(Nouvelle / 1830)
Théodore de Sommervieux, aristocrate et peintre, rôde autour de la Maison du Chat-qui-pelote où résident les Guillaume, fameux drapiers de Paris, leurs filles Virginie et Augustine, et leurs trois commis. Il est amoureux de la belle Augustine. Un an plus tôt, son cœur a chaviré lorsqu’il a surpris un dîner dans cette maison. À la nuit tombante, sous une lumière comparable à celle des grands tableaux de l’école hollandaise, elle lui est apparue comme la figure principale d’un tableau vivant. Joseph Lebas, l’aîné des commis, éprouve des sentiments semblables pour la jeune fille.
Commentaire
Balzac a placé « La Maison du Chat-qui-pelote » en ouverture de sa Comédie humaine. Un choix judicieux. On y retrouve la plume élégante de l’écrivain, ses descriptions détaillées, son amour du vieux Paris, de l’architecture, de la peinture.
Dans cette nouvelle, Balzac nous livre un premier lot de types de personnage : l’artiste (Théodore), le commerçant (M. Guillaume), la femme dominatrice et sans scrupules (la duchesse de Carigliano), la femme amoureuse et malheureuse (Augustine). Il peint différentes alliances : les mariages raisonnables et calculés (les Guillaume, leur fille et le commis), les mariages de la haute société autorisant excès et libertinage (les Carigliano), les liaisons découlant des précédents (la duchesse et ses amants), les liaisons mortes avant de naître (Joseph amoureux d’Augustine), le mariage d’amour (Théodore et Augustine), malheureux, impossible, de par la rencontre de deux mondes incompatibles, celui de l’artiste aristocrate vivant dans un monde d’esthétique et de distractions, et celui d’Augustine qui n’a connu que le labeur et le matériel.
Pourquoi avoir choisi ici cette nouvelle de Balzac, plutôt qu’un de ses grands romans de la Comédie humaine ?
Parce qu’elle fait partie de mes œuvres préférées de la Comédie humaine, du moins de ce que j’en ai lu à ce jour.
Parce que j’ai envie de la partager avec vous.
Et aussi parce que « La Maison du Chat-qui-pelote » contient grand nombre d’ingrédients qui apportent toute la saveur à l’ensemble de l’Œuvre.
« La Maison du Chat-qui-pelote » est une Comédie humaine en miniature.
Une lecture idéale pour goûter à ce merveilleux héritage que nous a laissé Balzac. Ou pour s’y replonger avec délectation.
Extraits
– Vous voyez ce que l’amour m’a inspiré, dit l’artiste à l’oreille de la timide créature qui resta tout épouvantée de ces paroles. (p.50)
– Si fait, monsieur Joseph. Que dites-vous de la peinture ? C’est là un bel état.
– Oui, je connais un maître peintre en bâtiment, monsieur Lourdois, qui a des écus. (p.60)
Qui dépense trop n’est jamais riche. (p.67)
Le seul sublime qu’elle connût était celui du cœur. Enfin, Théodore ne put se refuser à l’évidence d’une vérité cruelle : sa femme n’était pas sensible à la poésie, elle n’habitait pas sa sphère, elle ne le suivait pas dans tous ses caprices, dans ses improvisations, dans ses joies, dans ses douleurs ; elle marchait terre à terre dans le monde réel, tandis qu’il avait la tête dans les cieux. Les esprits ordinaires ne peuvent pas apprécier les souffrances renaissantes de l’être qui, uni à un autre par le plus intime de tous les sentiments, est obligé de refouler sans cesse les plus chères expansions de sa pensée, et de faire rentrer dans le néant les images qu’une puissance magique le force à créer. Pour lui, ce supplice est d’autant plus cruel, que le sentiment qu’il porte à son compagnon ordonne, par sa première loi, de ne jamais rien se dérober l’un à l’autre, et de confondre les effusions de la pensée aussi bien que les épanchements de l’âme. (p.70)
Les gens sans religion sont capables de tout. (p.79)
L’auteur et son œuvre
Honoré de Balzac est né à Tours le 20 mai 1799, sans la particule. Il est mort à Paris le 18 août 1850.
Balzac a été tour à tour imprimeur, éditeur, journaliste, romancier et critique littéraire. Ses premières œuvres publiées entre 1820 et 1827, notamment sous le pseudonyme Horace de Saint-Aubain, sont des échecs. Il les reniera par la suite.
Durant cette période, il lui arrive fréquemment de se cacher de ses créanciers et des huissiers. Mme de Berny, sa maîtresse de vingt-deux ans son aînée et mère de neuf enfants, le soutient financièrement, l’encourage et le conseille dans son métier d’écrivain. Il lui en sera toujours reconnaissant.
En 1829 paraît son premier roman sous son vrai nom, « Les Chouans ».
Balzac est un forçat du travail. Il écrit beaucoup, et vite (et sans traitement de texte, sans correcteur orthographique et sans copier/coller, s’il vous plaît).
La Comédie Humaine
Dès 1833, il décide de regrouper ses écrits sous une œuvre unique, la Comédie humaine, organisée en trois grands ensembles : Études de mœurs, Études philosophiques et Études analytiques. Son but : brosser une vaste fresque sociale de son époque à travers plus de 140 titres (romans, nouvelles, contes, essais) et plus de 2000 personnages. La Comédie humaine propose une large panoplie de genres : romantique, fantastique, policier, philosophique, historique. L’œuvre est titanesque.
En 1844, il écrit à Mme Hanska, une noble polonaise, qui fut son admiratrice avant de l’épouser en 1850 :
« Quatre hommes auront eu une vie immense : Napoléon, Cuvier, O’Connell, et je veux être le quatrième. Le premier a vécu de la vie de l’Europe ; il s’est inoculé des armées ; le second a épousé le globe ; le troisième s’est incarné un peuple ; moi, j’aurai porté une société toute entière dans ma tête ».
Balzac n’arrivera pas à bout de son projet. Il meurt d’épuisement après avoir finalisé 92 ouvrages. Certains resteront inachevés. D’autres n’auront pas été commencés.
La légende prétend qu’il a appelé Horace Bianchon à son secours sur son lit de mort. Bianchon est l’illustre médecin de la Comédie humaine.
Le génie de Balzac
Outre le concept global, Balzac a développé deux autres idées remarquables dans sa Comédie humaine.
Tout d’abord la récurrence des personnages. Pour lier les ouvrages entre eux, et pour rendre sa société totalement crédible, Balzac a décidé de réutiliser de nombreux personnages dans différents récits. Dans un rôle principal, un rôle secondaire ou uniquement en les mentionnant au détour d’une scène. Et ceci, à des périodes diverses et variées de leur vie. Cet exercice compliqué a régulièrement provoqué des réécritures de parties déjà terminées, pour garantir la cohérence de l’ensemble. Ces réajustements ont fini par devenir tellement complexes que certaines contradictions sont passées au travers des mailles du filet de Balzac, surtout au niveau des dates. Rien de dramatique toutefois, ces imperfections ne nuisant pas à la qualité globale de l’œuvre.
Autre trouvaille notable, la catégorisation des personnages dans des archétypes sociaux, par métiers et par d’autres traits de personnalité ou de caractère, afin de décrire systématiquement tous les types d’individus de la société. On retrouve ainsi : les Financiers, les Médecins, les Artistes, les Soldats, les Commerçants, les Politiciens, les Petits employés, les Notables, les Courtisanes, les Criminels, les Bourgeois, les Dandies, les Nobles, les Passionnés, les Avares, les Dévoués, les Parents, les Sots, les Génies, …
Les personnages sont souvent excessifs, à l’image de Balzac lui-même.
Par ailleurs, Balzac est également un des fondateurs de la Société des gens de lettres, créée pour protéger les écrivains et faire respecter leurs droits d’auteur.
Balzac est un des plus grands écrivains de l’Histoire. Tout simplement.
Mon Honoré de Balzac ++
Je n’ai pas (encore) lu l’intégrale de la Comédie humaine. Tous les ouvrages n’atteignent pas l’excellence, mais cette œuvre géante, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, est terriblement impressionnante ! Personnellement, j’adore.
Parmi les nombreuses réussites qui sortent du lot, j’en cite quatre ci-dessous qui peuvent en appeler beaucoup d’autres pour les amateurs du genre :
La recherche de l’absolu
(1834)
En 1809, Balthazar Claës héberge un officier polonais, chimiste passionné, qui lui confie qu’il est sur le point de résoudre les mystères de la décomposition de la matière. Contaminé par la fièvre de la Science, Balthazar se lance à son tour dans de complexes expériences, à la recherche de l’Absolu. Il s’éloigne progressivement de sa femme et de ses enfants, plongé dans ses réflexions, et dilapide peu à peu sa fortune.
Balzac décrit avec une précision diabolique les extrêmes auxquels peut mener une quête obsessionnelle. Il peint le dévouement absolu, oppose l’Amour à la Science, pointe du doigt la fine frontière entre le génie et la folie. Et pose la question ultime : jusqu’à quel point un homme a-t-il le droit de sacrifier les siens au nom de la Connaissance et du Progrès ?
Un excellent roman.
Le Père Goriot
(1835)
1819. Eugène Rastignac, jeune provincial, étudie le droit à Paris. Il vit à la pension Vauquer qui héberge également Horace Bianchon, étudiant en médecine, le Père Goriot, un vieil original qui a fait fortune durant la Révolution, et l’énigmatique Vautrin.
Le Père Goriot est le grand classique de la Comédie humaine. Balzac y dépeint l’amour paternel poussé à l’extrême et l’arrivisme des jeunes Parisiens et Provinciaux prêts à tout pour se faire une place dans le beau monde de la capitale.
À lire au moins une fois dans sa vie, pour qui apprécie ce style de littérature.
Illusions perdues
(1843)
Aventures et mésaventures en trois parties de deux amis, David Séchard et Lucien Chardon.
Tout d’abord à Angoulême. David et Ève, la sœur de Lucien, se battent pour sauver l’imprimerie que David a rachetée à son père. Lucien, de son côté, parvient à intégrer l’aristocratie locale, mais se sent rapidement à l’étroit dans l’étroitesse d’esprit provinciale.
Dans la deuxième partie, Lucien monte à Paris pour se faire un nom dans la littérature. Il connaît des déconvenues, autant littéraires que sentimentales. Avide de succès, il se lance dans le journalisme. Il ne cesse d’aller de désillusion en désillusion.
Dans la dernière partie, David a des difficultés à ne pas se faire voler une invention de fabrication de papier par des concurrents malhonnêtes. Lucien, de retour à Angoulême, tente de l’aider.
Une pièce maîtresse de la Comédie humaine, considérée par Balzac comme un élément capital de son œuvre. Ce gros roman comporte de nombreux thèmes récurrents de la Comédie humaine : amour, trahison, petitesses de la province, intrigues de la capitale, arrivisme, codes et cruauté du beau monde, naïveté du provincial à Paris.
De nombreux personnages récurrents font des apparitions plus ou moins marquantes dans ce récit.
Balzac dresse dans « Illusions perdues » des portraits souvent peu flatteurs de plusieurs de ses archétypes sociaux.
Un indispensable pour tout amateur de Balzac.
Splendeurs et misères des courtisanes
(1847)
Aventures et mésaventures d’Esther, une courtisane, de Lucien Chardon, du mystérieux abbé Carlos Herrera et du riche baron de Nucingen.
Magnifique suite d’ « Illusions perdues », ce gros roman permet de retrouver bon nombre de personnages récurrents de la Comédie humaine.
L’enchaînement du « Père Goriot », d’« Illusions perdues » et de « Splendeurs et misères des courtisanes » est un grand moment de lecture.
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