Anne Berest – La carte postale

(Roman / 2021)

Couverture du roman La carte postale d'Anne Berest

La carte postale a été déposée dans la boîte aux lettres familiale par une froide journée hivernale de 2003. Elle ne comporte que quatre prénoms. Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques. Les grands-parents, la tante et l’oncle de l’auteure, déportés et morts à Auschwitz. Elle est mise de côté pendant dix ans, puis Anne Berest la ressort de l’oubli et entreprend de découvrir l’identité de son expéditeur. Avec l’aide de sa mère, elle plonge dans l’histoire familiale pour résoudre le mystère. Son enquête durera quatre ans.

Commentaire

En suivant les traces des Rabinovitch, Anne Berest retrace le parcours dramatique de ses ancêtres, de la Russie en Palestine en passant par la Lettonie, et enfin de leur arrivée en France, à la recherche d’un endroit où ils se sentiraient en sécurité. L’histoire finit hélas à Auschwitz pour une grande partie de la famille.

Anne Berest parvient à insuffler beaucoup d’émotion dans son enquête qu’elle mène comme un roman policier (elle fait notamment appel à un criminologue expert en graphologie). Elle mélange habilement les genres, entre roman historique, saga familiale, thriller pour retrouver le fameux auteur de la carte postale et quête identitaire autour de la judaïté.

La carte postale est un livre poignant qu’on dévore et qu’on n’oublie pas de sitôt.

Extraits

– Maman… il y a bien un moment où on ne pourra plus dire « on ne savait pas »…
– L’indifférence concerne tout le monde. Envers qui, aujourd’hui, es-tu indifférente ? Pose-toi la question. Quelles victimes, qui vivent sous des tentes, sous des ponts d’autoroute, ou parquées loin des villes, sont tes invisibles ? (p.114)

 – Tu sais, on peut définir le hasard sous trois angles. Soit il sert à définir des événements merveilleux, soit des événements aléatoires, soit des événements accidentels. (p.118)

 Chaque semaine, M. Brians, le maire des Forges, doit envoyer une liste à la préfecture de l’Eure. Une liste qui s’intitule : « Juifs existants à ce jour sur la commune ».
Ce jour-là, monsieur le maire écrit, en s’appliquant de son écriture ronde et joliment calligraphiée, avec la satisfaction du travail bien fait :
« Néant. » (p.224)

 Mes parents m’avaient inculqué les valeurs d’égalité entre les êtres, ils avaient vraiment cru en l’avènement d’une utopie, ils nous avaient façonnées mes sœurs et moi pour devenir des femmes intellectuellement libres, dans une société où les lumières de la Culture effaceraient, par leur intelligible clarté, toute forme d’obscurantisme religieux. Ils n’ont pas tout réussi, loin de là. Mais ils ont essayé. Ils ont vraiment essayé. Et je les admire pour cela. (p.276)

 J’ai pensé à Noémie, aux romans qui étaient en elle et qui ne seraient jamais écrits. Puis j’ai pensé à tous les livres qui étaient morts, avec leurs auteurs, dans les chambres à gaz. (p.321)

 « Il ne faut pas que je les oublie, sinon il n’y aura plus personne pour se souvenir qu’ils ont existé. »

 Le véritable ami n’est pas celui qui sèche tes larmes. C’est celui qui n’en fait pas couler. (p.400)

 Déborah, je ne sais pas ce que veut dire « être vraiment juif » ou « ne l’être pas vraiment ». Je peux simplement t’apprendre que je suis une enfant de survivant. (p.543)

L’auteure et son œuvre

Anne Berest est née le 15 septembre 1979 à Paris. Elle est romancière et scénariste. Sa soeur Claire est également écrivaine. Ensemble, elles ont écrit une biographie, Gabriële, dont l’héroïne est leur arrière-grand-mère Gabrièle Buffet-Picabia.

Mon Anne Berest ++

Je n’ai rien lu d’autre de cette auteure.

Thème : Racines et mémoire

L’art de perdre d’Alice Zeniter et La carte postale d’Anne Berest racontent des histoires familiales. On pourrait être tenté de penser que c’est là leur unique point commun, en se référant à la famille de harkis présentée dans le premier roman et à la famille juive du second. Il n’en est rien.

Ces deux livres insistent sur les mêmes valeurs : l’importance de la famille et de la connaissance de ses racines, pour comprendre d’où l’on vient et permettre ainsi de mieux affronter présent et avenir. Dans les deux cas, des secrets de famille sont tus ou perdus. La jeune génération doit s’employer pour lever des zones d’ombre, là où la transmission naturelle a partiellement échoué. Ce travail de mémoire, de l’histoire de la famille au sein de la grande Histoire, permet aux descendants de répondre à leurs questionnements et à tout le monde de ne pas oublier les horreurs commises par le passé, pour éviter de les renouveler.

Lorsqu’une histoire familiale floue et obscure est un poids, son décryptage peut être une libération et un passeport pour la sérénité.

Les deux livres sont instructifs au niveau de l’Histoire de ces deux peuples, victimes de drames terribles, de drames différents.

Dans les deux romans, les auteures montrent également l’importance des décisions prises par les individus, la part de hasard dans ces décisions et les conséquences parfois lourdes qui en découlent.

Les deux auteures présentent la traditionnelle panoplie de personnages qu’on rencontre dans l’Histoire : des vrais gentils, des vrais méchants et des personnes qui tentent de survivre au mieux pour eux et leurs enfants, avec leurs qualités et leurs défauts.

Deux grands romans.

À découvrir aussi (clic sur le titre pour en savoir davantage)

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Alice Zeniter – L’art de perdre

(Roman / 2017)

Couverture du roman L'art de perdre d'Alice Zeniter

Dans les années 1930, Ali et ses frères vivent en Kabylie, dans un hameau, sur les crêtes. Après avoir trouvé un pressoir, Ali et sa famille s’enrichissent et deviennent des personnes importantes sur leur montagne. Décoré de la deuxième Guerre Mondiale, Ali est pris dans le tourbillon des « événements » qu’on a du mal à nommer guerre d’indépendance. Pour sauver sa peau et pour sauver sa famille, et même s’il n’a été que peu directement impliqué dans le conflit qui ravage son pays, il embarque avec les siens et d’autres harkis en 1962 pour Marseille.

A notre époque, Naïma, la petite-fille d’Ali, vit à Paris. Elle n’a jamais mis les pieds en Algérie et ne connaît que très peu l’histoire familiale que son père, Hamid, semble avoir rayée de sa mémoire.

Commentaire

À travers l’histoire de la famille Zekkar, Alice Zeniter raconte avec simplicité, précision, humanité et sans jugement ni revendication, le drame de l’Algérie, des harkis, de la France. Dans ce roman, L’art de perdre, Alice Zeniter montre les tabous et les incompréhensions, complète les oublis volontaires ou non, relate les atrocités des années noires de l’indépendance sans céder au spectaculaire, au sordide ou au sensationnel. Elle décrit les séquelles du déracinement, expose les difficultés rencontrées par les harkis à leur arrivée en France et celles des générations suivantes et la démission totale de leur prise en charge par leur pays d’accueil, leur camp.

Une histoire dans l’Histoire, « L’art de perdre » est aussi une poignante saga familiale. Des sentiments forts et souvent tus. De l’amour, de la tristesse, de la honte et de la colère. Du travail laborieux et de l’espoir pour la génération suivante. La transmission. Le poids de l’héritage familial. Les problèmes de communication liés à la langue. Des questionnements et des silences.

Riche et passionnant. Remarquable et bouleversant. Un livre marquant.

Extraits

Choisir son camp n’est pas l’affaire d’un moment et d’une décision unique, précise. Peut-être, d’ailleurs, que l’on ne choisit jamais, ou bien moins que ce que l’on voudrait. Choisir son camp passe par beaucoup de petites choses, des détails. On croit n’être pas en train de s’engager et pourtant, c’est ce qui arrive. (p.68)

 Rien n’est sûr tant qu’on est vivant, tout peut encore se jouer, mais une fois qu’on est mort, le récit est figé et c’est celui qui a tué qui décide. Ceux que le FLN a tués sont des traîtres à la nation algérienne et ceux que l’armée a tués des traîtres à la France. Ce qu’a été leur vie ne compte pas : c’est la mort qui détermine tout. (p.127)

 Le mariage, c’est un ordre, une structure. L’amour, c’est toujours le chaos – même dans la joie. Il n’y a rien d’étonnant à ce que les deux n’aillent pas de pair. Il n’y a rien d’étonnant à ce que l’on choisisse de construire sa famille, son foyer, sur une institution qui est durable, sur un contrat évident plutôt que sur le sable mouvant des sentiments.
– L’amour, c’est bien, oui, dit Ali à son fils, c’est bon pour le cœur, ça fait vérifier qu’il est là. Mais c’est comme la saison d’été, ça passe. Et après il fait froid. (p.131)

 – Quand tu dors, tu oublies tous tes soucis, a toujours dit Ali à ses fils pour les obliger à aller se coucher, c’est une chance merveilleuse et ça ne dure que quelques heures, alors profite. (p.138)

– Écoute, mon vieux, dit-il dans un dernier effort, tu n’avais qu’à choisir le bon côté.
– Toi, tu as choisi le mauvais ?
– Non, mais moi je suis français.
– Moi aussi. (p.173)

 Ils parlent de moins en moins à leurs parents, de toute manière. La langue crée un éloignement progressif. L’arabe est resté pour eux un langage d’enfant qui ne couvre que les réalités de l’enfance. Ce qu’ils vivent aujourd’hui, c’est le français qui le nomme, c’est le français qui lui donne forme, il n’y a pas de traduction possible. Alors, quand ils s’adressent à leurs parents, ils savent qu’ils s’amputent de toute une maturité nouvelle et qu’ils redeviennent des gamins de Kabylie. Il n’y a pas de place dans les conversations, entre l’arabe qui pour eux s’efface dans le temps et le français qui résiste à leurs parents, pour les adultes qu’ils sont en train de devenir.
Ali et Yema regardent l’arabe devenir langue étrangère pour leurs enfants, ils entendent les mots qui échappent de plus en plus, les approximations qui se multiplient, le français qui vient truffer la surface des paroles. Ils voient l’écart qui se creuse et ils ne disent rien, à part – peut-être – de temps en temps, parce qu’il faut dire quelque chose :
– C’est bien, mon fils.
Dans l’appartement qui ne leur a jamais paru être tout à fait le leur, ils reculent tant qu’ils peuvent pour laisser la génération poussée ici habiter la succession de pièces trop petites et de meubles superflus qu’ils avaient achetés pour imiter ils ne savent plus bien quelle image de catalogue. (p.301)

Il sait qu’il ne parviendra pas à garder les enfants près de lui. Ils sont déjà partis loin.
Ils ne veulent pas du monde de leurs parents, un monde minuscule qui ne va que de l’appartement à l’usine, ou de l’appartement aux magasins. Un monde qui s’ouvre à peine l’été quand ils rendent visite à leur oncle Messaoud en Provence, puis se referme après un mois de soleil. Un monde qui n’existe pas parce qu’il est une Algérie qui n’existe plus ou n’a jamais existé, recréée à la marge de la France.
Ils veulent une vie entière, pas une survie. Et plus que tout, ils ne veulent plus avoir à dire merci pour les miettes qui leur sont données. Voilà, c’est ça qu’ils ont eu jusqu’ici : une vie de miettes. Il n’a pas réussi à offrir mieux à sa famille. (p.340)

Hamid a voulu devenir une page blanche. Il a cru qu’il pourrait se réinventer mais il réalise parfois qu’il est réinventé par tous les autres au même moment. Le silence n’est pas un espace neutre, c’est un écran sur lequel chacun est libre de projeter ses fantasmes. Parce qu’il se tait, il existe désormais en une multitude de versions qui ne correspondent pas entre elles et surtout qui ne correspondent pas à la sienne mais qui font leur chemin dans les pensées des autres. (p.367)

Tout est facile. C’est ce qu’on voulait, non ? Qu’on choisisse un côté ou l’autre, ce qu’on voulait c’est que ça devienne facile pour nos enfants… (p.383)

C’est dehors que l’homme est un homme, à la maison il est donné à tout homme d’être homme. (p.385)

Il se dit parfois que s’échapper prend plus de temps que prévu, et que s’il n’a pas fui aussi loin de son enfance qu’il le souhaiterait, la génération suivante pourra reprendre là où il s’est arrêté. (p.393) 

– Tu as déjà joué à ce jeu « Qu’est-ce que tu emporterais sur une île déserte ? »
– Evidemment.
– A ma connaissance, personne n’a jamais répondu : « Mes morts ». Et pourtant, depuis qu’on est revenus ici, ce sont eux qui nous manquent. (p.419) 

Le pouvoir n’est jamais innocent. Pourquoi alors est-ce qu’on continue à rêver qu’on peut être dirigé par des gens bien ? Ceux qui veulent assez fort le pouvoir pour l’obtenir, ce sont ceux qui ont des egos monstrueux, des ambitions démesurées, ce sont tous des tyrans en puissance. Sinon ils ne voudraient pas cette place…. (p.475)

Tu le crois ça, Naïma, tu le crois ? C’est pour ça qu’on s’est battus ? On voulait offrir un pays libre à nos enfants, on s’est battus contre les Français, on s’est battus contre les fanatiques du FIS, on s’est battus entre nous et nos enfants nous tournent le dos, ils deviennent des cons à qui je n’ai pas envie de donner dix euros et encore moins pour un pays. (p.490) 

Un mort qu’on ne connait pas meurt un peu moins, pense-t-elle. (p.511) 

Ce qu’on ne transmet pas, ça se perd, c’est tout. (p.593)

L’auteure et son œuvre

Alice Zeniter est née le 7 septembre 1986 à Clamart. Elle est romancière, dramaturge, scénariste et metteuse en scène.

Elle a publié plusieurs romans, dont Sombre dimanche (2013), Juste avant l’oubli (2015) et Comme un empire dans un empire (2020).

Mon Alice Zeniter ++

Je n’ai rien lu d’autre de cette auteure pour le moment.

Thème : racines et mémoire

L’art de perdre d’Alice Zeniter et La carte postale d’Anne Berest racontent des histoires familiales. On pourrait être tenté de penser que c’est là leur unique point commun, en se référant à la famille de harkis présentée dans le premier roman et à la famille juive du second. Il n’en est rien.

Ces deux livres insistent sur les mêmes valeurs : l’importance de la famille et de la connaissance de ses racines, pour comprendre d’où l’on vient et permettre ainsi de mieux affronter présent et avenir. Dans les deux cas, des secrets de famille sont tus ou perdus. La jeune génération doit s’employer pour lever des zones d’ombre, là où la transmission naturelle a partiellement échoué. Ce travail de mémoire, de l’histoire de la famille au sein de la grande Histoire, permet aux descendants de répondre à leurs questionnements et à tout le monde de ne pas oublier les horreurs commises par le passé, pour éviter de les renouveler.

Lorsqu’une histoire familiale floue et obscure est un poids, son décryptage peut être une libération et un passeport pour la sérénité.

Les deux livres sont instructifs au niveau de l’Histoire de ces deux peuples, victimes de drames terribles, de drames différents.

Dans les deux romans, les auteures montrent également l’importance des décisions prises par les individus, la part de hasard dans ces décisions et les conséquences parfois lourdes qui en découlent.

Les deux auteures présentent la traditionnelle panoplie de personnages qu’on rencontre dans l’Histoire : des vrais gentils, des vrais méchants et des personnes qui tentent de survivre au mieux pour eux et leurs enfants, avec leurs qualités et leurs défauts.

Deux grands romans.

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Frédéric Lenoir – L’oracle della Luna

(Roman / 2006)

Couverture du roman L'oracle della Luna de Frédéric Lenoir

Au 16e siècle, une jolie noble et son escorte sont contraints de séjourner brièvement dans un petit village calabrais. Un jeune paysan tombe éperdument amoureux de la belle. Il décide de la retrouver et de la séduire. Mais il doit s’instruire au préalable.

Commence alors pour Giovanni un incroyable voyage qui le mènera des Abruzzes à Venise, de Chypre à Alger, en Grèce, à Jérusalem. Durant sa quête, il croisera une sorcière qui lui prédira son avenir qu’il ne comprendra pas, des savants, des religieux, des maîtres spirituels, des nobles, des pirates et d’autres personnages pittoresques.

Commentaire

Avec L’oracle della Luna, Frédéric Lenoir nous offre un étonnant roman de 728 pages qui mélange allègrement les genres.

L’oracle della Luna est un grand roman d’aventure, avec ses gentils, très gentils, et ses méchants, très méchants, ses voyages et ses rebondissements. Il s’agit également d’une romance comportant tous les ingrédients du genre : amour impossible à cause d’une évidente différence de classe sociale, duel pour défendre l’honneur de la belle, séparation, rivale, etc. Outre ces clichés, ce livre peut aussi être rangé dans les romans historiques. Frédéric Lenoir s’y connait et nous fait partager sa science du 16e siècle, avec ses turpitudes, ses intrigues et ses interrogations. Pour finir, à chaque voyage, à chaque rencontre, l’auteur en profite pour nous en apprendre un maximum sur l’astrologie, les différentes religions, la philosophie, l’ésotérisme, la sagesse et j’en passe, en vulgarisant avec succès chaque sujet pour permettre au commun des mortels de suivre le fil de ses pensées.

Le seul petit bémol que je mettrais est un côté moralisateur qui apparaît dans certaines explications et qui pourrait agacer.

Si le mélange des genres et les clichés ne vous effraient pas, si vous arrivez à passer outre mon petit bémol et si vous avez envie de vous évader dans l’espace et le temps, de profiter de ce voyage hautement instructif offert par Frédéric Lenoir, n’hésitez pas. Le dépaysement et le plaisir seront au rendez-vous.

Extraits

Le seul mal qu’il faut vaincre dans ton cœur, mon enfant, c’est la peur. Tous les autres maux : la colère, la jalousie, la tristesse, la culpabilité morbide, proviennent de cet ennemi intérieur. Si tu arrives à dominer ta peur, plus rien ne t’atteindra, plus aucune force mauvaise n’aura d’emprise sur ton cœur. Et pour vaincre la peur, il n’y a qu’un remède : l’amour. Tout le chemin de la vie, c’est de passer de la peur à l’amour. (p.340)

 L’être humain a peur de la vie et il est surtout en quête de la sécurité de l’existence. Il cherche, tout compte fait, davantage à survivre qu’à vivre. Or survivre, c’est exister sans vivre… et c’est déjà mourir. (p.512)

 L’auteur et son œuvre

Frédéric Lenoir est né en 1962 à Tananarive, à Madagascar. Philosophe, sociologue, écrivain, journaliste, il a notamment écrit des essais et des romans traduits dans une vingtaine de langues.

Mon Frédéric Lenoir ++

Je n’ai rien lu d’autre de cet auteur.

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Anny Duperey – Les chats de hasard
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Mircea Cartarescu – Solénoïde

(Roman / 2015 / Solenoid)

Couverture du roman Solénoïde de Mircea Cartarescu

Professeur de roumain, le narrateur enseigne dans une école de Bucarest. Si le métier le rebute, c’est pourtant dans cette école qu’il fera trois rencontres capitales : celle d’Irina, dont il tombe amoureux, celle d’un mathématicien qui l’initie aux arcanes de sa discipline, et celle d’une secte mystique qui organise des manifestations contre la mort dans les cimetières de la ville.
Chef-d’œuvre de Mircea Cartarescu, Solénoïde est le journal halluciné d’un homme qui cherche à percer le mystère de l’existence.
(quatrième de couverture)

Commentaire

Le roman Solénoïde de Mircea Cartarescu peut être comparé à du Kafka sous stéroïdes hallucinogènes en 971 pages, avec des passages sublimes, des paragraphes à rallonge et un sens du détail cauchemardesque.

Le narrateur est professeur de roumain à Bucarest, la ville la plus triste du monde (je ne juge pas, je rapporte ses propos), dans la Roumanie communiste. Il aurait pu devenir écrivain. Il y a renoncé après avoir été humilié dans sa jeunesse lors d’une lecture publique d’un de ses écrits (incompris), La Chute, un long poème qu’il considérait comme un chef d’œuvre. Il estime que ne pas être écrivain lui offre davantage de possibilités d’écrire de manière lucide sur le questionnement du sens de la vie. Ce qu’il fait en tenant un journal.

Le lecteur découvre dans ce labyrinthe délirant Colentina, son quartier misérable, les choses qui sortent de son nombril, ses collègues, ses élèves, sa maison aux pièces infinies, ses parents, le solénoïde caché sous sa maison aux propriétés surprenantes, ses rêves, une ville où on manque de tout, un fauteuil de dentiste, des poux et des sarcoptes aveugles, les tesseracts, un sanatorium, une usine en ruine et les énigmatiques piquetistes. Tout est improbable. Tout est déstabilisant. Tout est réel et irréel. Tout est monstrueux. Tout est partie de l’ensemble.

Un monument. Une expérience de lecture.

Extraits

Comment sais-je que j’existe si je sais aussi que je ne serai plus ? Pourquoi ai-je accès à l’espace logique et à la structure mathématique du monde ? Seulement pour les perdre quand mon corps sera détruit ? Pourquoi suis-je réveillé la nuit par la pensée que je mourrai, et, assis, en sueur, je crie, je me débats, et j’essaie d’étouffer la pensée intolérable de ma disparition pour l’éternité, de mon non-être pour toujours, jusqu’à la nuit des temps ? Nous vieillissons, nous attendons patiemment dans la file des condamnés à mort. Nous sommes exécutés les uns après les autres dans le plus sinistre des camps d’extermination. Nous sommes d’abord dépouillés de la beauté, de la jeunesse et de l’espérance. Nous sommes enveloppés du costume de pénitent des maladies, de l’épuisement et de l’altération. Nos grands-parents meurent, nos parents sont exécutés devant nous et, soudain, le temps se raccourcit, tu te vois brusquement face au fil de la faux. Alors seulement, tu as la révélation que tu vis dans un abattoir, que les générations sont massacrées et que la terre les engloutit, que des multitudes continuent à être poussées dans le gosier de l’enfer, que personne, absolument personne n’en réchappe. Que plus un seul des êtres humains que nous voyons sortir de l’usine dans les films de Louis Lumière n’est encore en vie. Que tous ces gens qui figurent sur une photo sépia vieille de quatre-vingts ans sont morts. Que nous venons tous au monde d’un terrifiant abîme sans mémoire, que nous souffrons de manière inimaginable sur un grain de poussière dans le monde infini et que nous périssons ensuite, en une nanoseconde, comme si nous n’avions jamais vécu, comme si nous n’avions jamais été. (p.225)

Pourquoi je ne me souviens pas du temps d’avant ma naissance ? Pourquoi je ne peux me souvenir du futur ? J’ai toujours eu si peur devant le monde énorme dans lequel je suis enterré, que je ne peux finalement m’empêcher de penser que la réalité est uniquement de la peur à l’état pur, de la peur solidifiée. Je vis dans la peur. Je respire la peur, j’avale la peur, je serai enterré dans la peur. Je transmets ma peur de génération en génération, comme je l’ai reçue de mes parents et de mes grands-parents. (p.498)

L’auteur et son œuvre

Mircea Cartarescu est né le 1 juin 1956 à Bucarest. Poète, journaliste, critique littéraire, mais aussi professeur d’université, il est surtout un des grands écrivains de la littérature contemporaine roumaine, auteur d’une trentaine de livres, il a été traduit dans plus de vingt langues.

Mon Mircea Cartarescu ++

Je n’ai rien lu d’autre de cet auteur.

À découvrir aussi (clic sur le titre pour en savoir davantage)

D’autres lectures
Richard Matheson – Le jeune homme homme, la mort et le temps
Julien Green – Léviathan

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Anny Duperey – Les chats de hasard ♥

(Récit / 1999)

Couverture du récit Les chats de hasard d'Anny Duperey

Titi a choisi de vivre avec moi. C’est un petit chat gris, à la tête ronde, au regard doré et au poil court et laineux. De la race des chartreux. Doux, intelligent, rassurant, Titi, en plus d’être beau, a toutes les qualités. Compagnon à l’affection sans faille, Titi m’aime telle que je suis. Avec lui, je m’abandonne, sans peur, ni jeu ni séduction. Il est le premier de mes chats de hasard.

(quatrième de couverture)

Commentaire

Je connaissais Anny Duperey, la comédienne. Je savais qu’elle écrivait, mais je n’avais aucune idée de ce qu’elle écrivait. Et puis ce livre m’a fait de l’œil. Les chats de hasard. Le titre sur le dos d’un livre de poche rangé sur une étagère au milieu d’un grand nombre d’autres livres de poche. Les chats de hasard. Simple. Direct. Énigmatique aussi. Poétique. Je ne pouvais que rester accroché. J’ai pris le livre et je l’ai acheté. Un peu par hasard. Comme les chats de hasard. Mais sans hésitation. Cela allait de soi. Une rencontre qui était écrite.

Je ne l’ai pas lu de suite. J’ai toujours un petit stock de livres en attente. Je ne l’ai pas lu de suite mais je n’ai pas trop tardé non plus.

Deux mois.

Puis j’ai découvert Titi. J’ai découvert d’autres chats. Le style élégant, agréable, sans fioritures d’Anny Duperey. Ses confidences. Sa vie. Ses chats. Anny Duperey ne cherche pas à en mettre plein la vue. Elle raconte, comme elle se confierait à un ami.

Je ne m’attendais pas à la déferlante d’émotions qui m’a subjugué en découvrant ces mots, ces phrases, ces anecdotes.

« Les chats de hasard » m’a touché au plus profond de moi. Dans mon souvenir, je n’ai ressenti une telle puissance émotionnelle qu’en lisant Une vie de Maupassant. D’autres livres m’ont ému, mais rien de comparable. « Les chats de hasard » n’est pas un livre triste, ni un livre qui appelle à la colère ou à l’indignation ou qui suscite un sentiment d’injustice. C’est un beau récit. Un partage qui brille par sa sincérité, sa simplicité, ses valeurs. Anny Duperey raconte l’essentiel. Elle-même, des pensées personnelles, des anecdotes privées et professionnelles. Et les chats qui l’ont accompagnée au fil des années, comme une évidence. La vie. Avec ses joies et ses peines.

Loin de certains autres ouvrages qui capitalisent sur les chats ou sur un phénomène de mode pour vendre du futile, les chats de hasard est un condensé de bonheur à l’état pur.

Je conseille ce livre à tous les amoureux des chats. Et aux autres aussi.

Je relirai ces 222 pages avec un immense plaisir.

Merci Anny Duperey.

L’auteure et son œuvre

Anny Duperey est née le 28 juin 1947 à Rouen. Elle a de multiples cordes à son arc : comédienne, photographe, auteure de romans et d’autobiographies notamment.

Mon Anny Duperey ++

Je n’ai rien lu d’autre de cette auteure. Pour le moment.

À découvrir aussi (clic sur le titre pour en savoir davantage)

Une autre histoire de chats
Vicki Myron – Dewey

D’autres lectures
John Boyne – Les fureurs invisibles du coeur
Fred Vargas – Série « Adamsberg »

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Pat Conroy – Le Prince des Marées ♥

(Roman / 1986 / The Prince of Tides)

Couverture du roman Le Prince des marées de Pat Conroy

Tom, Luke et Savannah ont grandi au paradis, dans le sud faulknérien, sur l’île de Melrose où leur père pêchait et leur mère régnait par sa beauté. Leur enfance éblouie et perdue préfigure les drames de l’âge adulte. Parce qu’ils refusent de mûrir, de vieillir, leurs rêves d’art, d’exploits, de justice vont se heurter à la brutalité du monde réel. La géniale et tragique Savannah et ses frères affrontent l’amour, la solitude et la peur de vivre avec une ironie désespérée.

(quatrième de couverture)

Commentaire

Coup de cœur. Chef d’œuvre. Magnifique récit présentant une famille du Sud profond ayant du mal à joindre les deux bouts, les Wingo, souvent raillés par leurs congénères de Colleton et d’ailleurs.

Savannah, la fille, brillante poétesse, a quitté le cocon familial et s’est réfugiée à New York, coupant peu à peu tout lien avec les siens. Lorsqu’elle refait une tentative de suicide, Tom, son jumeau, se précipite à son chevet dans la Grande Pomme. Il rencontre Susan Lowenstein, la psy de Savannah, qui n’a que peu d’estime pour les rustres du Sud. Tous les deux partagent toutefois un but commun : faire au mieux pour venir en aide à Savannah.

Pour tenter de comprendre les origines du mal-être de Savannah, Tom raconte leur histoire familiale à Lowenstein, histoire faite de drames, de tendresse, d’humour, de complicité et d’un environnement spécifique à ce Sud unique.

Le lecteur découvre ainsi au fil des pages un père pêcheur de crevettes, violent, aux idées géniales mais foireuses, une mère complexée par sa condition et prête à tout pour sortir de la médiocrité, un grand-père excentrique de sainteté, une grand-mère au contraire totalement libérée, Luke, le grand-frère pragmatique des jumeaux avec qui il forme une fratrie unie et aimante, Savannah et sa folie douce, Tom, coach sportif et prof d’anglais dont le couple bat de l’aile, des tragédies et un lourd secret.

Un roman brillant, triste et drôle, dans la veine des meilleurs John Irving. Une source d’inspiration probablement pour les auteures de Betty et de Là où chantent les écrevisses.

Un pavé de 1070 pages (Pocket) qui ne m’a paru long à aucun moment.

A lire absolument pour les amateurs du genre.

Pour la petite histoire

Ce roman m’a été conseillé par Jonathan, un lecteur conquis par Ainsi a-t-il été, mon roman américain à moi. Il a réussi à me proposer quatre romans que je considère aujourd’hui comme des coups de cœur incontournables : celui-ci, Betty, Le gang des rêves et Les fureurs invisibles du cœur. Un sans-faute. Un carton plein. Merci et chapeau !

(en retour, je lui ai suggéré Pachinko et Le fils, dans cette même veine ; avec Là où chantent les écrevisses, des John Irving et Les chutes de Joyce Carol Oates, il y a de quoi remplir une étagère de magnifiques fresques familiales prenantes que je ne peux que recommander).

Extraits

Une famille est un élément naturellement soluble ; avec le temps il se dissout comme le sel dans l’eau de pluie. (p.768)

Et tandis que j’applaudissais, je savais que là serait toujours mon fardeau, non pas dans le fait de ne point posséder de génie, mais dans celui d’en être pleinement conscient. (p.810)

Rien n’affecte davantage une petite ville que la perte du plus rare et du plus adorable de ses citoyens. Rien n’affecte davantage une famille sudiste que la mort d’un homme qui lui conférait équilibre et fragilité dans un monde perméable aux valeurs corrompues. (p.903)

La vérité n’est jamais que ce dont on a décidé de se souvenir (p.1007)

L’histoire de ma famille était une histoire d’eau salée, de bateaux et de crevettes, de larmes et de tempêtes. (p.1065)

L’auteur et son œuvre

Pat Conroy est né le 26 octobre 1945 à Atlanta. Il est décédé le 4 mars 2016 à Beaufort, en Caroline du Sud, d’un cancer du pancréas.

Auteur à succès, il a enseigné en Caroline du Sud avant de se faire renvoyer, scandalisé par les moyens mis à disposition de ses élèves défavorisés et en conflit avec l’administration scolaire, notamment à cause de méthodes d’enseignement non conventionnelles et de son opposition aux châtiments corporels.

Il a publié son premier livre en 1972, The Boo (non traduit en français), une suite d’anecdotes, d’histoires courtes et de lettres en hommage au lieutenant-colonel Thomas Nugent Courvoisie qui s’occupait des cadets à l’académie militaire de la Citadelle à Charleston où il a étudié.

Pat Conroy a ensuite écrit sept romans :

1976 The Great Santini (Le Grand Santini)
1980 The Lords of discipline (non traduit)
1986 The Prince of Tides (Le Prince des Marées)
1995 Beach music (Beach music)
2002 My losing season (Saison noire)
2009 South of broad (Charleston Sud)
2013 The death of Santini, the story of a father and his son (La mort de Santini)

Il a publié trois autres livres :

1972 The water is wide : son expérience en tant qu’enseignant (une adaptation a été traduite en 1974, suite à l’adaptation du livre à l’écran : Conrack. Le Journal d’un instituteur qui dérangeait trop l’ordre établi ; le texte intégral a été traduit en 2018 : À quelques milles du reste du monde)

1999 The Pat Conroy Cookbook : Recipes of my life : un livre de recettes enrichi d’anecdotes, non traduit.

2010 My Reading Life : suite de récits autobiographiques, non traduit.

Mon Pat Conroy ++

Je n’ai rien lu d’autre de cet auteur, mais je n’en resterai pas là.

Le Prince des Marées : et ces traductions alors ?

Ce paragraphe fait suite à mon article « Coup de gueule » : ICI.

Petit rappel, il existe deux traductions de ce roman, l’initiale et la révisée. J’ai commencé à lire la traduction révisée, qui m’a irrité, puis je me suis procuré la traduction initiale.

J’ai lu « Le Prince des Marées » dans sa traduction initiale avec grand plaisir. Mais je n’en suis pas resté là. J’ai comparé les deux traductions (l’initiale et la révisée) sur une cinquantaine de pages et j’en suis arrivé à la conclusion qu’il y a trois types de changements d’une traduction à l’autre :

  1. Le remplacement de « nous » suivis d’un passé simple

Exemples :

Traduction initiale.

« Nous étions des enfants et nous ne tardâmes pas à sauter la barrière pour faire quelques pas dans la forêt interdite. » (p.209)

« Nous détalâmes. Nous fonçâmes au mur de pierre que nous escaladâmes au plus vite avant de courir en hurlant jusqu’à notre jardin. » (p.212)

« Pendant la semaine qui suivit, nous fûmes prudents et vigilants, mais les jours passèrent sans incident et les rues d’Atlanta succombèrent à la blanche incandescence des cornouillers en fleur. » (p.214)

Traduction révisée.

« Nous étions des enfants et on ne tarda pas à sauter la barrière pour faire quelques pas dans la forêt interdite. » (p.209)

« On détala. On fonça au mur de pierre qu’on escalada au plus vite avant de courir en hurlant jusqu’à notre jardin. » (p.153)

« Pendant la semaine qui suivit, on fut prudents et vigilants, mais les jours passèrent sans incident et les rues d’Atlanta succombèrent à la blanche incandescence des cornouillers en fleur. » (p.154)

  1. La censure

Exemple :

« Elle lui demandait de faire nettoyer la maison par une Noire avant notre arrivée. » (p.214)

devient

« Elle lui demandait de faire nettoyer la maison avant notre arrivée. » (p.154)

Soit la traductrice avait inventée ce personnage au moment de la première traduction (ce qui serait quand même étonnant), soit le texte original a été purement et simplement censuré pour être davantage « politiquement correct » aux yeux des bien-pensants.

L’auteur est décédé en 2016, la traduction révisée a été publiée en 2019.

  1. Des améliorations dans certaines tournures de phrase

Il est vrai que certaines phrases sont plus fluides dans la nouvelle traduction, mais il s’agit de peu de cas et en règle générale, la traduction initiale tenait la route.

En conclusion ?

Sous prétexte d’améliorer (ce qui a été fait à certains endroits), la nouvelle traduction s’est offert le luxe d’appauvrir le texte et de le censurer. Si les révisions s’étaient limitées aux améliorations réelles, j’aurais applaudi des deux mains, mais les deux autres points me font préférer sans l’ombre d’un doute la traduction initiale.

Chacun choisira sa version en connaissance de cause (la meilleure étant sans doute la version originale en anglais).

Traduction initiale : Presses de la Renaissance, Pocket.
Traduction révisée : Albin Michel, Livre de poche.

Les pages indiquées après les citations ci-dessus sont celles des versions Pocket et Albin Michel.

Le Prince des Marées n’en reste pas moins un chef d’œuvre !

À découvrir aussi (clic sur le titre pour en savoir davantage)

D’autres lectures
Tracy Chevalier – La jeune fille à la perle
Agatha Christie – La nuit qui ne finit pas

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John Boyne – Les fureurs invisibles du coeur ♥

(Roman / 2017 / The heart’s invisible furies)

Couverture du roman Les fureurs invisibles du coeur de John-Boyne

Cyril n’est pas « un vrai Avery » et il ne le sera jamais – du moins, c’est ce que lui répètent ses parents, Maude et Charles. Mais s’il n’est pas un vrai Avery, qui est-il ? Né d’une fille-mère bannie de la communauté rurale irlandaise où elle a grandi, devenu fils adoptif des Avery, un couple dublinois aisé et excentrique, Cyril se forge une identité au gré d’improbables rencontres et apprend à lutter contre les préjugés d’une société irlandaise où la différence et la liberté de choix sont loin d’être acquises.

 « Une grande fresque sur l’histoire sociale de l’Irlande transformée en épopée existentielle. » Florence Bouchy, Le Monde des livres.

 « John Boyne partage avec le chef-d’œuvre de John Irving, Le Monde selon Garp, un même souffle épique. » Delphine Peras, L’Express.

 « Une éducation sentimentale et politique portée par l’art d’un romancier qui sait sonder les reins et les cœurs. » Christophe Ono-dit-Biot, Le Point.

 (quatrième de couverture)

Commentaire

« Les fureurs invisibles du coeur » est un pavé de 850 pages. Mais ce livre ne m’a paru long à aucun moment.

John Boyne nous propose une mémorable et passionnante fresque familiale et historique sur sept décennies et trois pays. L’Irlande, croyante et conservatrice, prend cher. Ses curés, frustrés et méchants, semblent prendre un malin plaisir à humilier les femmes dès que l’occasion se présente. Ses élus et son gouvernement ne brillent pas par leur intelligence et leur volonté de servir le peuple. Quant au peuple, il affiche une homophobie violente et hypocrite, par ignorance, par bêtise ou par peur de l’inconnu peut-être.

Cyril, le principal protagoniste de cette histoire, se débat dans cette société brutale entre ce qu’il est, ce qu’il a le droit d’être et ce qu’il doit surtout cacher pour ne pas aller à l’encontre de la loi et de la bienséance. Et plus ses désirs sont refoulés, plus ils l’obsèdent. Il mène une vie conventionnelle pour les autres et une vie secrète dans sa tête et à travers d’aventures nocturnes précipitées et sans lendemain.

John Boyne nous offre une jolie galerie de personnages, imparfaits, avec leurs interrogations, leurs craintes, leurs doutes, leurs malheurs et leurs petites victoires. Il les décrit avec finesse et justesse. A travers les attitudes, aventures et mésaventures des uns et des autres, il pointe du doigt l’intolérance banalisée et surtout le droit à la différence.

Le plus grand tour de force de l’auteur est peut-être de réussir à faire passer le lecteur sans cesse du rire aux larmes, sur des sujets et des séquences aussi dramatiques.

Un roman addictif.

« Les fureurs invisibles du coeur » a sa place sur mon étagère quelque part entre Pachinko, Le gang des rêves, Betty, Là où chantent les écrevisses, L’œuvre de Dieu, la part du diable, « Les chutes » et Ainsi a-t-il été.

L’auteur et son œuvre

John Boyne est né en 1971 à Dublin.

Il a écrit une douzaine de romans et une demi-douzaine de romans pour adolescents, dont le best-seller mondial « Un garçon en pyjama rayé » qui a été adapté au cinéma en 2008. Ses romans sont traduits dans 50 langues.

Mon John Boyne ++

Je n’ai lu que « Les fureurs invisibles du cœur » de cet auteur pour le moment.

À découvrir aussi (clic sur le titre pour en savoir davantage)

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Philipp Meyer – Le fils
Gillian Flynn – Les lieux sombres

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Djaïli Amadou Amal – Les impatientes

(Roman / 2020)

Couverture du roman Les impatientes de Djaïli Amadou Amal

« Patience, mes filles ! Munyal ! Telle est la seule valeur du mariage et de la vie. » Au nord du Cameroun, au sein des riches familles peules et musulmanes, la patience est la vertu cardinale enseignée aux futures épouses. Malheur à celle qui osera contredire la volonté d’Allah ! Entre les murs des concessions, où règnent rivalité polygame et violences conjugales, la société camerounaise condamne ces femmes au silence.

Mais c’est aussi là que les destins s’entrelacent. Ramla, arrachée à son premier amour ; Safira, confrontée à l’arrivée d’une deuxième épouse ; Hindou, mariée de force à son cousin : chacune rêve de s’affranchir de sa condition. Jusqu’où iront-elles pour se libérer ?

(quatrième de couverture)

Commentaire

La quatrième de couverture m’a préparé à un roman poignant. Lorsque j’ai découvert après la page de titre, la mention : « Cet ouvrage est une fiction inspirée de faits réels », j’ai eu l’intuition que je débutais un livre particulier. Elle s’est vérifiée.

« Les impatientes » relate la condition de la femme dans les milieux aisés du nord du Cameroun. La vie dans les concessions, dans ces enceintes fermées regroupant de grandes familles et des domestiques. Là où les hommes ont tous les droits, ou presque. Là où les femmes n’en ont presque pas. A cause de l’interprétation de la religion. A cause des coutumes. A cause du poids de la société. A cause des hommes. A cause d’autres femmes aussi.

Dans ces enceintes, règne une chape de silence. « Patience » dit-on aux femmes qui s’interrogent sur ce qui leur arrive. La société a banalisé les filles mariées de force à des hommes plus âgés, les viols conjugaux, la polygamie et les rivalités qu’elle engendre, les violences au quotidien autant physiques que psychologiques. « Patience. » Elles patientent souvent, subissent, survivent au mieux. Souffrant d’un déficit d’éducation par rapport aux garçons, ces filles n’ont souvent que leurs yeux pour pleurer. Certaines se rebellent. Pour le meilleur ou pour le pire.

Un roman/récit qui ne peut laisser indifférent.

Prix Goncourt des lycéens 2020.

Un livre à ranger par exemple à côté de « Le cahier bleu » de James A. Levine qui dénonce les atrocités de la prostitution des enfants en Inde. Âmes sensibles s’abstenir.

L’auteure et son œuvre

Djaïli Amadou Amal est née en 1975 à Maroua, dans le nord du Cameroun. Ce roman est en partie autobiographique. Elle a été mariée à 17 ans à un homme plus âgé qu’elle. Elle a réussi, à force de détermination, à s’enfuir. Depuis, elle a pris la plume et attire l’attention sur ces pratiques révoltantes. Militante pour les droits de la femme, elle fait entendre la voix de ces femmes brimées au vu et au su de la société. Pour faire changer les mentalités. Pour que cessent ces souffrances.

Outre « Les impatientes », elle a également écrit « Walaande, l’art de partager un mari » en 2010, « Mistiriijo, la mangeuse d’âmes » en 2013 et « Cœur du Sahel » en 2022.

Mon Djaïli Amadou Amal ++

Je n’ai lu que « Les impatientes » de cette auteure.

À découvrir aussi

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Amélie Nothomb – Acide sulfurique
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Hervé Le Tellier – L’anomalie

(Roman / 2020)

« Il est une chose admirable qui surpasse toujours la connaissance, l’intelligence, et même le génie, c’est l’incompréhension. »

En juin 2021, un événement insensé bouleverse les vies de centaines d’hommes et de femmes, tous passagers d’un vol Paris-New York. Parmi eux : Blake, père de famille respectable et néanmoins tueur à gages ; Slimboy, pop star nigériane, las de vivre dans le mensonge ; Joanna, redoutable avocate rattrapée par ses failles ; ou encore Victor Miesel, écrivain confidentiel soudain devenu culte. Tous croyaient avoir une vie secrète. Nul n’imaginait à quel point c’était vrai.

(quatrième de couverture)

Couverture du roman L'anomalie de Herve Le Tellier

Commentaire

Un roman original qui s’assemble comme un puzzle à travers l’histoire de sept passagers et du commandant d’un vol Paris – New York pris dans un terrible orage.

Le style d’écriture s’adapte à chaque personnage. Le lecteur découvre petit à petit où l’auteur veut en venir. Le suspense et les rebondissements sont au rendez-vous. On n’échappe pas à certains clichés, mais ceux-ci ne m’ont pas gêné. On a hâte de comprendre et de connaître la fin.

Ce roman questionne sur le sens de la vie et, dans cette quête de la Vérité, nous livre parmi toutes les hypothèses envisagées une explication qui vaut son pesant de cacahuètes par son originalité et par ce qu’elle implique. Je n’en dirai pas plus pour ne rien dévoiler de l’intrigue.

Un roman à lire !

Prix Goncourt 2020.

L’auteur et son œuvre

Hervé Le Tellier est un écrivain français né à Paris le 21 avril 1957.

Il a écrit des romans, des nouvelles, des pièces de théâtres, des poèmes.

Coopté à l’Oulipo en 1992, il en est le président depuis 2019.

Mon Hervé Le Tellier ++

Je n’ai lu que « L’anomalie » de cet auteur.

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Dezso Kosztolanyi – Anna la douce

(Roman / 1926 / Édes Anna)

Couverture du roman Anna la douce de Dezso Kosztolanyi

Hongrie. 31 juillet 1919. La République des Conseils qui dirige le pays depuis cent jours vit ses derniers instants. Les bolcheviks, à sa tête, sont chassés du pouvoir.

A Budapest, dans leur maison cossue, les Vizy revivent. Ils n’ont plus de raison d’avoir peur. Kornel Vizy, l’ancien conseiller ministériel, retourne à ses activités politiques et retrouve son lustre d’avant. Sa femme, Angela Vizy, se consacre à nouveau à son obsession : trouver la bonne idéale. Le concierge Ficsor, Rouge aux prérogatives déchues, sait qu’il a des choses à se faire pardonner par les riches propriétaires de l’immeuble s’il veut survivre à l’inévitable répression. Il propose à madame Vizy de lui débaucher la meilleure des bonnes, Anna, qui travaille actuellement pour une famille moins aisée. Il lui assure qu’elle est parfaite.

Commentaire

Dans le Budapest d’après-guerre et d’après un court intermède communiste, les personnages de Dezso Kosztolanyi évoluent comme dans une pièce de théâtre géante, avec l’appartement des Vizy comme scène principale et des scènes déportées de-ci de-là au gré des besoins de l’auteur et de son histoire. Il y a le couple de nantis, lui, ambitieux, plongé dans les intrigues et les rouages de la politique, elle, préoccupée par son intérieur et par les mille et un défauts potentiels de la future bonne. Il y a le neveu excentrique, les amis de la bonne société, le notaire, le docteur plein d’humanité, le concierge ex-rouge en danger au milieu des puissants de retour au pouvoir, leurs femmes, le ramoneur et les bonnes. Dans ce microcosme, chacun agit selon ses moyens, ses convictions et sa classe sociale, pour vivre ou survivre.

Dezso Kosztolanyi manie l’humour et l’ironie tantôt avec subtilité, tantôt avec férocité. Il n’explique pas, il décrit. Il présente ses personnages, la plupart d’entre eux pas des plus sympathiques, et leurs actes, sans rien justifier. Il ne juge pas, il laisse ce soin au lecteur. Son style narratif, simple et efficace, offre une lecture très agréable, parfois presque jouissive.

Un classique de la littérature hongroise. Un classique tout court, admirablement servi par une excellente traduction.

ATTENTION : évitez de lire préfaces et quatrièmes de couverture des livres de cet auteur, les intrigues y sont souvent dévoilées ; prenez-en connaissance après avoir lu les romans.

Extraits

– Vous, n’est-ce pas, vous aimez l’humanité.
– Moi ? Pas particulièrement.
– Pardon
– Je ne l’aime pas, parce que je ne l’ai encore jamais vue, parce que je ne la connais pas. L’humanité, c’est un concept abstrait. Et vous remarquerez d’ailleurs, Monsieur le conseiller, que tous les escrocs aiment l’humanité. L’égoïste, celui qui ne donnera un morceau de pain pas même à son frère, l’hypocrite, ils auront toujours pour idéal l’humanité. Ils pendent et ils assassinent, mais ils aiment l’humanité. Il n’y a rien de plus confortable. En fin de compte, cela n’engage à rien. Personne ne viendra vers moi en disant « bonjour, je suis l’humanité ». L’humanité ne demande pas à manger, ne veut pas de vêtements, elle reste à une distance respectable, en toile de fond, son auguste front dignement auréolé. Seuls Pierre et Paul existent. Des êtres humains. L’humanité, cela n’existe pas.
– Et la patrie ?
– La patrie, c’est pareil, répondit Moviszter, qui fit une pause pour trouver l’explication adéquate. La patrie, voyez-vous, c’est aussi une notion très belle et très large. Excessivement large. Combien de crimes ne sont-ils pas commis en son nom… (p.142)

[…] Souvent je me dis que de nos jours, seuls les domestiques ont la belle vie.
Ces dames se prirent à soupirer, comme si elles avaient, toutes tant qu’elles étaient, raté leur carrière, comme si elles n’avaient, dans ce monde impitoyable, qu’un seul regret : elles étaient condamnées à ne jamais devenir domestiques… (p.146)

De telles rencontres, avec le recul des années réservent toujours quelques surprises.
Nous aimons fixer nos connaissances éloignées en un point donné, en une situation déterminée, tout comme les morts ; nous arrêtons le temps sur leurs têtes, et nous nous persuadons, en vertu d’une pieuse mystification, que cet arbitraire de notre imagination qui les a figés en un cliché est aussi valable pour nous, et que nous non plus, depuis ce temps-là, nous n’avons pas avancé sur la voie qui conduit à l’anéantissement. Et voilà qu’en pareille circonstance nous devons prendre conscience, comprendre que nous nous sommes leurrés, et nous sourions, embarrassés, comme si vraiment nous voyions devant nous quelque chose d’agréable, et non point un phénomène des plus déplaisants. (p.162)

Tout le monde a ses défauts. C’est naturel. Il faut s’en accommoder. Pour elles non plus la vie n’est pas si rose. Elles se fatiguent tellement, elles se décarcassent tellement, et leur travail est tel qu’il ne peut même pas leur donner des satisfactions : sitôt achevé, c’est déjà du passé, il est aussitôt mangé par d’autres, Sali, abîmé, par nous, chère Madame, par nous. Eh bien, qu’elles aient au moins cette petite compensation, qu’on leur permette de ne pas être parfaites… Il faut le comprendre. (p.244)

 Même le ministre ne bougea pas. Il se sentait parfaitement bien. Tout le monde se sentait parfaitement bien. Peut-être parce que le ministre se sentait parfaitement bien. (p.272)

 Ils avançaient comme deux aveugles, bras dessus, bras dessous dans la nuit, l’un guidant l’autre – l’aveugle, celui qui ne voit pas. (p.309)

L’auteur et son œuvre

Dezső Kosztolányi est né le 29 mars 1885 à Szabadka et mort le 3 novembre 1936 à Budapest. Cet homme de lettres hongrois a été poète, écrivain, journaliste, critique littéraire, essayiste et traducteur. Il a notamment traduit Maupassant, Molière, Calderon, Rostand, Byron, Huysmans et Wilde.

Dans ses écrits, il a exploré l’âme humaine avec ironie, tendresse et justesse. Il parvenait à décrire le commun des mortels comme s’il était une personne extraordinaire. Ce qui est un peu vrai : chacun est unique.

Fondateur et un des principaux rédacteurs de la revue Nyugat (Occident) qui a joué un rôle prépondérant dans le renouveau littéraire hongrois du début du 20e siècle, il est aussi un grand ami de Frigyes Karinthy, un autre immense personnage littéraire de l’époque.

Un auteur captivant, à découvrir ou redécouvrir.

Mon Dezso Kosztolanyi ++

J’ai découvert Dezso Kosztolanyi avec « Anna la douce ». Une expérience extrêmement positive. J’ai enchaîné avec d’autres œuvres de cet auteur : des romans (Alouette, Le cerf-volant d’or, Néron le poète sanglant, Le mauvais médecin, Kornél Esti, Les aventures de Kornél Esti), des nouvelles (Baignade (une histoire cruelle et tragique), Pauline, Silus, Marc-Aurèle, Caligula) et un poème (Marc-Aurèle). J’ai été conquis par l’ensemble, hormis le poème (pas ma spécialité).

Alouette

(1924 / Pacsirta)

Sarszeg, Hongrie, début septembre 1899. Le vieux couple Vajkay envoie leur fille Alouette dans la famille à la campagne pour une semaine. Akos et Antonia Vajkay s’autorisent des sorties et redécouvrent des joies oubliées dans leur petite ville durant ces sept jours. Ils finissent par s’avouer de cruelles vérités.

L’auteur décrit encore une incroyable panoplie de personnages, dans son style simple, direct, efficace. Incroyable parce qu’ils n’ont rien de particulier et pourtant ils sont tous uniques. L’art de transformer des gens ordinaires en personnes remarquables. Dans cette vie banale en province, interrompue le temps d’une parenthèse de sept jours pour le couple Vajkay, le quotidien est parfois cruel et semble inévitable, sous un vernis fragile de routine acceptée bon gré, mal gré.

Un roman d’une grande puissance émotive et en même temps d’une grande sobriété. Du grand art.

Le cerf-volant d’or

(1925 / Aranysárkány)

A Sarszeg, c’est bientôt l’heure du bac. Les étudiants espèrent ne pas être recalés. Leurs professeurs font de leur mieux pour leur inculquer le savoir et faire d’eux des hommes. Parmi eux, Antal Novàk, veuf et père d’une fille qui n’est pas insensible aux charmes des garçons et qui s’applique à le mener par le bout du nez. Novàk, pas dupe, ne fait cependant pas preuve de trop de sévérité car, comme pour ses élèves, il croit aux vertus de la pédagogie douce, de l’éducation, des explications et de la persuasion.

Encore un roman passionnant de Dezso Kosztolanyi. Contrairement à « Anna la douce » et à « Alouette » où toute la force de la narration réside dans la description des actions des personnages, dans « Le cerf-volant d’or » l’auteur fait entrer le lecteur dans la tête des personnages et explique ainsi pourquoi ils agissent de la manière dont ils agissent.

Une fois encore, Dezso Kosztolanyi décrit des gens simples, des élèves, des professeurs, des commerçants, et en fait des personnages uniques. A partir d’une banale ville et de son école, il tisse un drame complexe que même ses acteurs interpréteront de différentes manières.

Les pistes de réflexion sont nombreuses : l’ingratitude, le harcèlement, le bien-fondé voué à l’échec du désir de maîtriser et de former les autres selon ce qu’on pense bon, les dégâts potentiels occasionnés par des malentendus et un manque de communication, l’hypocrisie, l’ennui de la routine, la complexité des gens simples, le manque de respect des élèves à leurs professeurs signalé par l’auteur en Hongrie il y a une centaine d’années et qu’on déplore de plus en plus en France de nos jours.

Un excellent roman !

Extraits

Il ne le comprenait pas. Il voulait le comprendre. Il savait que les souffrances les plus douloureuses viennent de la non-compréhension, car ne fait mal que ce qu’on est incapable de concevoir ou de se représenter. Il espérait trouver un soulagement dans la compréhension. (p.242)

 – Comme on fait son lit on se réveille. (p.339)

Néron, le poète sanglant

(1922, Nero, a véres költő)

Un autre chef d’œuvre.

Dezso Kosztolanyi aurait pu écrire l’histoire de Néron avec ses mots, en se basant sur ses recherches pour coller le plus près possible à la réalité. Il ne l’a pas fait. Il n’a pas écrit un roman historique fidèle à l’Histoire. Son projet a été plus ambitieux.

Il prend quelques libertés avec la chronologie de certains événements (décès de certains personnages), en ignore d’autres (grand incendie de Rome, voyage de Néron en Grèce), ignore des personnages complètement ou presque (Tigellin, Pétrone, Claudia Acte n’est citée qu’une seule fois dans le roman), en invente (Zodique, Fannius), tout cela pour mieux servir son propos.

Dezso Kosztolanyi ne se laisse pas emprisonner dans l’Histoire mais l’utilise pour transposer des problématiques valables à toutes époques : le lien entre art et pouvoir, l’incompatibilité entre un exercice efficace des deux (Néron est mauvais poète étant empereur et mauvais empereur parce que poète), le sens de l’art, ici la poésie, mais aussi le mal nécessaire, la poursuite de ses rêves, l’aveuglement qui peut en découler, les manœuvres et flatteries dans la politique ou l’art, la vanité, l’ambition, le prix à payer pour atteindre ses ambitions, les solutions philosophiques aux problèmes posés (Sénèque, chap. 26 et 30 notamment). Il explore questionnements et solutions (bonnes ou mauvaises) à travers ses personnages (Néron, Agrippine, Britannicus, Octavie, Poppée, Sénèque, Lucain, Pâris, Burrus, Zodique & Fannius, Phaon) et nous livre un roman riche en enseignements et en pistes de réflexion. Toujours dans son style fluide et imparable.

En bonus, une préface élogieuse de Thomas Mann.

Un beau roman.

Le mauvais médecin

(1921 / A rossz orvos)

Le prêtre qui maria Vilma et Istvan leur dit en ouvrant les bras : « Aimez-vous l’un l’autre. »

« L’amour c’est la vie ! s’exclama-t-il ; l’amour, c’est la vérité, l’amour, c’est la voie ! », lança-t-il une fois encore, avec une simplicité telle que les parents de la mariée commencèrent à pleurer.

Ainsi débute « Le mauvais médecin », le premier roman de Dezso Kosztolanyi.

Lorsqu’il publie ce roman, Dezso Kosztolanyi n’est pas un novice de l’écriture. Il a déjà beaucoup d’expérience dans le journalisme, la poésie et la nouvelle. Il maîtrise son style. On peut déjà admirer la précision et la concision dans l’écriture et les descriptions poussées de ses personnages.

« Le mauvais médecin » a souvent eu du mal à trouver sa place. Il ne répond pas à des critères stricts lui permettant d’être étiqueté, collé dans une catégorie. Ni nouvelle, ni roman, il s’agit en réalité d’un roman court, format en vogue en Hongrie à cette époque.

« Le mauvais médecin » questionne sur la culpabilité, la culpabilité qui rapproche les gens, le sens du mariage, le sens de la vie et aussi sur l’obscurantisme et les respectables escrocs parfois aussi assassins que les bandits de grand chemin.

Tragique et cruel !

Kornél Esti

(1934 / Esti Kornél)

Encore un format qui prête à discussion. Dix-huit chapitres pouvant se lire indépendamment qui ont toutefois du sens dans l’ordre choisi par le très créatif auteur (le deuxième chapitre nous présente par exemple Kornél Esti enfant). Par conséquent pas vraiment des nouvelles, mais pas un roman très conventionnel non plus.

Kornél Esti est un double que s’est inventé Dezso Kosztolanyi et qu’il a utilisé dans plus de quarante histoires. Dezso Kosztolanyi donne la liberté à Kornél Esti de vivre ce qu’il a envie de vivre, de dire ce qu’il a envie de dire, de faire ce qu’il a envie de faire, de critiquer ce qu’il a envie de critiquer, tout en s’autorisant compassion et tolérance, lorsqu’il en a envie. L’épouse de Kosztolanyi écrira dans ses Mémoires : « Kornél Esti est son second moi, le double goguenard et sans contraintes de son moi sentimental et bourgeois, qui dit tout haut et surtout accomplit tout ce qu’il aurait, lui, aimé faire, qui vit la vie libre et romantique du XIXe siècle à sa place à lui, Dezső Kosztolányi, lui qui ne fait que travailler, enchaîné à son bureau, que mener à bonne fin sa corvée journalière, courbé sous le joug du gagne-pain, dans cette société d’après-guerre, et des devoirs familiaux. »

On retrouve tout le génie de Dezso Kosztolanyi dans le décryptage du chapitre 9 (l’histoire d’une rencontre dans un train entre Kornél Esti et un contrôleur bulgare), dans l’inventivité pince-sans-rire du chapitre 14 (l’histoire d’un cleptomane qui traîne sa maladie jusqu’à sa dernière profession connue, traducteur), dans son analyse des gens dans les chapitres 4 (une ville dont les habitants se blâment plutôt que de se vanter), 6 (dans lequel on découvre qu’il est difficile de se débarrasser d’un trop-plein d’argent) et 12 (dans lequel un vénérable président dispense sa sagesse en dormant).

Dans les chapitres 13 et 16, il nous montre à quel point la bonté et la bienveillance mettent parfois la patience à rude épreuve.

Le chapitre 18, le dernier, est une allégorie du cours de l’existence. Elle renvoie à la nouvelle de son grand ami Fryges Karinthy, « Le cirque », qui nous présente également une allégorie de la vie.

« Kornél Esti » est un régal d’humour et de clairvoyance, dans un style des plus agréables.

Extraits du chapitre 12

Jusqu’à présent, sur terre, tous les désordres sont venus de ce que certains voulaient créer un ordre, toutes les immondices sont venues de ce que certains voulaient balayer. Comprenez-moi, la vraie malédiction en ce monde est l’organisation, et le vrai bonheur, c’est la désorganisation, le hasard, le caprice. (p.219)

 Les exemples attestent que l’humanité a été plongée dans le malheur, le sang et l’ordure par ceux qui s’enthousiasmaient pour la chose publique, qui prenaient leur mission au sérieux, qui veillaient ardemment, honnêtement, et ses bienfaiteurs ont été ceux qui ne s’occupaient que de leurs propres affaires, les négligents, les indifférents, les dormeurs. L’erreur n’est même pas de gouverner le monde peu sagement. Au fond, l’erreur est de le gouverner. (p.219)

Les aventures de Kornél Esti

(1935 / Esti Kornél kalandjai : 1927-1935)

Ce deuxième livre consacré à Kornél Esti comporte dix-sept nouvelles histoires qui n’avaient trouvé leur place dans « Kornél Esti ».

De nouvelles analyses perspicaces de l’âme humaine (« Les bizuths », « Le manuscrit », « Le mensonge », « Sarkany », « L’apothicaire et lui », « La disparition de Kalman Kernel », « Bonheur ») et une belle fin.

Le traducteur cleptomane

()

Ce recueil de nouvelles recomposé est une compilation de onze extraits de « Kornél Esti » (5) et de « Les aventures de Konél Esti » (6).

De sa vie, Dezso Kosztolanyi n’a écrit ni recueil, ni nouvelle intitulés « Le traducteur cleptomane ». Ce livre n’est qu’un artificiel assemblage éditorial. Il aurait l’avantage de proposer ces textes si « Kornél Esti » et « Les aventures de Konél Esti » n’avaient pas été publiés en français. Il a l’inconvénient de ne pas représenter ce que l’auteur souhaitait publier. Pourquoi j’en parle ici ? Parce que je me suis fait avoir et j’ai acheté ce livre avant les deux autres. Je ne savais pas. Alors si mon erreur peut aider d’autres à éviter la même, elle aura au moins servi à quelque chose !

Voici la « composition » de ce recueil :

– Le traducteur cleptomane : chapitre 14 de « Kornél Esti ».
– L’argent : chapitre 6 de « Kornél Esti ».
– Le contrôleur bulgare : chapitre 9 de « Kornél Esti ».
– La ville franche : chapitre 4 de « Kornél Esti ».
– La disparition : La disparition de Kalman Kernel de « Les aventures de Kornél Esti ».
– Le pharmacien et lui : L’apothicaire et lui de « Les aventures de Kornél Esti ».
– Misère : Sarkany de « Les aventures de Kornél Esti ».
– Le manuscrit : Le manuscrit de « Les aventures de Kornél Esti ».
– Le président : chapitre 12 de « Kornél Esti ».
– Le chapeau : Le chapeau de « Les aventures de Kornél Esti ».
– La dernière lecture : La dernière lecture publique de « Les aventures de Kornél Esti ».

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