À partir de combien d’occurrences, une malheureuse coïncidence se transforme-t-elle en potentiel crime organisé ?
Il ne s’agit pas là d’une accroche de quatrième de couverture, mais d’une réelle inquiétude. D’une colère, n’ayons pas peur des mots. D’où ce coup de gueule.
Le Club des Cinq
Tout a commencé il y a quelques années déjà, avec la publication de nouvelles traductions des célèbres aventures du Club des Cinq. Pour faire court, voici ce qui a changé concrètement dans les nouvelles versions des livres mythiques d’Enid Blyton :
– passage du passé simple au présent.
– suppression de certaines descriptions.
– simplification du langage, avec des « on » remplaçant des « nous » par exemple.
– suppression de ce qui pouvait être perçu comme politiquement incorrect.
Les trois premiers points illustrent une fâcheuse tendance à l’appauvrissement de la langue.
Le dernier point renvoie à un autre vrai souci : la censure des bien-pensants, comme dans le cas du renommage des Dix petits nègres, d’Agatha Christie.
Voici trois articles illustrant cette réécriture des célèbres romans de la Bibliothèque Rose :
https://actualitte.com/article/69948/jeux-video/le-club-des-5-la-nouvelle-traduction-qui-laisse-sans-voix
https://bibliobs.nouvelobs.com/romans/20170406.OBS7659/le-club-des-cinq-a-perdu-son-passe-simple-et-pas-mal-d-autres-choses-aussi.html
https://www.lavie.fr/ma-vie/famille/litterature-jeunesse-le-club-des-cinq-et-le-mystere-du-passe-simple-perdu-73502.php
Hachette se défend d’un nivellement par le bas mais avance une « modernisation » de la série, pour pousser à lire. Hallucinant ! J’ai du mal à croire que ces coupes franches ont incité beaucoup d’enfants n’aimant pas lire à se plonger dans ces livres. Au contraire, ceux qui sont passionnés par la lecture ont beaucoup perdu dans cette affaire. Scandaleux.
Mais nos charmantes maisons d’édition ne se sont pas arrêtées en si bon chemin. Elles ont de la suite dans les idées !
Pat Conroy – Le Prince des marées, nouvelle traduction
Un lecteur d’Ainsi a-t-il été m’a conseillé de lire Le Prince des marées publié en 1986 et vendu à plus de 20 millions d’exemplaires. Totalement conquis par les suggestions précédentes de ce lecteur averti (Betty, Le gang des rêves), je me suis plongé avec enthousiasme dans ce pavé culte de Pat Conroy. Et j’ai été séduit par l’histoire, les personnages, les dialogues. Mais quelque chose dans l’écriture m’a turlupiné. J’ai mis 150 pages à mettre le doigt dessus. Le souci m’a sauté aux yeux dans un passage où le narrateur raconte son enfance en compagnie de son frère et de sa sœur, en lisant la phrase :
« Nous étions des enfants et on ne tarda pas à sauter la barrière pour faire quelques pas dans la forêt interdite. »
Moche.
Dans ma tête, la bonne phrase était :
« Nous étions des enfants et nous ne tardâmes pas à sauter la barrière pour faire quelques pas dans la forêt interdite. »
J’ai regardé d’un peu plus près.
Je me suis rendu compte que toutes les fois où l’imparfait était utilisé pour la première personne du pluriel, le narrateur disait « nous » et pour tous les passé simple il utilisait « on ». Indigne d’une telle œuvre littéraire (portée à l’écran par Barbara Streisand).
J’ai creusé.
J’ai vu que dans mon livre édité par Albin Michel, il était noté « Traduction révisée ».
J’ai pensé au Club des Cinq.
J’ai écrit au lecteur qui m’avait conseillé ce livre et je lui ai demandé s’il l’avait lu en français, s’il avait toujours ce livre, dans quelle édition et s’il pouvait vérifier ma phrase.
Il m’a répondu dans la demi-heure.
Il dispose de la première traduction, faite par la même traductrice. La phrase en question apparaît ainsi :
« Nous étions des enfants et nous ne tardâmes pas à sauter la barrière pour faire quelques pas dans la forêt interdite. »
Comme je l’imaginais. Sans cet immonde « on ».
Je me suis procuré une version de la traduction originale. Stupeur. Tous les « nous » avec passé simple apparaissent bien dans cette première traduction. Ils ont tous été remplacés par des « on » dans la traduction révisée.
Je ne veux pas accabler la traductrice. Elle ne s’est certainement pas réveillée un matin en se disant « Je vais saboter mon boulot du Prince des marées ».
Alors quoi ? Qu’est-ce qui est passé par la tête d’Albin Michel pour infliger un tel traitement à ce roman ?
Et la suite ?
Le Club de Cinq, Le Prince des marées. Deux coïncidences ? Un vaste complot destiné à simplifier ou saboter notre belle langue française ? à censurer pour rentrer sans vergogne dans le politiquement correct ? Orchestré par qui ? Dans quel but ? Combien d’autres œuvres subissent le même sort, en silence, dans l’ombre ? Jusqu’où iront-« ils » ?
Je me rends compte à quel point mes questions « complotistes » sonnent ridicules. Mais je ne comprends pas ce qui se passe. J’oscille entre incompréhension et colère. Et je lance cette bouteille à la mer. Ce cri dans la nuit. Aura-t-il un écho ?
En attendant, je poursuis ma lecture du Prince des marées, dans sa première traduction, bien sûr (Presses de la Renaissance, Pocket).
Le fin mot de l’histoire, après lecture du roman, dans l’article consacré au Prince des marées : ICI.
Me contacter
Me suivre
Partager