MOTS 21
Connais-toi toi-même.
Socrate
Socrate
Léviathan, de Julien Green. Un roman noir, pesant, admirablement écrit. Des personnages torturés. Une ambiance glauque. Un vrai plaisir.
Bonne lecture.
(Roman / 1929)
Précepteur mal marié, installé depuis peu en province, Paul Guéret tombe amoureux d’une jeune et belle blanchisseuse, Angèle, et traîne son désespoir entre Chanteilles et la ville voisine de Lorges, où Mme Londe tient un restaurant et des clients sous sa coupe.
« Léviathan » de Julien Green ressemble à du Balzac déprimé s’intéressant aux vies ratées de petites gens de province.
« Léviathan » est un roman admirablement construit, oppressant, sombre, pessimiste, écrit d’une magnifique plume dans un style d’une autre époque. Les personnages sont superbement décrits, leur psychologie décortiquée de manière minutieuse et approfondie. L’atmosphère glauque est bien rendue.
Guéret est malheureux. Il a du mal à entrevoir une lueur d’espoir dans sa vie terne et médiocre. La communication n’étant pas son fort, il peine à nouer des relations, à partager ses angoisses, à dire ce qu’il a sur le cœur. Il est follement amoureux aussi, mais pas de sa femme. Les autres personnages ne sont guère davantage à la fête. Ils vivent tous un enfer, chacun à sa façon. Julien Green n’y va pas de main morte dans ce drame épouvantable à faire frémir, entre amour impossible, prostitution, pédophilie, asservissement, agression, meurtre, rêves avortés et constat de l’inéluctable vacuité de l’existence.
Une fois plongé dans la détresse de Paul Guéret, dans les aspirations d’Angèle, dans les esprits troubles de Mme Londe et de Mme Grosgeorges, dans les démons des uns et des autres, j’ai eu du mal à lâcher le livre avant d’avoir lu la dernière page. J’ai adoré l’histoire et les personnages. Et j’ai adoré l’écriture de Julien Green, riche, précise, classique. Un roman noir exceptionnel.
Ce besoin de se sentir entourée, de voir les visages sourire à son approche, les mains se tendre, elle l’avait eu depuis longtemps, comme tous les êtres que leurs jolies figures a accoutumés à la bienveillance et aux compliments de tous. Sans doute n’ignorait-elle pas qu’on la jugeait durement et que plusieurs des personnes qui lui parlaient avec douceur, lorsqu’elle les rencontrait, ne se faisaient pas faute de la rudoyer dans leurs conversations entre elles, mais cela lui était à peu près égal. Un extérieur de cordialité lui suffisait. (p.102)
Pourtant on ne sait jamais ; le monde est si adroit dès qu’il s’agit de nuire aux honnêtes gens. (p.186)
Je souhaite, comme tout le monde, être parfaitement heureux ; mais, comme pour tout le monde, il faut que ce soit à ma propre façon. (p.93)
« Comment vivent les autres ? se demandait-elle souvent. Comment font-ils pour aller de semaine en semaine jusqu’à la fin de l’année ? »
Elle s’irritait de cette sorte de voyage à travers le temps qu’elle était contrainte d’accomplir. Où la menait-il ? Vers quelle joie ? Quelle compensation lui ferait oublier sa fatigue ? Jamais la foi n’avait eu de prise sur cette femme à qui toutes les religions paraissaient également fausses, puisque aucune d’elle ne pouvait lui expliquer pourquoi on la faisait vivre et pourquoi, cette vie lui étant donnée, le jour devait venir où elle en serait privée. (p.197)
Sa raison avait beau lui dire qu’elle perdrait son temps : de quel secours la raison était-elle jamais dans les grands moments de la vie ? (p.241)
Julien Green est né Julian Hartridge Green le 6 septembre 1900 à Paris, de parents américains. Cet écrivain américain de langue française a été le premier étranger élu membre de l’Académie française, le 3 juin 1971. Il est considéré comme un écrivain majeur de la littérature française du 20e siècle. Il est décédé le 13 août 1998 à Paris.
L’œuvre de Julien Green, marquée par sa foi catholique et son homosexualité, interroge souvent sur les notions de bien et de mal. Outre ses romans les plus célèbres, « Mont-Cinère », « Adrienne Mesurat » et « Léviathan », il est connu pour son « Journal », publié en 19 volumes, qui couvre de 1919 à 1998. Il a écrit une vingtaine de romans, des nouvelles, six pièces de théâtre, des autobiographies et des essais.
Une constante dans les quatre romans que j’ai lus de cet auteur d’une lucidité parfois presque effrayante : ses personnages sont incapables de trouver le bonheur et s’en rendent compte. Pire, ils ne comprennent souvent pas eux-mêmes pourquoi ils sont malheureux, pourquoi ils ont l’impression d’être nulle part à leur place dans la société. Torturés par des conflits intérieurs qui les dépassent, par des sentiments qui les détruisent, ils risquent à chaque instant de perdre la raison.
Un auteur captivant, à découvrir ou redécouvrir.
Léviathan a été ma première expérience dans l’univers de Julien Green. J’en suis ressorti tourneboulé, avec une grosse envie d’en connaître davantage sur cet auteur. J’ai enchaîné avec les trois autres romans décrits ci-dessous.
(1926)
En Virginie, trois générations de femmes vivent à Mont-Cinère, une grande maison isolée. La mère, maîtresse de maison avare, économise le moindre argent et notamment le bois de chauffe, ce qui rend la maison aussi froide en température qu’elle ne l’est en amour. La grand-mère a peur que sa fille ne l’empoisonne, pour dépenser moins d’argent en nourriture et en chauffage. La fille, Emily, laide et solitaire, craint que sa mère ne vende des meubles, de la vaisselle ou des objets décoratifs ayant appartenu à son père et qui lui reviendraient donc de droit un jour. Elle ne rêve que d’hériter de la propriété pour lui rendre son faste d’antan et y vivre à sa guise, sans devoir rogner continuellement sur tout.
Julien Green frappe très fort avec ce premier roman. « Mont-Cinère » déroule avec précision les obsessions maladives de trois femmes qui les éloignent peu à peu les unes des autres et les coupent de la réalité. Emily, la plus jeune, tentera de trouver du secours à l’extérieur de la famille, espérant que Dieu ou les hommes l’empêcheront de glisser vers la folie.
Ce thriller psychologique d’une autre époque dépeint trois personnages détestables qui se détestent, incapables de communiquer, obnubilés par les biens. Passionnant.
Le style relevé, rigoureux et tellement plaisant de Julien Green est déjà en place dans « Mont-Cinère », ce qui rend la lecture de ce roman noir d’autant plus agréable.
(1927)
Dans la morne petite ville de La Tour-L’Evêque, la belle Adrienne Mesurat, dix-huit ans, dépérit entre un vieux père autoritaire et engoncé dans une routine aveugle et une sœur plus âgée, aigrie et malade. Une existence sans espoir, comme cet amour impossible auquel elle se raccroche pour ne pas sombrer.
Le style classique et impeccable de Julien Green mis au service de l’histoire d’Adrienne Mesurat. Cette jeune femme malheureuse se sent prisonnière dans une famille étroite d’esprit, incomprise dans une maison privée de sentiments, surveillée du matin au soir. Sa vie lui semble être un cauchemar sans fin. La folie la guette. Julien Green décortique chirurgicalement la descente aux enfers de son héroïne. Il y a toujours du Balzac dans sa plume soignée, mais aussi du Flaubert dans les traits et le destin d’Adrienne, en plus oppressant, plus déprimant. Roman noir. Roman psychologique. Roman tragique. Roman envoûtant. « Adrienne Mesurat » est souvent considéré comme le chef d’œuvre de l’auteur. Roman que j’ai apprécié et que je conseille vivement au même titre que les autres romans décrits dans cet article.
Il fallait la regarder quelque temps pour s’apercevoir qu’elle était belle. (p.31)
C’est un fait souvent observé que le monde, l’humanité tout entière cesse de se développer et de changer aux yeux des vieillards. (p.48)
Le cœur humain est ainsi fait. Il laisse s’écouler de longues années et ne songe pas un instant à se mutiner contre son sort, puis il vient un moment où il sent tout d’un coup qu’il n’en peut plus et qu’il faut tout changer dans l’heure même et il craint de tout perdre s’il diffère d’un seul jour cette entreprise dont la veille encore il n’avait pas l’idée. (p.130)
(1947)
Qui n’a rêvé d’échapper à un « moi » trop connu, et le plus souvent inconfortable, pour entrer dans la peau d’un autre qu’on imagine forcément plus fort et plus heureux ? Ce pouvoir est donné à Fabien. (début de la quatrième de couverture).
Julien Green nous offre une incursion dans le fantastique.
Un soir de pluie, le chemin de Fabien Especel croise celui d’un vieillard étrange, Brittomart, qui lui propose d’exaucer un de ses souhaits secrets : changer d’identité, vivre la vie de quelqu’un d’autre, sauter de corps en corps aussi souvent qu’il le désire. Fabien, la vingtaine, vivant seul, survivant grâce à un travail de bureau qui lui déplaît profondément, de santé fragile, finit par accepter. Mais au fil de sa quête, il se rend compte qu’il a du mal à trouver le bonheur recherché dans des existences qui paraissaient pourtant prometteuses. Il comprend que l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs.
Une intéressante réflexion sur l’éternelle insatisfaction de l’être humain de sa propre condition.
Un roman prenant, avec en prime toujours l’écriture élégante et travaillée de Julien Green.
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La bonne nouvelle de la rentrée : mes livres sont désormais également disponibles dans une charmante librairie strasbourgeoise, la bien-nommée Au Bonheur des Livres. Aux allergiques de commandes sur Internet, à celles et ceux qui apprécient de passer un moment agréable entre des rayonnages de livres et une libraire sympathique avant de jeter leur dévolu sur la prochaine œuvre à dévorer, je ne peux que vous conseiller d’y trouver votre bonheur !
Bonnes lectures !
Un gros coup de cœur pour cette rentrée : Betty, de Tiffany McDaniel. Un roman captivant, émouvant, écrit avec beaucoup de poésie et de tendresse. Une histoire tragique qui devrait beaucoup plaire à celles et ceux qui ont apprécié Ainsi a-t-il été.
Bonne lecture.
(Roman / 2020)
Betty naît en 1954, sixième des huit enfants de Landon Carpenter, un Cherokee, et de Alka, née Lark, une blanche. Elle est la seule à avoir la même peau sombre que son père qui l’appelle affectueusement Petite Indienne. Elle raconte l’émouvante et tragique histoire de sa famille, sur la route puis dans une vieille maison qui passe pour être maudite, à Breathed, Ohio.
Abandonnant peu à peu l’innocence de l’enfance, Betty devra trouver sa place dans un monde sans pitié, entre racisme, moqueries, humiliations, méchanceté humaine et terribles secrets de famille, aidée par la sagesse et les récits empreints de magie et de poésie de son père.
Le destin d’une famille de laissés-pour-compte. Autour de Betty, la courageuse Petite Indienne qui tente de faire disparaître ses horribles découvertes en les écrivant sur papier puis en les enterrant, Tiffany McDonald nous offre une panoplie de portraits touchants. Fraya, la grande sœur, qui chante des chansons tristes. Flossie, l’autre sœur, qui rêve d’être une étoile à Hollywood. Trustin, le frère doué en dessin. Lint, le petit dernier, hypocondriaque et collectionneur de cailloux auxquels il raconte ses peines. Un grand frère qui a la bougeotte. Une mère au caractère instable. Et surtout, Landon, le père sublime, qui distille histoires fantastiques, remèdes tirés de plantes et autres conseils de communion avec la nature, le tout issu de sa culture cherokee. Un père toujours optimiste et positif alors que les Blancs lui rendent souvent la vie difficile. Un père tolérant alors qu’il est battu à cause de la couleur de sa peau. Un père qui tente d’apporter un soutien perpétuel aux uns et aux autres par son amour et ses mots.
Tiffany McDonald raconte les joies et horreurs du quotidien avec simplicité et beaucoup de sensibilité et de poésie par l’intermédiaire de Betty, la narratrice. Elle aborde des sujets universels et malheureusement indémodables pour certains : la famille, le temps qui passe, la transmission, les bienfaits de la nature, la quête du bonheur, la force de l’imagination, l’amour, le passage de l’enfance à l’adolescence puis à l’âge adulte, la pauvreté, le sentiment de culpabilité, l’intolérance, la crédulité, les violences faites aux femmes et aux enfants, la religion, la toxicité de certaines personnes, l’extermination de peuples et de leurs traditions.
Betty, ses sœurs et sa mère sont confrontées aux souffrances liées à la condition de la femme. Le personnage de Landon illustre quant à lui le mal fait par les plus forts au long de l’Histoire de l’humanité : discriminations, génocides, extinctions de cultures.
Le roman, émouvant, passionnant, bouleversant, prend une dimension supplémentaire lorsqu’on apprend que la mère de Tiffany McDonald, Betty, d’origine cherokee, est née elle aussi en 1954.
Noir et lumineux. Un roman à lire absolument.
Je fais une entorse à une règle personnelle que j’avais respectée jusqu’à aujourd’hui sur ce site : ne pas évoquer mes propres romans dans les articles consacrés à d’autres auteurs. Petite entorse parce que je trouve des parallèles intéressants au niveau des sujets abordés entre « Betty » et Ainsi a-t-il été. Avis aux amateurs.
Devenir femme, c’est affronter le couteau. C’est apprendre à supporter le tranchant de la lame et les blessures. Apprendre à saigner. Et malgré les cicatrices, faire en sorte de rester belle et d’avoir les genoux assez solides pour passer la serpillère dans la cuisine tous les samedis. Ou bien on se perd, ou bien on se trouve. (p.23)
Nous partagions une même imagination alors. Une seule et belle pensée. L’idée que nous étions importantes. Et que tout était possible.
…
Mais dès que nous quittions la scène et que nous nous éloignions de notre monde, la réalité ne tardait pas à se rappeler à nous. (p.117)
Nous nous raccrochions comme des forcenées à l’espoir que la vie ne se limitait pas à la simple réalité autour de nous. Alors seulement pouvions-nous prétendre à une destinée autre que celle à laquelle nous nous sentions condamnées. (p.216)
– Si tu écrivais un poème sur ton père vivant dans un flocon, qu’est-ce que tu dirais, Betty ?
– Je dirais : Mon papa vit dans un flocon de neige. Il a froid. Je le vois en hiver seulement. Une fois, j’ai voulu le serrer contre moi. Mais il a aussitôt fondu dans ma main. Mon papa vit dans un flocon de neige. Il a froid. En été, il me manque énormément. (p.252)
C’était une femme si belle que les miroirs se lamentaient en son absence. (p.285)
Tu sais quelle est la chose la plus lourde au monde, Betty ? C’est un homme qui est sur toi alors que tu ne veux pas qu’il y soit. (p.299)
Il y avait des choses chez mon père qui commençaient à s’écailler, comme une peinture qui vieillit. Quand je lisais les livres que j’empruntais à la bibliothèque, je pensais que mon père – comme les histoires que ces livres racontaient – était né de l’esprit de ces écrivains. (p.319)
Toutes les mères sont envieuses de leurs filles, dans une certaine mesure, parce que les filles ne sont qu’au début de leur jeunesse, alors que les mères voient la leur s’évanouir peu à peu. (p.462)
– Je pense que les araignées chantent, répétait Flossie. La toile est leur chanson. (p.573)
Tiffany McDaniel est née en 1985 dans l’Ohio aux États-Unis. Elle est romancière, poétesse et plasticienne. Elle a écrit deux romans à ce jour Elle a écrit trois romans à ce jour : Betty, L’été où tout a fondu et Du côté sauvage.
Après le monumental Betty et le phénoménal L’été où tout a fondu, Tiffany McDaniel a enfoncé le clou avec l’incroyable Du côté sauvage. Elle est en train d’intégrer discrètement mais sûrement le cercle des grands écrivains américains, John Steinbeck, Jack London, John Irving, Joyce Carol Oates, Harper Lee, Harriet Beecher Stowe, et de leurs classiques intemporels. Congratulations.
Trois romans, trois énormes coups de coeur.
(2016 / The summer that melted everything)
Breathed, Ohio. 1984. L’été s’annonce particulièrement chaud. Le procureur Autopsy Bliss, obsédé par la justice et les erreurs judiciaires, fait publier une annonce dans le journal local, invitant le diable à se présenter chez lui. Un garçon noir dépenaillé apparaît le lendemain. Cet enfant aux yeux verts, Sal, prétend être le diable. Autopsy Bliss l’accueille dans sa famille. Sal se lie d’amitié avec son jeune fils Fielding. Mais la chaleur, les préjugés et la bêtise humaine font rapidement tourner la tête des habitants crédules de la petite ville lorsque se propage la rumeur de la présence du diable en ses murs.
Tiffany McDaniel frappe fort avec L’été où tout a fondu placé sous la bénédiction du Paradis perdu de Milton. Dans son style caractéristique, sombre et lumineux, poétique et littéraire, évocateur et précis, délicat, puissant dans les messages transmis tout en donnant une impression de légèreté, elle assène des vérités difficiles à entendre en s’appuyant sur une galerie de personnages attachants et ciselés comme du cristal fin. Dans ce roman qui s’apparente à un magnifique conte moderne noir, Tiffany McDaniel, sans enfiler de costume de moralisatrice, décrit la méchanceté et la bêtise humaine, le racisme et les préjugés qui ont la vie dure. L’humain est cruel envers l’humain mais aussi envers la nature (voir le sort réservé aux couleuvres et aux œufs des martinets ; insupportable mais tellement criant de vérité). Il ne sort pas grandi de ce roman envoûtant. Et pourtant, des épisodes de bonté sincère et profonde permettent de garder espoir quant au sens et à l’issue de la lutte permanente entre le Bien et le Mal.
A lire absolument.
Quand vous n’avez personne de qui vous souciez, ni personne qui se soucie de vous, essayer d’améliorer vos conditions de vie est une perte de temps. (p.51)
L’orgasme est un émerveillement aux flammes multiples pour les corps qui se jettent l’un contre l’autre et qui, dans cette collision amoureuse, transforme les garçons en maris et les filles en épouses. (p.208)
La douleur est la plus intime de nos rencontres. Elle vit à l’intérieur de nous et touche tout ce qui fait ce que nous sommes. Elle s’attaque à vos os, elle règne sur vos muscles, elle capte toutes vos forces et vous ne les revoyez plus jamais. Le grand talent de la douleur réside dans la façon qu’elle a de vous toucher. C’est aussi en cela que consiste sa grande cruauté. (p.280)
On peut en apprendre beaucoup sur un homme en observant ce qu’il fait avec un serpent. (p.298)
Le garçon ne peut se rapprocher du bonheur si la fille qu’il aime n’est pas disposée à l’accompagner. Il peut toujours grandir, emprunter un smoking, un lever de soleil, une lune de miel sous les tropiques, mais sans elle, rien de tout cela ne sera à lui. Elle était sa vérité, sa sagesse, et sans elle, il n’était qu’un crétin. Rien qu’un imbécile menant une vie idiote. (p.313)
La folie. Un violon qui nous accompagne partout lorsqu’elle est dans notre tête, un chaos absurde lorsqu’elle est à l’extérieur de nous. En fin de compte, n’est-ce pas cela, la folie ? La clarté pour celui qui voit à travers elle, l’aberration pour le monde qui en est témoin. (p.341)
Parfois des choses arrivent, de mauvaises choses, mais c’est une étape sur notre chemin, et il faut continuer à avancer. Sinon, on n’atteindra jamais la chose suivante, et il se pourrait bien que cette chose soit formidable. Il se pourrait que ce soit ce qui nous arrivera de mieux dans notre vie. (p.349)
Il faut être dingue une fois de temps en temps, sinon on devient fou. (p.380)
Il est possible que quelqu’un parvienne à nous faire oublier ce don du ciel qu’est notre libre arbitre. C’est l’incapacité à exercer notre libre arbitre qui nous amoindrit tous. C’est l’affection touchant notre raison qui altère notre bon sens au point de nous rendre victimes de choix que nous n’aurions normalement jamais faits. (p.444)
(2024 / On the wild side)
Troisième roman de Tiffany McDaniel, troisième énorme coup de coeur.
Du côté sauvage est violent, mais aussi bienveillant.
Du côté sauvage est sombre, mais aussi lumineux.
Du côté sauvage est un pavé, 712 pages, mais aussi un pavé dans la mare.
Tiffany McDaniel est une romancière, mais aussi une voix qui porte. La voix des femmes en souffrance. La voix des démunies, des vulnérables, des maltraitées, des ignorées. De celles qui gonflent les statistiques des victimes de la drogue et de la prostitution. Qui encaissent sans broncher. Qui finissent mal et qui l’ont sans doute bien cherché selon des bien-pensants. Qui seraient insignifiantes selon les mêmes.
Tiffany McDaniel est factuelle, douce, brutale, poétique, dénuée de jugement. Sa voix qui porte interpelle. Ces femmes fragiles ne sont ni des défouloirs, ni des chiffres dans un tableau, ni des moins-que-rien. Elles ont été des enfants. Elles ont vu des choses qu’elles n’auraient jamais dû voir, vécu des choses qu’elles n’auraient jamais dû vivre. Elles ont une vie, des sentiments, des proches, un quotidien. Elles ont eu des rêves, en ont parfois encore.
Tiffany McDaniel montre la brutalité des hommes.
Tiffany McDaniel décrit le courage de ces femmes. Sa voix forte crie la douleur enveloppée dans la magie poétique de son art noir et lumineux. Son art unique. La douleur de celles qui souffrent en silence, dans l’indifférence. Elle décrit aussi le sort réservé aux enfants nés dans une famille qui sombre et la cruauté de la société à leur égard. Une vision alarmante de notre monde actuel.
Du côté sauvage est l’histoire d’Arc et de Daffy, deux jumelles à la chevelure rousse nées dans une famille compliquée à Chillicothe, Ohio. Je ne vous la raconterai pas. Lisez-la. Elle en vaut la peine. Elle m’a bouleversé. Elle vous bouleversera peut-être également.
Du côté sauvage est une réaction empreinte d’humanité à un horrible fait divers qui s’est déroulé à Chillicothe, Ohio.
Tiffany McDaniel est une conteuse merveilleuse. Elle est brillante dans la construction de ses histoires, dans son écriture, dans l’élaboration de ses inoubliables personnages. Son art unique lui permet de transformer des faits sordides en récits poétiques. Elle dispose d’une imagination incroyable, d’une force évocatrice inouïe, d’une sagesse infinie, d’une plume magnifique et d’un humour subtil, s’appuie sur une vaste culture générale et sur un puits de connaissances.
Du côté sauvage est le résultat d’un talent précieux et de beaucoup de travail : un roman indispensable, puissant, courageux, émouvant. Un hommage vibrant aux femmes anonymes en souffrance.
Du côté sauvage est le roman que j’attendais en 2024.
Tiffany McDaniel est la grande auteure américaine du 21e siècle.
– Soyez patientes, mes chéries, disait mamie tandis qu’elle nous faisait part de sa sagesse de vieille femme. Car sans la patience, vous serez toujours en conflit avec la tâche qui vous attend. (p.76)
– Ma chérie, répondit mamie en prenant le visage de Daffy entre ses vieilles mains. Une sorcière, ce n’est pas un chapeau pointu, un balai, ou des verrues. Une sorcière, c’est simplement une femme qui est punie parce que sa sagesse est plus grande que celle des hommes. (p.77)
À qui pouvez-vous dénoncer les démons quand les démons sont ceux-là mêmes à qui vous allez les dénoncer ? (p.170)
– Qu’est-ce que tu as mis dans le cercueil avec elle, Arc ?
– Un caillou.
– Pourquoi tu l’as peint avec du rouge à lèvres ?
– Pour le transformer en pierre précieuse rouge. Comme ça, si sa tombe est fouillée un jour par une autre civilisation, dans le futur, ils la verront et sauront que c’était une reine. (p.213)
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Bonne lecture.