes sur leur montagne. Décoré de la deuxième Guerre Mondiale, Ali est pris dans le tourbillon des « événements » qu’on a du mal à nommer guerre d’indépendance. Pour sauver sa peau et pour sauver sa famille, et même s’il n’a été que peu directement impliqué dans le conflit qui ravage son pays, il embarque avec les siens et d’autres harkis en 1962 pour Marseille.

A notre époque, Naïma, la petite-fille d’Ali, vit à Paris. Elle n’a jamais mis les pieds en Algérie et ne connaît que très peu l’histoire familiale que son père, Hamid, semble avoir rayée de sa mémoire.

Commentaire

À travers l’histoire de la famille Zekkar, Alice Zeniter raconte avec simplicité, précision, humanité et sans jugement ni revendication, le drame de l’Algérie, des harkis, de la France. Dans ce roman, L’art de perdre, Alice Zeniter montre les tabous et les incompréhensions, complète les oublis volontaires ou non, relate les atrocités des années noires de l’indépendance sans céder au spectaculaire, au sordide ou au sensationnel. Elle décrit les séquelles du déracinement, expose les difficultés rencontrées par les harkis à leur arrivée en France et celles des générations suivantes et la démission totale de leur prise en charge par leur pays d’accueil, leur camp.

Une histoire dans l’Histoire, « L’art de perdre » est aussi une poignante saga familiale. Des sentiments forts et souvent tus. De l’amour, de la tristesse, de la honte et de la colère. Du travail laborieux et de l’espoir pour la génération suivante. La transmission. Le poids de l’héritage familial. Les problèmes de communication liés à la langue. Des questionnements et des silences.

Riche et passionnant. Remarquable et bouleversant. Un livre marquant.

Extraits

Choisir son camp n’est pas l’affaire d’un moment et d’une décision unique, précise. Peut-être, d’ailleurs, que l’on ne choisit jamais, ou bien moins que ce que l’on voudrait. Choisir son camp passe par beaucoup de petites choses, des détails. On croit n’être pas en train de s’engager et pourtant, c’est ce qui arrive. (p.68)

 Rien n’est sûr tant qu’on est vivant, tout peut encore se jouer, mais une fois qu’on est mort, le récit est figé et c’est celui qui a tué qui décide. Ceux que le FLN a tués sont des traîtres à la nation algérienne et ceux que l’armée a tués des traîtres à la France. Ce qu’a été leur vie ne compte pas : c’est la mort qui détermine tout. (p.127)

 Le mariage, c’est un ordre, une structure. L’amour, c’est toujours le chaos – même dans la joie. Il n’y a rien d’étonnant à ce que les deux n’aillent pas de pair. Il n’y a rien d’étonnant à ce que l’on choisisse de construire sa famille, son foyer, sur une institution qui est durable, sur un contrat évident plutôt que sur le sable mouvant des sentiments.
– L’amour, c’est bien, oui, dit Ali à son fils, c’est bon pour le cœur, ça fait vérifier qu’il est là. Mais c’est comme la saison d’été, ça passe. Et après il fait froid. (p.131)

 – Quand tu dors, tu oublies tous tes soucis, a toujours dit Ali à ses fils pour les obliger à aller se coucher, c’est une chance merveilleuse et ça ne dure que quelques heures, alors profite. (p.138)

– Écoute, mon vieux, dit-il dans un dernier effort, tu n’avais qu’à choisir le bon côté.
– Toi, tu as choisi le mauvais ?
– Non, mais moi je suis français.
– Moi aussi. (p.173)

 Ils parlent de moins en moins à leurs parents, de toute manière. La langue crée un éloignement progressif. L’arabe est resté pour eux un langage d’enfant qui ne couvre que les réalités de l’enfance. Ce qu’ils vivent aujourd’hui, c’est le français qui le nomme, c’est le français qui lui donne forme, il n’y a pas de traduction possible. Alors, quand ils s’adressent à leurs parents, ils savent qu’ils s’amputent de toute une maturité nouvelle et qu’ils redeviennent des gamins de Kabylie. Il n’y a pas de place dans les conversations, entre l’arabe qui pour eux s’efface dans le temps et le français qui résiste à leurs parents, pour les adultes qu’ils sont en train de devenir.
Ali et Yema regardent l’arabe devenir langue étrangère pour leurs enfants, ils entendent les mots qui échappent de plus en plus, les approximations qui se multiplient, le français qui vient truffer la surface des paroles. Ils voient l’écart qui se creuse et ils ne disent rien, à part – peut-être – de temps en temps, parce qu’il faut dire quelque chose :
– C’est bien, mon fils.
Dans l’appartement qui ne leur a jamais paru être tout à fait le leur, ils reculent tant qu’ils peuvent pour laisser la génération poussée ici habiter la succession de pièces trop petites et de meubles superflus qu’ils avaient achetés pour imiter ils ne savent plus bien quelle image de catalogue. (p.301)

Il sait qu’il ne parviendra pas à garder les enfants près de lui. Ils sont déjà partis loin.
Ils ne veulent pas du monde de leurs parents, un monde minuscule qui ne va que de l’appartement à l’usine, ou de l’appartement aux magasins. Un monde qui s’ouvre à peine l’été quand ils rendent visite à leur oncle Messaoud en Provence, puis se referme après un mois de soleil. Un monde qui n’existe pas parce qu’il est une Algérie qui n’existe plus ou n’a jamais existé, recréée à la marge de la France.
Ils veulent une vie entière, pas une survie. Et plus que tout, ils ne veulent plus avoir à dire merci pour les miettes qui leur sont données. Voilà, c’est ça qu’ils ont eu jusqu’ici : une vie de miettes. Il n’a pas réussi à offrir mieux à sa famille. (p.340)

Hamid a voulu devenir une page blanche. Il a cru qu’il pourrait se réinventer mais il réalise parfois qu’il est réinventé par tous les autres au même moment. Le silence n’est pas un espace neutre, c’est un écran sur lequel chacun est libre de projeter ses fantasmes. Parce qu’il se tait, il existe désormais en une multitude de versions qui ne correspondent pas entre elles et surtout qui ne correspondent pas à la sienne mais qui font leur chemin dans les pensées des autres. (p.367)

Tout est facile. C’est ce qu’on voulait, non ? Qu’on choisisse un côté ou l’autre, ce qu’on voulait c’est que ça devienne facile pour nos enfants… (p.383)

C’est dehors que l’homme est un homme, à la maison il est donné à tout homme d’être homme. (p.385)

Il se dit parfois que s’échapper prend plus de temps que prévu, et que s’il n’a pas fui aussi loin de son enfance qu’il le souhaiterait, la génération suivante pourra reprendre là où il s’est arrêté. (p.393) 

– Tu as déjà joué à ce jeu « Qu’est-ce que tu emporterais sur une île déserte ? »
– Evidemment.
– A ma connaissance, personne n’a jamais répondu : « Mes morts ». Et pourtant, depuis qu’on est revenus ici, ce sont eux qui nous manquent. (p.419) 

Le pouvoir n’est jamais innocent. Pourquoi alors est-ce qu’on continue à rêver qu’on peut être dirigé par des gens bien ? Ceux qui veulent assez fort le pouvoir pour l’obtenir, ce sont ceux qui ont des egos monstrueux, des ambitions démesurées, ce sont tous des tyrans en puissance. Sinon ils ne voudraient pas cette place…. (p.475)

Tu le crois ça, Naïma, tu le crois ? C’est pour ça qu’on s’est battus ? On voulait offrir un pays libre à nos enfants, on s’est battus contre les Français, on s’est battus contre les fanatiques du FIS, on s’est battus entre nous et nos enfants nous tournent le dos, ils deviennent des cons à qui je n’ai pas envie de donner dix euros et encore moins pour un pays. (p.490) 

Un mort qu’on ne connait pas meurt un peu moins, pense-t-elle. (p.511) 

Ce qu’on ne transmet pas, ça se perd, c’est tout. (p.593)

L’auteure et son œuvre

Alice Zeniter est née le 7 septembre 1986 à Clamart. Elle est romancière, dramaturge, scénariste et metteuse en scène.

Elle a publié plusieurs romans, dont Sombre dimanche (2013), Juste avant l’oubli (2015) et Comme un empire dans un empire (2020).

Mon Alice Zeniter ++

Je n’ai rien lu d’autre de cette auteure pour le moment.

Thème : racines et mémoire

L’art de perdre d’Alice Zeniter et La carte postale d’Anne Berest racontent des histoires familiales. On pourrait être tenté de penser que c’est là leur unique point commun, en se référant à la famille de harkis présentée dans le premier roman et à la famille juive du second. Il n’en est rien.

Ces deux livres insistent sur les mêmes valeurs : l’importance de la famille et de la connaissance de ses racines, pour comprendre d’où l’on vient et permettre ainsi de mieux affronter présent et avenir. Dans les deux cas, des secrets de famille sont tus ou perdus. La jeune génération doit s’employer pour lever des zones d’ombre, là où la transmission naturelle a partiellement échoué. Ce travail de mémoire, de l’histoire de la famille au sein de la grande Histoire, permet aux descendants de répondre à leurs questionnements et à tout le monde de ne pas oublier les horreurs commises par le passé, pour éviter de les renouveler.

Lorsqu’une histoire familiale floue et obscure est un poids, son décryptage peut être une libération et un passeport pour la sérénité.

Les deux livres sont instructifs au niveau de l’Histoire de ces deux peuples, victimes de drames terribles, de drames différents.

Dans les deux romans, les auteures montrent également l’importance des décisions prises par les individus, la part de hasard dans ces décisions et les conséquences parfois lourdes qui en découlent.

Les deux auteures présentent la traditionnelle panoplie de personnages qu’on rencontre dans l’Histoire : des vrais gentils, des vrais méchants et des personnes qui tentent de survivre au mieux pour eux et leurs enfants, avec leurs qualités et leurs défauts.

Deux grands romans.

À découvrir aussi (clic sur le titre pour en savoir davantage)

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Cécile Candiago – D’où je viens
Ophélie Courtain – Tu n’iras pas fleurir la mienne

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